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Deux femmes, deux histoires

L’une a dû affronter le rejet de son mari et de ses voisins. L’autre a reçu le soutien de son époux. Portraits croisés de deux Ivoiriennes malades du sida.


10 septembre 2007 - L’Humanité

Assises côte à côte, l’une et l’autre pèsent leurs mots. Racontent leur histoire en détail, à tour de rôle. Avec, en filigrane, ce point commun : toutes les deux ont le sida  . Félicité Sahi depuis huit ans, Clémentine Bono depuis six ans. La première, à lfragile et au visage triste, a dû affronter le rejet de son mari. La seconde, pleine d’énergie, a été épaulée par son époux. Une chance, dans cette région pauvre de l’ouest de la Côte d’Ivoire, où la maladie reste taboue.

« Au début, je ne savais pas de quoi je souffrais, commence Félicité, d’une voix douce et lente. Une tante m’a dit de faire le test de dépistage à l’hôpital. J’y suis allée sans avertir mon mari... » Dans le bureau de la conseillère qui lui annonce sa séropositivité, la jeune femme s’effondre. Il lui faudra deux jours pour le dire à son mari. « Il a quitté la maison... » La laissant seule avec ses trois enfants. Félicité se triture les mains, poursuit : « J’ai commencé le traitement, mais chaque jour je rechutais. » Surtout, « ma tante l’a dit dans le quartier. Plus personne ne voulait m’approcher ». Une conseillère de l’ONG IDE Afrique s’en mêle, explique au mari que sa femme a sans doute été contaminée lors d’un accouchement au village, qu’il n’y a pas de honte à avoir le sida  . L’homme finit par accepter d’être dépisté à son tour. Il est séronégatif. « Il était encore plus fâché », dit Félicité, mais l’époux finit par revenir à la maison.

Le mari de Clémentine, lui, a réagi inversement. « Après avoir pleuré pendant trois jours, je suis allée le voir au champ. Je m’en voulais, je pensais que j’avais gâché quelque chose, mais je lui ai dit de penser à nos enfants. Il a posé sa machette et il m’a dit : "Je ne vais pas te laisser. Toi et moi, on va vivre ensemble". » L’homme doit faire face à son père, qui l’encourage à abandonner sa femme malade. Séronégatif, le mari de Clémentine est prêt à s’infecter délibérément pour partager le mal. On le convainc de renoncer, de garder ses forces pour faire vivre sa femme et ses trois enfants.

Aujourd’hui, Clémentine a cessé son activité de matrone, elle ne pratique plus les accouchements dans les villages, ce qui lui a sans doute valu d’être infectée par le virus. Elle a même appris à lire et à écrire le français, s’enorgueillit-elle.

Poussées par IDE Afrique, Clémentine, Félicité et d’autres femmes s’organisent pour monter un commerce de riz. « Nous devons économiser 400 francs CFA par mois (0,60 euro), c’est dur », reprend Félicité. Le traitement est lourd, fatiguant. « Quand un enfant nous demande 100 francs CFA (0,15 euro) et qu’on ne peut pas lui donner parce qu’on n’a pas la force de travailler, on est encore plus malade. Et lui, il regrette d’être né... » Pis, son quatrième enfant vit aujourd’hui avec le virus.

Désormais, Clémentine parcourt les villages et explique en yacouba, la langue régionale, comment se protéger du sida  . Félicité, elle aussi, se bat. Et assène, comme une prière : « Je veux vivre, je veux vaincre la maladie. » Il lui reste à rassembler, chaque mois, l’argent pour les médicaments.

V. D.


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Publié sur OSI Bouaké le jeudi 13 septembre 2007

 

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