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De la gratuité des ARV, mais par pour tous


Abidjan, 29 août, Fulgence Zamblé (IPS)

Si les organisations non gouvernementales (ONG) de lutte contre le VIH  /SIDA   ont salué dans l’ensemble la décision de la gratuité des anti-rétroviraux (ARV  ) prise par le gouvernement ivoirien, certaines parmi elles se montrent sceptiques face aux contours de cette mesure de l’Etat.

Un arrêté du ministère ivoirien de la Santé et de l’Hygiène publique, rendu public la semaine dernière, a décidé de rendre gratuits les soins liés au VIH  /SIDA   dans les centres de santé publics du pays. Ainsi, les malades qui déboursaient mensuellement 1.000 francs CFA (environ 2,2 dollars) et trimestriellement 3.000 FCFA (environ 6,8 dollars) ne devront plus rien payer pour avoir accès au traitement.

Cette mesure est intervenue grâce au concours des bailleurs de fonds, dont le Plan d’aide d’urgence à la lutte contre le SIDA   (PEPFAR  ) du président américain George W. Bush, avec l’approbation récente d’un plan de dépenses de 120,5 millions de dollars pour la lutte contre la pandémie en Côte d’Ivoire. Pour sa part, le gouvernement ivoirien continuera de débloquer une subvention comprise entre 1,5 et 2 millions de dollars pour l’achat des ARV  .

La mesure de gratuité, selon Rémi Allah Yao, ministre ivoirien de la Santé et de l’Hygiène publique, "vise à aider les personnes atteintes du VIH  /SIDA   à mieux se prendre en charge. Elle permettra également de réduire le taux de mortalité des personnes atteintes de cette maladie".

"Nous nous réjouissons de cette décision du gouvernement", déclare Bla Yao du centre Solidarité action sociale, une ONG basée à Bouaké, dans le centre de la Côte d’Ivoire. "Nous pensons que cette mesure sera effectivement mise en application, tout en espérant une observance plus accrue des malades", ajoute-t-il à IPS. En effet, selon lui, lorsqu’un traitement est gratuit, généralement, il n’y pas de suivi régulier de la part des médecins.

Toutefois, Yao explique que les conditions de vie précaires, le manque de moyens financiers, les ruptures de stock de médicaments, l’aggravation de l’état clinique sont également des facteurs de non-observance du traitement.

Interrogé sur la situation dans les zones sous contrôle de l’ex-rébellion, Yao dit ne pas être inquiet pour l’application de la mesure gouvernementale, d’autant que des structures hospitalières existent et commencent à être fonctionnelles.

Pour Barthélémy Lobognon, président de l’ONG Enfants sans SIDA  , basée à Abidjan, la capitale économique ivoirienne, "la décision ne pouvait pas mieux tomber que dans un contexte économique aussi morose où des malades sous ARV   peinaient encore à débourser 1.000 FCFA par mois pour acquérir les médicaments".

De son côté, Isabelle Assouan, coordonnatrice de l’ONG Ruban rouge, basée également à Abidjan, estime que "la décision est encore floue. La gratuité des ARV   oui, mais les autorités doivent nous donner plus d’éclairage sur la question", dit-elle. "La gratuité va-t-elle seulement prendre en compte les malades qui ont réalisé le bilan biologique ou tous les malades en même temps ?", demande-t-elle.

Pour Assouan, les contours de la décision restent à élucider, alors que le ministre de la Santé a demandé au directeur de la santé une application immédiate de la décision.

La Côte d’Ivoire est divisée en deux par une rébellion armée qui occupe la moitié nord du pays. Depuis le 19 septembre 2002, des ex-soldats de l’armée régulière ont pris les armes pour lutter contre l’exclusion présumée des populations de cette partie du territoire.

En dépit de cette situation de crise qui a provoqué la défaillance du système sanitaire dans certaines régions de ce pays d’Afrique de l’ouest, il a enregistré une régression de son taux de séroprévalence, selon les chiffres officiels.

Selon l’enquête sur les indicateurs du SIDA  , réalisée en 2005 en Côte d’Ivoire, le taux de prévalence nationale est passé de 7 pour cent à 4,7 pour cent. En outre, 36.000 patients sous traitement ARV   ont été répertoriés en juin 2007 dans le pays alors que 78.000 autres sont en attente. La gratuité du traitement devrait donc permettre à 42.000 autres patients de bénéficier des ARV  , si l’on tient uniquement compte des bilans biologiques.

Mais des analystes estiment déjà que cette gratuité pourrait engendrer des difficultés à l’horizon, si la distribution des ARV   venait à être mal maîtrisée. "Nous avons déjà été confrontés à la pénurie d’anti-rétroviraux. Il ne s’agissait pas d’une question financière, mais de la distribution", rappelle Mathurin Bah, un médecin biologiste au Centre hospitalier universitaire de Treichville, une commune d’Abidjan.

"Maintenant que les soins sont gratuits, nous avons besoin de mener une longue réflexion pour déterminer la politique à adopter pour réussir le pari de fournir à tous les malades, qui sont dans le besoin, les ARV  . Ceci, sans interruption", souligne-t-il à IPS.

En effet, en 2005, les personnes vivant avec le SIDA   en Côte d’Ivoire avaient souffert de ruptures régulières d’approvisionnement en ARV   pendant trois mois. Ces insuffisances étaient dues à un manque de coordination des schémas thérapeutiques et à une rupture de stock de certaines molécules, selon Bah.

Le Réseau ivoirien des organisations de personnes vivant avec le VIH  /SIDA  , une ONG locale, a mis en place mardi un comité de suivi de la mesure de gratuité. Ce comité sera chargé d’identifier et de mettre en œuvre des approches et stratégies devant porter correctement l’information à la connaissance de tous les malades concernés.

Lucien Kablan, 29 ans, un malade sous ARV   depuis trois ans, témoigne à IPS : "Ma satisfaction est grande de savoir que je ne débourserai plus le moindre centime pour le traitement. Mais, j’espère surtout que les médicaments seront disponibles à tout moment pour éviter qu’une rupture d’ARV   ne vienne compromettre le traitement des malades".

De son côté, Alphonsine N’Da, une séropositive de 36 ans, déclare à IPS : "L’espoir pour moi, c’est de voir tous les malades bénéficier du traitement. Beaucoup de malades sont dans l’attente et il faudrait les satisfaire".


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Publié sur OSI Bouaké le samedi 30 août 2008

 

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