Accueil >>  Et en Afrique, on dit quoi ? >>  Côte d’Ivoire >>  VIH

Sida, l’autre guerre en Côte d’Ivoire


Alors que le pays s’extrait péniblement d’un conflit armé qui a coupé le pays en deux, il doit faire face à un nouveau défi : le sida  . L’UNICEF s’emploie, en s’appuyant sur le gouvernement et un réseau d’ONG, à lutter contre l’épidémie.

Doucement, elle pose une main sur son ventre rond. Le visage poupin mais le corps raide, elle écoute la « conseillère » qui lui fait face. Opine de la tête. Dans la lumière blafarde du petit bureau dépouillé, les mots de l’une et de l’autre sont presque avalés par une climatisation bruyante. La première semble porter son premier enfant et ses seize ans avec peine. Parle peu, écoute surtout. La seconde s’apprête, un peu sèchement, à lui annoncer son « statut sérologique ». « Négatif »... La future mère n’a pas le sida  . Un souffle de soulagement lui détend le corps. Une larme lui reste au coin de l’oeil. Elle sourit, enfin. Se lève, sort du bureau, soudain plus légère, et rejoint son amie dans le hall où la télé crachote un documentaire sur la maladie. Le résultat lui a été donné dans l’heure. Trop nombreux sont ceux qui ne reviennent pas après le prélèvement sanguin. Elle est quitte pour un prochain rendez-vous dans trois mois, puis dans un an. Dans la cour, un groupe de femmes écoutent à l’ombre d’une pergola le témoignage de Clémentine, malade du sida   depuis six ans. La jeune fille les rejoint.

Plus tôt, cet après-midi de fin juillet, la future mère - dont on ne connaîtra pas le nom, anonymat oblige - avait quitté son village pour se rendre dans ce petit centre de dépistage volontaire de Man, un gros bourg coincé au milieu des montagnes, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, à une centaine de kilomètres du Liberia et de la Guinée. Une ville carrefour où l’ONG IDE Afrique (Initiative Développement Afrique) dispense soutien et aide matérielle aux femmes malades du sida  .

Quelques jours auparavant, un représentant des Nations unies avait prévenu : le VIH   est une « bombe à retardement » en Côte d’Ivoire. Et pour cause : le pays enregistre chaque année la prévalence la plus forte de l’Afrique de l’Ouest. 4,7 %, d’après une étude de 2005. Dans l’ouest du pays, le taux atteint des records. Un autre combat, alors que la Côte d’Ivoire vient tout juste de faire taire les armes.

Entre 2002 et 2004, le pays a vu s’affronter les troupes rebelles, menées par les Forces nouvelles, à celles restées fidèles au gouvernement de Laurent Gbagbo. Les insurgés contrôlent encore 60 % du territoire national, au nord et à l’ouest. Dans la région de Man, les soldats des Forces nouvelles tiennent toujours les barrages routiers. Les pires affrontements, auxquels se sont mêlés, un temps, des soldats libériens, ont marqué la ville, çà et là, de trous d’obus de mortiers et d’impacts de balles. Désormais, il faut reconstruire. Faire revenir les représentants de l’État, préfets, enseignants et médecins. La majorité d’entre eux ont fui les combats. Pas évident...

Le soir, dans la moiteur du bureau régional de l’UNICEF, Marius Cassy, responsable de l’agence onusienne à Man, explique : « Les structures socio-éducatives, sanitaires et économiques ont été détruites. En 2004, 45 % des hôpitaux ou centres de santé fonctionnaient grâce à des ONG, il ne restait que 16 % des personnels qualifiés, et moins de 20 % des écoles étaient ouvertes, mais tenues par des bénévoles non qualifiés. » Depuis, l’UNICEF s’emploie, en partenariat avec un réseau d’ONG et à la faveur d’un retour timide du personnel qualifié, à reconstituer les infrastructures manquantes. Le médecin insiste : « Nous sommes toujours en phase d’urgence. Il n’y a plus de guerre, certes, mais les braquages et les vols sont monnaie courante. Tout le monde a des armes et ceux qui entretenaient les combattants étant partis, désormais certains se retournent vers la population. » La conversation s’interrompt et les talkies-walkies circulent. Obligation est faite, malgré le calme apparent, de donner signe de vie au responsable de la sécurité.

« Il nous fallait d’abord reconstruire le système de santé, reprend le docteur Jean Konan, de l’agence onusienne. Le programme VIH  -sida   a été lancé l’an dernier et prend véritablement son envol maintenant. » Auparavant, l’Union européenne, l’UNICEF et l’État ivoirien avaient entamé le redéploiement des services de santé sur le territoire. Le Fonds mondial de lutte contre le sida  , la tuberculose et le paludisme a pris le relais en finançant des traitements antirétroviraux. Diverses institutions internationales ont mis la main à la poche. Tout transite par le gouvernement ivoirien, via son programme national de prise en charge des personnes vivant avec le VIH  .

« Tout ce qui est fait concernant le sida   passe par le gouvernement », confirmera, dans son bureau d’Abidjan, Makan Coulibaly, chargé de la protection de la transmission mère-enfant et des soins pédiatriques à l’UNICEF. En 2007 et 2008, cette machine à financements devrait être alimentée par cinq nouveaux millions de dollars, collectés par le programme Unitaid  , grâce à une taxe sur les billets d’avion. De quoi financer bon nombre de traitements antirétroviraux, qui iront sur les étagères de la pharmacie de la santé publique, l’institution ivoirienne chargée d’alimenter le pays en traitements. À condition que la gestion des stocks se fasse sans accroc au niveau des districts et des hôpitaux. Les ruptures de stocks sont en effet fréquentes en bout de chaîne. « En mai et en juin, nous avons eu beaucoup de décès à cause des ruptures de traitements », témoigne, à Man, Albert Seu, responsable d’IDE Afrique. De son côté, l’UNICEF mise sur une couverture de 80 % du territoire en services de protection de la transmission mère-enfant d’ici à 2011, contre à peine 20 % aujourd’hui.

Pour l’heure, dans l’ouest du pays, si les médecins et les médicaments recommencent peu à peu à irriguer la région, la lutte contre le virus se heurte à d’autres obstacles. La maladie, ici, se cache. Et se rendre à l’hôpital est loin d’être un réflexe. À l’hôpital de Danané, une grosse bourgade à quelques encablures du Liberia, Médecins sans frontières (MSF  ) tient à bout de bras l’unique établissement du district. Au début du conflit armé, entre 2002 et 2003, l’hôpital a fonctionné en sourdine, sans personnel. MSF   l’a remis sur pied et un nouveau directeur a été nommé l’an dernier, en même temps qu’a été ouvert un service de protection de la transmission mère-enfant. Irène Aboutou en est l’initiatrice. La sage-femme circule entre les bâtiments dénudés. Çà et là, on patiente, qui sur une natte, qui sur un banc. Sous un porche, un groupe de femmes regardent du bout de l’oeil une vidéo sur le VIH  , en attendant d’être reçues. Elles passeront chacune d’une pièce à l’autre. On ne saura pas qui de l’une et de l’autre porte le virus. « La discrétion est primordiale », insiste la sage-femme. Chaque mois, elles sont une quinzaine à être déclarées séropositives, sur plus de cinq cents dépistées.

C’est le cas d’Ayo, sa petite fille de quatre mois dans les bras, et de Monique, son troisième enfant sur les genoux. Dans une salle de consultation, à l’écart des autres patientes, elles racontent avec pudeur des bribes de leur histoire. « Quand on m’a dit le résultat, j’ai pleuré, se souvient Ayo, la voix basse. Je me suis dit : "Pourquoi j’ai ces microbes dans le sang ?" Je ne l’ai pas dit aux autres femmes. » Son mari, informé, a refusé de faire le test à son tour. L’époux de Monique a eu plus de courage, mais après un résultat « indéterminé », il a rejeté un nouveau test. Si Monique a reçu des antirétroviraux pendant sa grossesse, elle a tout de même été accouchée au village par une matrone, avec tous les risques inhérents. Aucune des deux n’a parlé de sa situation à sa famille. Par peur d’être rejetées. Seule satisfaction, MSF   leur fournit traitement et lait artificiel, pour éviter l’allaitement au sein qui favorise la transmission du virus au nouveau-né. Sur les genoux de Monique, le petit Sankaro gigote. Les deux femmes finissent par se glisser hors du bureau.

Les faire venir à l’hôpital n’est pas aisé. Dans les villages, les matrones pratiquent encore les accouchements dans des conditions d’hygiène minimales, facilitant la circulation du virus. Avec les combats et le départ des hommes, elles se sont imposées comme sages-femmes. « Après la guerre, on leur a demandé d’envoyer les femmes à l’hôpital. Elles se sont senties dévalorisées, explique Albert Seu, dans le hall d’IDE Afrique. Nous avons donc rencontré les chefs religieux, les notables et les matrones pour les sensibiliser à la nécessité de se faire dépister. » La cible privilégiée : les femmes. Elles sont deux fois plus nombreuses à être infectées que les hommes. Là encore, le conflit armé y est pour beaucoup. Au-delà d’une plus grande sensibilité physiologique au virus, nombre de femmes ont dû se prostituer ces dernières années. Pour la majorité, dépendantes de leur mari, négocier le port du préservatif relève de l’impossible.

Résultat, chez les femmes enceintes, la prévalence monte à 8,2 %. Corollaire : les enfants trinquent. Soit parce qu’ils sont eux-mêmes infectés par leur mère. Soit parce que, devenus orphelins ou vivants avec des parents incapables de travailler, ils flirtent avec la mort.

Dans la cour d’IDE Afrique, à Man, le groupe de femmes achève sa réunion. Rassurée par le résultat de son test, la jeune fille s’est glissée sur un banc, à l’écart. On se disperse. Elle part. Reviendra-t-elle ?

Vincent Defait


VOIR EN LIGNE : l’humanité
Publié sur OSI Bouaké le jeudi 13 septembre 2007

 

DANS LA MEME RUBRIQUE