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Côte d’ivoire : des jeunes « plus exposés au VIH… que n’importe qui d’autre »


Abidjan, 12 avril 2010 (PlusNews) - Un local délabré, jonché d’effets personnels et d’ordures au cœur de la grouillante gare routière d’Adjamé, un quartier populaire d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. De très jeunes filles y sont assises ou étendues sur le sol, certaines avec des enfants. Très nerveuses. Car à quelques mètres à peine, leurs ‘vieux pères’ – surnom donné indifféremment à des protecteurs ou souteneurs - machette ou couteau à la main, surveillent de très près leur « business ».

Elles sont une dizaine à y être réunies ce matin-là, entre deux clients pour un « passage », une passe qui se négocie souvent à quelques dizaines de cents de dollars à peine – le plus souvent sans préservatif. En voyant arriver des visiteurs avec les membres de Cavoequiva, une organisation non gouvernementale locale qui tente de venir en aide aux jeunes vulnérables, elles se dispersent.

« Elles craignent des représailles de leurs vieux pères si elles parlent », explique à IRIN/PlusNews Clément Irié, le président de cette association créée en 2003. Par ailleurs, « elles n’aiment pas voir de nouvelles personnes : certaines filles ici se sont enfuies de chez elles, elles ont changé de nom pour qu’on ne les retrouve pas. Quand on amène des gens, elles nous reprochent de ‘gâter leur manger’ ».

L’une des jeunes filles du local présente une plaie purulente au poignet. « L’autre soir, des hommes ont voulu la violer, elle a essayé de s’enfuir et a reçu un coup de machette », explique Mamadou Ouattara, ‘l’homme de terrain’ de Cavoequiva. Au bout de quelques minutes, une autre jeune fille du local, à peine âgée d’un peu plus d’une dizaine d’années, se lance. « Je ne peux plus uriner, ça me brûle », se plaint-elle.

Selon des estimations gouvernementales, Adjamé compte quelque 250 000 habitants, mais voit passer jusqu’à deux millions de personnes par jour – voyageurs, transporteurs et commerçants confondus, venus de toute la région Afrique de l’Ouest.

Une cartographie des lieux de vulnérabilité effectuée avec le Fonds des Nations Unies pour la population a identifié sans surprise la gare routière et le grand ‘Marché Forum’, situé à quelques rues de là, comme deux sites où une intervention des acteurs humanitaires et VIH   serait nécessaire. « Tous les jours je vis des cas de violences, des viols, des vols de bébés aussi, et de la drogue », a dit M. Ouattara.

Mais les actions en faveur de ces populations qualifiées de ‘hautement vulnérables’ sont rares, ont reconnu le PN-OEV   (Programme national de prise en charge des orphelins et enfants vulnérables) et plusieurs partenaires de la lutte contre le VIH  /SIDA  , en partie parce que ces lieux sont difficilement accessibles en raison de l’insécurité qui y règne.

A la gare routière, « les jeunes ne laissent même pas rentrer la police, ils ont des armes blanches, des fois les policiers tirent [en l’air] pour les effrayer mais ils n’y vont pas. Les autorités font ce qu’elles peuvent, mais elles n’ont pas de moyens », a dit M. Ouattara.

Pourtant, « ces jeunes sont plus exposés au VIH   et aux maladies que n’importe qui d’autre », a dit M. Irié, qui connaît leur situation pour l’avoir vécue lui-même plus jeune avant de pouvoir s’en sortir « par la grâce de Dieu ».

Les membres de Cavoequiva rendent visite régulièrement à ces jeunes – des orphelins y compris du VIH  /SIDA  , en rupture familiale ou jetés à la rue par la pauvreté, originaires de tout le pays et même de pays voisins. S’ils ne peuvent pas les aider sur place, ils les encouragent à venir au siège de l’association situé dans une rue calme du quartier, pour y recevoir des conseils, de l’aide, de quoi manger ou parfois simplement une écoute.

Ils tentent également de les informer des risques VIH  , de les encourager à aller vers le dépistage et de leur donner des préservatifs, quand ils en ont. « On repère les leaders parmi les filles et on passe par elles pour préparer les autres et les faire venir à l’association », a dit M. Irié. Avec souvent la même réponse : « Les filles nous disent : ‘vous venez toujours nous parler du sida  , mais vous ne faites rien pour nous. On est fatiguées d’écouter, on a faim’ ».

A la recherche d’informations et de soins

A l’intérieur du bâtiment décrépi qui abrite le Marché Forum, l’un des plus grands marchés d’Abidjan, cinq jeunes filles sont réunies dans une zone inoccupée. Toutes enceintes. « J’ai un gars, il est chauffeur, mais il ne me donne pas à manger » a dit à IRIN/PlusNews l’une d’entre elles, une toute jeune adolescente. « Alors je fais des passages, mais je ne lui dis pas ».

Quatre des cinq jeunes filles ont affirmé avoir fait le test de dépistage du VIH  . « Je suis propre », ont-elles dit les unes après les autres. Mais elles ont reconnu qu’elles n’utilisaient toujours pas systématiquement de préservatifs. « Si on nous trouve avec des préservatifs, on nous viole parce qu’on dit que si on en a, c’est qu’on est là pour ça », a justifié l’une d’entre elles.

De nombreux jeunes, orphelins ou en rupture familiale, passent leurs nuits dans les boutiques abandonnées du troisième étage du bâtiment qui abrite le "Marché Forum" d’Adjamé, à Abidjan Les clients, ‘vieux pères’, forces de l’ordre, vigiles, voyageurs ou parfois les jeunes eux-mêmes : tous participent à ces violences. Et malgré leur exposition au risque d’infection, le niveau de connaissances de ces jeunes sur le VIH  /SIDA   reste faible. « Je connais le sida  , mais pas le VIH   », a dit à IRIN/PlusNews une jeune fille de la gare routière.

Pourtant, la demande en termes d’informations et de soins est forte. « Les filles demandent beaucoup pour tout : les grossesses d’abord, mais aussi les infections sexuellement transmissibles et le sida   », a dit M. Irié.

En cas d’infection au VIH  , l’association n’a pas de centre où réunir ces jeunes et pouvoir les suivre : « quand on en réfère certains [à des centres de dépistage ou de traitement du VIH  ], on n’a pas de retour et on ne sait pas ce qu’ils deviennent », a dit M. Irié, dont l’association, à l’exception de quelques petits financements ponctuels de bailleurs, finance ses interventions essentiellement grâce à une petite activité de commerce de bouteilles de gaz et de vente de poisson. « Le problème, c’est aussi que ces jeunes n’ont aucun endroit sûr où passer la nuit à l’abri ».

Lorsque la demande d’aide arrive à l’association, il est parfois trop tard, a dit M. Ouattara, évoquant le cas d’une toute jeune fille dépistée positive au VIH  , qui ne bénéficiait d’aucun soin et avait été chassée du marché par d’autres jeunes. « En cherchant un autre endroit, elle a été violée. Elle est retournée au marché mais sa maladie a empiré. Quand les autres ont vu ça, ils l’ont déposée devant une banque : c’est là qu’on nous a appelé… mais c’était trop tard, elle n’a pas survécu ».

Un petit projet de réinsertion de 10 jeunes filles mené en 2008 avec le soutien de l’organisation Save the Children a permis à huit d’entre elles d’éviter de tomber dans le travail du sexe. « Les filles dans la rue me disaient de faire ça [travail du sexe] mais je ne voulais pas », a raconté à IRIN/PlusNews une jeune malienne de 12 ans qui était auparavant ‘tantine bagages’ (portefaix). Elle a pu démarrer un petit commerce de vente de sachets d’eau : installée dans un endroit fixe plus sécurisé, cette orpheline de père peut désormais aider sa mère à subvenir aux besoins de la famille sans avoir à se déplacer dans des endroits isolés « où des hommes violent les filles », a-t-elle dit.

Pour tous ces jeunes, il faut agir vite, a plaidé M. Irié, qui comme d’autres acteurs a constaté que la situation de vulnérabilité des jeunes s’était aggravée avec la crise politique que traverse la Côte d’Ivoire depuis une insurrection armée en 2002. « Il faut aider les jeunes dès qu’ils arrivent dans la rue, ne pas attendre. Si on les prend tout de suite, on peut les sauver »


Publié sur OSI Bouaké le mardi 13 avril 2010

 

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