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A Abidjan, au milieu des tirs : « Est-on devenus fous ? »

Le témoignage de Fatou Keïta, écrivain


Rue89 - Témoignage - Par Fatou Keïta | Ecrivain | 08/04/2011 | 10H45

L’écrivaine ivoirienne Fatou Keïta avait écrit en décembre une lettre ouverte à Laurent Gbagbo, publiée sur Rue89. Elle raconte, dans ce témoignage écrit jeudi, la vie à Abidjan au milieu des combats, entre pillards et combattants, avec l’espoir que le cauchemar s’arrêtera prochainement.

(D’Abidjan) Plusieurs jours que nous sommes sous une pluie d’obus et de tirs de mitraillettes et de kalachnikovs. Jusqu’au bout, nous avons prié pour ne pas en arriver là même si les faits nous montraient qu’inexorablement, nous nous dirigions vers ce scénario tragique.

Je me sens, avec ma famille, particulièrement en danger car dès le début de la crise post-électorale j’avais eu à écrire une lettre ouverte au Président sortant Gbagbo et à un de ses sbires pour décrier ce qui me semblait déjà une hérésie.

J’ai assisté à une scène de cinéma

Le 31 mars dernier, des rumeurs persistantes faisaient état d’un assaut sur Abidjan. La ville baignait dans un calme angoissant. Et puis au crépuscule nous les avons vus, sous nos fenêtres… Mon fils et moi, malgré la peur, nous nous sommes approchés des fenêtres et derrière les rideaux, nous avons observé.

Des hommes en armes passaient à pied, silencieusement, d’un pas ferme mais paisible, suivis de véhicules tous phares éteints… Je pensais qu’on ne voyait ça qu’au cinéma. Ils se dirigeaient vers Cocody où se trouve la télévision. Plus tard, nous avons entendu des tirs nourris. La première attaque contre la télévision et les partisans du Président sortant commençait….

Je vis dans un immeuble où les résidents sont des deux bords politiques et pourtant l’harmonie y règne en ces temps de guerre. Mais sans doute est-ce parce que nous savons que nous ne devons pas parler politique. Sagesse, quand tu nous tiens !

Avant-hier, j’ai organisé une réunion de crise car je suis présidente du comité de gestion de l’immeuble. Tous étaient là. J’observais les visages, graves mais sans animosité aucune. Nous étions tous logés à la même enseigne, pro ou anti-Gbagbo, devant les tirs ! Il s’agissait de notre survie, là était l’essentiel au-delà de tout clivage.

« Si nous montons, ce ne sera pas bon pour vous ! »

Quelques jours plus tôt nous avons eu en effet la visite de pillards dans notre parking. Nous les avons observés discrètement de nos fenêtres, camouflés derrière les rideaux, impuissants. Ils s’acharnaient sur les véhicules qu’ils voulaient emporter. Toutes les vitres ont été cassées, les voitures mises à sac. « Donnez-nous les clés ! », a crié l’un d’entre eux. « Si nous montons, ce ne sera pas bon pour vous ! »

A maintes reprises, ils ont tenté de faire démarrer la mienne, mais têtue comme sa propriétaire, celle-ci ne s’est pas laissé faire et ils on dû l’abandonner. Trois autres véhicules ont été emportés et grâce à Dieu, ces bandits n’ont pas cherché à forcer la porte d’entrée, ce qui était notre plus grande crainte.

Au terme de notre réunion, nous avons décidé d’heures précises pour descendre les ordures, et aller en groupe à la recherche de vivres lorsque cela était possible. L’alarme devait être donnée en cas d’attaque de notre immeuble en tapant sur des casseroles…

Les journées sont très longues car, bien évidemment, nous sommes confinés à la maison avec en écho les salves plus ou moins proches. Lorsque celles-ci sont violentes, je hurle à toute la maisonnée de se coucher par terre dans le couloir. Ma petite-fille est terrorisée. Certains ont reçu des balles perdues dans leur maison.

Je passe la journée et une partie de la nuit scotchée à mon ordinateur à parler à des amis dans le monde entier par Skype et à surfer sur le Net à la rechercher de la moindre information sur la Côte d’Ivoire. C’est en effet Paris, New York, Stockholm… qui nous racontent ce qui se passe chez nous pendant que la télévision ex-nationale, la RTI, nous désinforme et nous intoxique avec sa propagande et ses contre-vérités. Heureusement, une nouvelle télévision (TCI) est née et qui nous informe sur les activités du Président élu.

Mon fils arrive en courant dans ma chambre. Un de ses amis cherche le numéro d’un médecin car une femme est en train d’accoucher dans un quartier non loin. Mais personne ne peut sortir ! Je lance des appels à des amis via le Net pour trouver le numéro de la Croix-Rouge. Kim, très perspicace, cherche et trouve le numéro (merci Internet) que nous leur communiquons. C’était chaud !

Mercredi c’était, nous a-t-on annoncé, l’assaut final. Couvre-feu à midi, l’atmosphère est lourde, plombée, sans jeux de mots. Je surfe comme une malade à la recherche de la moindre information. J’ai mal au dos à force d’être assise, j’ai mal aux yeux mais impossible de m’éloigner de cet écran qui me parle mais me dit des mensonges aussi. Que de rumeurs !

L’offensive est lancée

Ça y est, l’offensive est lancée, les troupes des Forces républicaines arrivent sur Abidjan pour libérer le palais. L’Onuci et la Licorne entrent également dans la danse en bombardant les chars assassins.

Très vite, les murs tremblent sous les obus, je suis en ligne avec Kim à Paris, et avec ma fille à Lille, pendant que j’écris simultanément à Claire à Metz, à Georges à Lyon, à Maty à Dakar, et à Badala à Bouaké, quand je ne suis pas interrompue par des coups de fils de parents et amis dans le monde entier préoccupés de nous savoir sous les tirs.

Tapie dans le couloir avec ma famille, mon mini ordinateur posé par terre, je leur fais entendre les tirs…

Dans le couloir, nous avons peur, mais nous arrivons à rire des positions cocasses dans lesquelles nous nous trouvons dans nos tentatives de protection. Il y a tout d’un coup trop de fenêtres vitrées dans l’appartement et nous cherchons à nous en éloigner. Mon fils dit qu’il n’aurait jamais imaginé qu’un jour il ramperait comme un serpent… Ça nous fait rire malgré les tirs ! Sommes-nous devenus fous ?

Ce jeudi matin, après quelques tirs lourds sporadiques, il règne un calme inquiétant troublé par quelques décharges de mitraillettes.

Il paraît que le palais a été investi, il paraît qu’ils cherchent toujours l’ex-président… Il paraît qu’il est prêt à se rendre.. Il paraît… Il paraît… Mon ordinateur continue de mentir…. J’attends la fin, j’attends la délivrance.


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Publié sur OSI Bouaké le samedi 9 avril 2011

 

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