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WikiLeaks : sur la piste de la mystérieuse LRA de Joseph Kony


Le Monde | 17.12.10 | Jean-Philippe Rémy

C’est l’un des groupes armés les plus mystérieux et les plus violents de la planète. Qui viendra à bout de l’Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA), venue d’Ouganda, et qui évolue à présent entre le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), la Centrafrique (RCA) et, sans doute, le Sud-Soudan ? Le mouvement, ancré à l’origine au sein de la population acholie, dans le nord de l’Ouganda, et opposé au pouvoir du président Museveni lors de sa création à la fin des années 1980, s’est mué en groupe armé aux objectifs flous, luttant pour sa survie en massacrant les villageois des régions qu’ils traversent, ou en les transformant en esclaves.

Entre millénarisme, mysticisme et utilisation de manière calculée de la violence, la LRA se déplace sans cesse, dispersée en petits groupes. Une opération régionale, "RudiaII", la combat avec l’appui des Etats-Unis, notamment dans le domaine du renseignement. La lutte contre la LRA intéresse au plus haut point les diplomates américains, qui rédigent depuis Kampala des télégrammes tous les quinze jours pour rendre compte des progrès sur le terrain congolais des troupes ougandaises. Pourtant, la discrétion est de mise sur le déroulement exact de cette opération.

"Nous notons que le gouvernement ougandais a délibérément (et avec le plus grand succès) gardé le silence sur la taille de son corps expéditionnaire et le fait que ses hommes se battent régulièrement avec la LRA, tout ceci étant destiné à plaquer un visage congolais sur l’opération [Rudia II]", précise un télégramme en 2009.

CHEF INSAISISSABLE

L’ambassade de Kampala relate régulièrement les actions de l’armée ougandaise contre la LRA dans le nord-est du Congo. Exemple en juin 2009 : "Les opérations militaires ougandaises sur le terrain continuent d’enregistrer des progrès. Les forces de défense populaires d’Ouganda (UPDF, armée régulière) poursuivent avec ténacité les groupes de la LRA et ont monté des embuscades réussies, qui se sont conclues par la mort de commandants supérieurs de la LRA. Entre le 18 et le 29 mai, les UPDF ont tué 41 combattants de la LRA, dont le brigadier général César Achellam et le lieutenant-colonel Okello Okuti."

Les télégrammes suivants poursuivent le décompte des pertes infligées par les forces ougandaises à la rébellion de Joseph Kony, son chef insaisissable, dans le nord-est de la RDC.

Mais bientôt, il leur faut attribuer leurs actions à une autre armée, celle de RDC, en dépit de la passivité de cette dernière. "Depuis mars, les UPDF ne pouvaient plus rendre compte publiquement de leur action car l’Ouganda s’est retiré ostensiblement de la région et voulait mettre un masque congolais sur Rudia II", résume pour ses interlocuteurs américains le porte-parole de l’armée ougandaise, Felix Kulayigye.

Le responsable militaire ougandais se plaint du fait que ses homologues congolais ne rendent pas publics les succès de l’opération, "bien qu’il leur fournisse des mises à jour permanentes" sur les victoires qu’ils sont censés remporter lors d’accrochages menés, en réalité, par des soldats ougandais. En conséquence, il a fallu publier certaines de ces informations dans les journaux ougandais, "attribuant la mort de commandants importants à des actions de l’armée congolaise, même s’ils avaient été tués par l’armée ougandaise". "L’Ouganda continuera d’attribuer les succès à venir à l’armée congolaise", assure le responsable militaire ougandais.

Pendant ce temps, l’opération continue et marque des points, selon Kampala, qui a toujours considéré la période de négociations entamées avec la LRA comme une manœuvre des hommes de Kony pour se réarmer et a poussé à une guerre régionale pour détruire les chefs de la LRA.

Le ministre de la défense ougandais, Crispus Kiyonga, cité dans un télégramme d’avril 2009, estime que "50 % des responsables de haut niveau de la LRA et 25 % de ses combattants ont été tués pendant les opérations. Kiyonga estime à présent le nombre de combattants [restant] à trois cents. La Mission des Nations unies au Congo (Monuc) fournit des chiffres comparables, estimant le nombre de combattants de la LRA à trois cents ou quatre cents, et le nombre de personnes enlevées entre six cents et mille."

PRÉSENT À KHARTOUM ?

Dans l’intervalle, cependant, la LRA n’a pas été mise hors d’état de nuire. Bénéficie-t-elle de l’appui du Soudan, comme cela s’est déjà produit dans le passé ? L’hypothèse est à nouveau envisagée en février 2010, lorsqu’un haut diplomate français, chargé des affaires africaines, confie au sous-secrétaire d’Etat américain en charge de l’Afrique, Johnnie Carson, que "les services de renseignement français ont recueilli auprès de leurs sources des informations sensibles sur la présence à Khartoum, il y a six mois , du chef de la LRA, Joseph Kony".

La réaction américaine est prudente, mais intéressée : "Si cela devait se vérifier, cela constituerait un acte de mauvaise foi considérable de la part du gouvernement soudanais (…). Cela montrerait que le Nord ne peut être considéré comme un partenaire fiable auquel il serait possible d’accorder sa confiance." Déjà, se fait jour une hypothèse : que Joseph Kony soit "réactivé" par ses contacts soudanais pour mener des actions de déstabilisation du Sud-Soudan. L’organisation d’un référendum d’autodétermination, en janvier 2011, devrait se conclure par la sécession du sud (où se trouve l’essentiel des réserves pétrolières du pays) avec le nord.


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 21 décembre 2010

 

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