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Lubanga, premier coupable de la Cour pénale internationale

Dix ans après sa création, et malgré une instruction difficile, la CPI rend aujourd’hui son premier verdict dans le procès du milicien congolais.


Libération - 14 mars 2012 - Par Maria Malagardis - C’est un jour historique pour la justice internationale : dix ans après sa création, la Cour pénale internationale (CPI  ) rend aujourd’hui son premier verdict. Un seul procès achevé depuis 2002 ? Voilà qui peut sembler inquiétant pour une juridiction qui ambitionne de poursuivre les crimes « qui menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde », selon ses statuts. Première véritable juridiction internationale indépendante, la CPI   a été créée pour combattre l’impunité à l’échelle planétaire. Parmi les plus célèbres personnes visées par ses mandats d’arrêts, on compte l’actuel président soudanais Omar el-Béchir, accusé de crimes de masse au Darfour, ainsi que le défunt colonel Kadhafi. Depuis novembre, la Cour détient aussi à la prison de La Haye l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo.

Alliances. En comparaison avec ce prestigieux casting, le verdict historique rendu aujourd’hui concerne un accusé a priori bien plus modeste : Thomas Lubanga. Agé de 52 ans, il était le chef de l’une des six milices qui ont sévi au début des années 2000 en Ituri, une province orientale aux confins de l’immense république démocratique du Congo (RDC). Un simple chef rebelle donc, livré par le gouvernement de Kinshasa à La Haye en 2006 par realpolitik : l’homme étant devenu un obstacle aux nouvelles alliances sur le terrain. Déjà, à cette époque, la CPI   avait été critiquée pour s’être contentée d’un petit seigneur local dans un conflit qui a impliqué plusieurs pays de la région, provoquant plus de 50 000 morts dans la seule province de l’Ituri et plusieurs milliers d’autres dans toute la zone orientale du pays. Les critiques semblaient d’autant plus fondées que les compagnons de Lubanga n’ont pas été inquiétés.

Officiellement coaccusé à ses côtés par la CPI  , Bosco Ntaganda, qui fut le second de la milice, coule aujourd’hui des jours paisibles dans l’est de la RDC où il est devenu général de l’armée congolaise. Et donc intouchable. Ne disposant pas de police ou de force militaire, la CPI   est contrainte de s’en remettre à la bonne volonté des gouvernements.

Terrorisé. Selon le principe de complémentarité, elle n’est d’ailleurs saisie qu’en dernier recours, quand les autorités nationales se déclarent incapables de juger les criminels. C’est ce qui s’est passé en RDC, où c’est Kinshasa qui a demandé à la Cour d’enquêter sur les crimes commis à l’est du Congo en 2004. Au bout de deux ans d’investigation dans des conditions difficiles en raison de l’insécurité qui règne en Ituri, un mandat d’arrêt a été délivré contre Lubanga.

Or, sur place, loin des commentaires cyniques sur les compromis auxquels a été contrainte la Cour, les deux cents trente jours du procès Lubanga ont été suivis avec attention. « On en parlait régulièrement à la radio. Les gens étaient angoissés : ils ne savaient pas s’ils pouvaient faire confiance à cette Cour lointaine », explique Florent Geel, qui s’est rendu en Ituri, il y a plus d’un an, au nom de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Lors de son séjour, il a ainsi rencontré un témoin terrorisé : « Il avait vu Lubanga égorger son frère. Il craignait d’être tué si il revenait dans la région. »

Enrôlement. L’Union des patriotes congolais(UPC), la milice créée par Lubanga, est soupçonnée de massacres à grande échelle dans la région. Pourtant, seuls l’enrôlement et la conscription d’enfants soldats de 2002 à 2003 ont été retenus comme charges contre Lubanga à La Haye. Faute de temps et de moyens pour enquêter sur place. L’enjeu des enfants soldats est certes loin d’être négligeable dans un pays où plus de 30 000 d’entre eux ont été embrigadés de force par les différents belligérants. Mais, du coup, les victimes des massacres ethniques orchestrés par l’UPC n’ont pas été entendues.

« Le procès n’a pas refait l’histoire de cette guerre. Ce sont des bribes, des événements ponctuels qui ont été examinés. C’est la logique de la procédure pénale imposée à la Cour », rappelle Florent Geel. Reste que, pour la première fois dans un procès international, les victimes ont été invitées à participer de manière active aux débats. Avec le droit d’intervenir à toutes les étapes. « C’est un choix qui a créé parfois un certain cafouillage, avec beaucoup trop d’intervenants. Il y a encore des tâtonnements », soupire Catherine Mabille, l’avocate française de Thomas Lubanga. « On a essuyé les plâtres. Ce procès, c’était un coup d’essai », constate de son côté Florent Geel. « Mais la justice internationale progresse. Une jurisprudence se forge avec ce procès. » Loin de La Haye et de ce verdict historique, l’Ituri est encore en guerre. Une nouvelle milice, considérée comme proche de l’UPC de Lubanga, y sèmerait la terreur.


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Publié sur OSI Bouaké le jeudi 15 mars 2012

 

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