4 juin 2010 | par Faustin Caille / Edition : Uwolowulakana Ikavi
Le phénomène d’enfants abandonnés constituait en Haïti, depuis plusieurs années, un problème préoccupant. Mais, avec le séisme du 12 janvier, il s’est exacerbé. Et les centres résidentiels accueillent, depuis, un nombre sans précédent d’enfants séparés de leurs parents. Une situation à laquelle les pouvoirs publics et leurs partenaires internationaux tentent tant bien que mal d’apporter une réponse.
Depuis le 17 février, Maurice (nom d’emprunt), 10 ans, vit à SOS Village des enfants, à Santo 19, un quartier périphérique de la capitale. Cet enfant, qui est en 4e année du cycle primaire, n’est pas orphelin. Il ne se retrouve pas non plus par hasard dans cette résidence. Il y a été abandonné par son père. Il y vit avec deux de ses trois frères et ses deux petites sœurs, dont Claudine (nom d’emprunt) qui n’avait que de 45 jours lorsqu’elle fut laissée sur la cour de SOS Village des enfants. « Le père n’a rien laissé avec eux, pas même des habits de rechange », souligne Jeanide qui fait office de « maman » dans cette maison. Dans cette tâche, elle est soutenue par trois collègues qui y jouent le rôle de « tantes ». Un encadrement qui visait à reconstituer un environnement familial.
Le cas de Maurice n’est cependant pas un épiphénomène. Ils sont nombreux les enfants qui sont abandonnés par leurs parents. Certes, bien avant le 12 janvier, l’abandon d’enfants a été un problème récurrent en Haïti. Car on les retrouvait souvent sur la cour ou dans les hôpitaux, dans les rues, dans les poubelles ou même jetés dans des fosses septiques.
Une situation qui s’est aggravée
Depuis le séisme du 12 janvier, ce phénomène a pris une ampleur considérable. A titre d’illustration, SOS Village d’enfants qui, avant, recevait uniquement des orphelins, a dû mettre en place un programme d’urgence pour faire face à cette nouvelle réalité.
Aussi, de 152 enfants, cette institution caritative a vu son effectif passer à 427, dont plus de 200 enfants abandonnés ou « séparés de leur parents », selon une terminologie chère à l’UNICEF. Pour ce dernier, l’enfant peut ne pas être « sciemment abandonné » mais se retrouve dans l’impossibilité, pour « des raisons diverses » de retrouver ses parents. Par exemple, suite au tremblement de terre, certains parents sont tués ou ne parviennent pas à retrouver leurs enfants qui, parfois, vivent dans la rue ou dans des camps.
Comme SOS Village d’enfants, d’autres institutions travaillant dans la prise en charge des enfants ont eu à recueillir également des enfants séparés. Ces derniers, elles peuvent les retrouver directement. Elles peuvent aussi être informées par l’UNICEF et autres partenaires, des cas d’ « enfants séparés ». Selon les données dont dispose l’UNICEF, le nombre d’enfants ainsi enregistrés s’élèverait à 1505.
Si le facteur économique n’est certes pas le seul paramètre pouvant expliquer les séparations, il y joue néanmoins un grand rôle. Comme le souligne la responsable du projet « enfants séparés » de l’Unicef, Mme Christina Torsein, « la situation économique était déjà difficile. Mais avec le séisme, elle est exacerbée. Beaucoup de parents n’ont pas les moyens financiers de s’occuper de leurs enfants ». Cependant, fait-elle remarquer : « en dépit de tout, il importe de travailler au renforcement des liens familiaux afin de prévenir les séparations ».
Une perception que partage Jules Bernard Richard, coordonnateur des travailleurs sociaux à SOS Village des enfants. En effet, souligne-t-il, « même lorsque les parents sont identifiés, certains affirment être incapables de faire face à leurs obligations envers leurs enfants et refusent de les reprendre ». Le travailleur social d’ajouter : « la médiation ne permet pas toujours de convaincre les parents que la pauvreté n’est pas une raison pour que l’enfant soit séparé de son milieu familial ».
Réintégrer l’enfant au sein de sa famille
La prise en charge des enfants dans un centre résidentiel est d’abord provisoire. Ils y sont en attendant qu’on retrouve leur famille. Ils ne seront considérés comme définitivement placés dans un centre après que toute recherche de famille ou tentative de réunification familiale se sera révélée vaine.
Pour l’instant, les acteurs planchent sur la réunification familiale des enfants séparés. Un travail réalisé conjointement par l’IBESR et des partenaires de la communauté internationale. Parmi ces derniers figurent entre autres l’UNICEF, Save the Children, World Vision, Terre des Hommes, Heart Land Alliance, IRC (International Rescue Comitee), Comité International de la Croix Rouge (CICR), Catholic Relief Service (CRS). Chacune de ces agences couvrent une zone géographique.
Ce processus comprend l’identification des enfants séparés, leur enregistrement, la recherche de leur famille et la réunification familiale. Et pour faciliter la récupération de ces enfants, les acteurs qui y sont impliqués ont mis en place un « centre d’appel » que les responsables de camps et des institutions comme les hôpitaux, les écoles et les ONG peuvent utiliser pour informer sur d’éventuels cas. Le centre, pour sa part, contactera l’agence sur le « territoire » de laquelle a été retrouvé l’enfant afin qu’elle puisse faire le suivi.
Les institutions se donnent donc pour tâche de retrouver des membres de la famille des enfants séparés et faciliter leur réunification. A en croire Jules Bernard Richard, dans certains cas, les démarches d’unification se révèlent malaisées. Lors des rencontres avec les parents identifiés, il importe parfois de « les convaincre de l’intérêt qu’ont les enfants de vivre au sein de leur famille ». Selon l’UNICEF, quelque 200 enfants ont déjà réintégré le foyer familial. Et le travail de réunification se poursuit.
Des mesures d’accompagnement
D’autres mesures sont également mises en œuvre. Parmi elles, un travail de prévention et de réponse contre les violations à l’endroit des enfants. Aussi, à l’aide de supports écrits et audio sont transmis des messages relatifs aux comportements à adopter ou aux actions à entreprendre en vue de prévenir les violations. De même sont fournis des renseignements sur l’appui médical et autres services disponible en faveur d’éventuelles enfants victimes de violation.
L’IBESR, de concert avec l’UNICEF, avait peu après le séisme, procédé à un travail d’évaluation des centres résidentiels dans les endroits affectés. L’évaluation portait aussi sur les besoins et la qualité de la prise en charge offerte par les centres qui, en outre, ont reçu un appui matériel. Et suite à cette évaluation, l’IBESR, l’OEA et des agences de protection de l’enfant, avec le soutien technique de l’UNICEF ont entrepris l’enregistrement systématique des enfants dans les centres.
Pour permettre aux enfants de se retrouver dans un environnement qui soit le plus proche possible de leur environnement traditionnel, les acteurs ont créé à leur profit « espaces amis-enfants ». Il s’agit d’un espace de jeux récréatifs, de sensibilisation…Un espace qui leur appartient et où ils peuvent s’exprimer. C’est aussi un espace qui offre l’opportunité d’identifier les besoins particuliers des enfants, comme par exemple des signes de malnutrition, afin d’intervenir.
Avec la Brigade de Protection des Mineurs, la Police des Nations Unies (UNPol) affectée au BPM, le Fond des Nations Unies pour l’enfance, de concert avec l’IBESR et Heart Land Alliance, réalise un travail de prévention et de réponse à la traite des enfants. Il s’agit d’un travail de formation et de sensibilisation à l’endroit des policiers basés à la frontière ainsi que des agents de l’immigration également déployés à la frontière ou dans les aéroports.
A ce travail de prévention contre le trafic d’enfants participe également l’Unité « Child Protection » (Protection de l’Enfant), ainsi que la Section des Droits de l’Homme de la MINUSTAH. Une intervention qui s’est traduite par un appui technique au « Sub cluster » (sous-groupe de travail) Protection d’enfants. De même, Child Protection effectue un travail de terrain comprenant des visites dans les camps, dans les orphelinats et dans des hôpitaux, un ensemble d’endroits qui accueillent des enfants séparés.
L’Unité, avec d’autres composantes de la MINUSTAH, a par ailleurs effectué des enquêtes sur les allégations de trafics d’enfants. Et dans le cadre de ses démarches de prévention, elle a fait de la sensibilisation auprès du personnel des hôpitaux et lui a fourni les directives devant l’aider à être plus vigilant face à des actions ou tentatives pouvant déboucher sur des cas de trafic d’enfants. Des numéros de téléphone sont mis à la disposition des hôpitaux afin qu’ils puissent signaler des cas d’enfants non accompagnés ou tout mouvement suspect pouvant viser un enfant séparé de ses parents.
A propos de l’adoption, un domaine qui peut laisser porte ouverte à des trafics, Child Protection, de concert avec l’UNICEF et l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), a aussi joué sa partition. Aussi a-t-elle effectué, dans le cadre du vote de la loi sur l’adoption, un travail de plaidoyer auprès des parlementaires et fourni un appui technique notamment aux commissions parlementaires travaillant sur la problématique des enfants. Une initiative dont l’objectif est d’aider à avoir une loi qui soit adaptée et capable de prévenir le trafic d’enfant.
Toutes ces mesures répondent à la nécessité de faire face à une situation exceptionnelle. Car, comme l’a fait remarquer Mme Christina Torsein, « avec l’urgence, les besoins et la vulnérabilité des enfants se sont accrus de manière exponentielle et les réponses doivent aussi être exponentielles ». Des réponses qui ont eu cependant pour préalable le partenariat entre les pouvoirs publics et l’ensemble des acteurs de la communauté internationale.