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« Christophe a toujours eu une perception de la réalité différente de la nôtre »

Témoignage qui dessine le portrait accablant d’un accusé adopté et en creux, celui d’une parentalité adoptive glaçante


Libération - 30 septembre 2014 - par Ondine MILLOT (Envoyée spéciale à Aix-en-Provence) -

Christophe Morat est jugé pour avoir sciemment transmis le virus du sida   alors qu’il avait déjà été condamné pour les mêmes faits. Sa mère a témoigné lundi à son procès, reconnaissant une enfance marquée par les « tensions » et les « éclats ».

Elle s’est avancée d’un pas souple, droite, les épaules en arrière, une grande et belle femme en chemise blanche chic et pantalon noir. Elle s’est tournée vers lui et l’a regardé en penchant la tête douloureusement sur le côté. Elle est la mère adoptive de l’accusé, du « porteur de mort », du « tueur en série » comme disent certaines de ses victimes. Elle est attendue pour dire comment grandit un tel homme, où se situe la transformation, aux premiers pas, au sortir des couches, au tournant de l’adolescence, ou bien encore après ?

Christophe Morat, 40 ans, chauffeur de car, comparaît depuis lundi devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence pour avoir eu des relations sexuelles non protégées avec six femmes alors qu’il se savait porteur du virus du sida  . L’une d’elle a été contaminée. En 2005, il avait déjà été condamné à six ans de prison pour avoir transmis sciemment le virus à deux de ses partenaires, dont l’une s’est suicidée. Sur les bancs de la cour d’assises, les parties civiles voudraient savoir « pourquoi ». Pourquoi il a recommencé, dès sa sortie de prison, à « multiplier les conquêtes », toujours plusieurs à la fois, et à refuser le préservatif, disant qu’il n’y avait « pas de risque », qu’il était « clean ».

Mais la mère de Christophe ne l’a connu qu’à quatre ans et demi, « presque cinq », souligne-t-elle, « et à cet âge-là c’était un enfant qui avait une souffrance personnelle déjà inscrite », s’empresse-t-elle d’ajouter. Avec son mari kinésithérapeute, installé dans un petit village, ils souhaitaient « accueillir plusieurs enfants en même temps, c’était un choix ». Eux-mêmes sont issus chacun de familles nombreuses, huit frères et sœurs pour elle, sept pour lui. Est d’abord arrivé Walter (1), en 1977, puis l’année d’après Christophe et sa demi-sœur Lisa. « On a été confrontés assez vite à leurs personnalités, dit la mère. Et c’est vrai qu’on a eu des difficultés avec Christophe. Il y avait des choses dans sa tête qui bouillonnaient et qui explosaient. Ça n’était pas une adoption de tout repos. »

« Tensions très vives »

L’adolescence est arrivée, poursuit-elle. « Et avec, des tensions très vives, qui mettaient en péril notre équilibre familial. On a demandé un suivi. On a eu une éducatrice très bien, qui ne nous a pas du tout culpabilisés, et qui nous a proposé qu’il soit placé en foyer. » A 16 ans, Christophe retourne donc dans une structure de l’Aide sociale à l’enfance, une décision de ses parents adoptifs qu’il a vécue, a-t-il dit aux psys, « comme un deuxième abandon ». A 18 ans, il en ressort. « En ayant arrêté sa scolarité, en n’ayant pas de projet professionnel, pas de formation, décrit sa mère. On n’a pas accepté qu’il revienne chez nous à rien faire. Nous, les enfants, on les aide, on les garde à la maison s’ils ont un projet. Christophe n’en ayant pas… »

Le garçon part faire son service militaire. « A partir de là, les relations ont été plus distantes, mais aussi plus tranquilles, ça nous a permis de souffler. Il disait que son rêve était de devenir casque bleu. Des déclarations d’héroïsme, mais il n’y avait rien derrière. Il ne s’est même pas proposé. »

La mère de Christophe a terminé son récit, c’est le moment des questions. « Il nous a dit qu’il avait été maltraité », démarre la présidente. « Je n’ai pas souvenir de maltraitances, répond-elle de sa voix aérienne, distinguée. De fortes tensions, oui. Des éclats. Christophe était violent. Il fallait intervenir pour le mettre dans sa chambre. Il y a une fois où il a cherché à se battre avec son père… »

« Notre porte est toujours ouverte »

Depuis le box, où l’accusé n’a pas bougé de tout le témoignage, s’élève une voix cassée : « Non, c’est pas ça… » – « Monsieur Morat, levez-vous », ordonne la présidente. Il est maigre, les traits tirés, paraît plus que son âge. Du bel homme séducteur décrit par toutes ne reste que l’ombre. « J’ai des choses à dire là-dessus », démarre-t-il. « Non, coupe la présidente, vous répondez juste à ma question : avez-vous été maltraité ? » Il s’excuse, recommence : « Ce jour-là, je m’en souviendrai toute ma vie. Tous les cousins étaient là. J’étais en primaire. J’avais une punition à faire. Je devais copier 100 fois un mot. Si je faisais une faute, c’était ensuite 200 fois. C’est vite passé à 400 fois. » – « Ça, ce n’est pas de la maltraitance », l’interrompt à nouveau la présidente, courroucée. Il reprend encore : « A un moment, je me suis échappé de ma chambre par les toits. J’ai lancé un caillou dans une vitre. Puis j’ai été me cacher. Quand je suis ressorti, mes parents m’attendaient. Mon père m’a fait coucher sur un gros tronc de bois. Ma mère me tenait les bras. Et mon père me tapait avec un rondin. Jusqu’à en avoir les fesses bleues. A l’école, je ne pouvais plus m’asseoir. On m’a demandé ce que j’avais. J’ai dit que c’était les gitans qui m’avaient fait ça. »

La présidente n’est pas perturbée. « Et en dehors de ça ? » – « Plusieurs gifles. Quand j’étais puni ça n’était pas dans ma chambre, c’était à la cave. » – « Les gifles quand on a fait quelque chose de mal, ça n’est pas de la maltraitance, coupe encore la magistrate. C’est une punition. » La mère de Christophe Morat est interrogée sur l’épisode du rondin. « J’ai souvenir d’un caillou que tu as lancé, dit-elle en s’adressant à son fils. Mais je ne peux pas confirmer le reste. Malheureusement, poursuit-elle en se tournant vers les juges, cela atteste ce que l’on a souvent remarqué : Christophe a une perception de la réalité qui n’est pas la nôtre. »

Eric Morain, avocat de quatre des cinq parties civiles, a une question « sur le rejet » : « Votre fils a dit qu’il s’était toujours senti abandonné… » Elle répond de son ton toujours délicat, élégant : « Si on appelle rejet le fait d’intervenir pour dire stop, la vie n’est plus possible avec lui, il faut lui trouver une structure, alors oui. Mais c’est simplement un rejet du quotidien. Notre porte est toujours ouverte. Comme celle de la famille autour, qui est très grande, avec beaucoup d’oncles, de cousins. Ce clan a toujours fonctionné. Même pour lui. »

« Dans le déni »

L’avocate générale demande « comment ça s’est passé » avec les deux autres enfants. « L’aîné était doux et introverti. Il ne nous a posé aucun problème si ce n’est bien involontairement des problèmes scolaires. Mais lui aussi a éprouvé le besoin de couper les ponts à 20 ans. » La sœur Lisa, enchaîne la mère, « dans la petite enfance était facile. Et puis à 16 ans elle est partie. » C’est au tour d’un des avocats de la défense, Christophe Bass : « Je m’interroge sur ce que vous appelez la différence de perception de la réalité… » Elle le regarde placidement, puis se tourne à nouveau vers les juges : « L’histoire de la bûche, pour moi, ça n’a pas existé. Et puis s’il avait eu des bleus, il y aurait eu un retour de l’école. » Le défenseur reprend : « Est-ce qu’il a été corrigé manuellement ? » Elle hésite une seconde. « Oui, il a pris des fessées. Mais pour moi ça ne correspond pas à ce qu’il décrit. »

L’avocat a une dernière question. Pourquoi n’a-t-elle pas demandé de permis de visite pour aller voir son fils, en détention provisoire depuis deux ans et demi. Elle se redresse : « C’est très dur d’avoir élevé un enfant qui… En plus j’ai l’impression qu’il est dans le déni. Alors j’attends le procès. Une fois que la peine sera prononcée, je pourrais recommuniquer avec lui. Comme ça, on ne parlera plus de tout ça. »

L’avocat rappelle que Christophe Morat a d’emblée reconnu les faits. Dans le box, lui s’est levé, mais il ne regarde pas sa mère. Ses yeux sont fixés dans une autre direction, le fond de la salle. Au dernier rang, un jeune homme, brun, grand, costaud. Son fils de 19 ans. Le garçon est en pleurs. Le père lève les bras, lui fait un coucou, tandis qu’un gendarme lui repasse les menottes.


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 1er octobre 2014

 

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