Accueil >>  Adoption internationale et nationale

Haïti, deux ans après : et l’adoption ?

Un an après "La gestion des adoptions internationales en Haïti", le regard du SSI


Revue Humanitaire - mai 2012 - par Hervé Boéchat -

Tout début 2011, nous consacrions un dossier spécial à l’année passé depuis le tremblement de terre en Haïti. Et Hervé Boéchat [1] tirait déjà un bilan plus que mitigé de l’adoption internationale dans ce contexte. Une nouvelle année a passé et nous avons demandé au même auteur, sous-secrétaire général du Service social international (SSI), (ndr : phrase coupée par erreur dans l’édition originale)

La situation générale d’Haïti deux ans après le tremblement de terre, a fait l’objet de plusieurs articles, rapports et reportages ces derniers temps. D’une manière générale, ces différentes sources constatent d’une part que les étapes nécessaires à la sortie de crise (stabilisation sanitaire, rétablissement des voies de communication, sécurité, etc.) ont été en grande partie réalisées, mais que, d’autre part, la fin de la phase urgence crée de nouveaux défis (retrait des organisations humanitaires, fermeture des camps de sinistrés, phase de reconstruction, etc.). Les chantiers sont encore nombreux, alors que l’aide internationale n’a pas été versée à hauteur de ce qui avait été promis. Des efforts institutionnels haïtiens

Dans le domaine spécifique des mesures de prises en charge alternatives des enfants, l’autorité centrale haïtienne IBESR (Institut de bien-être social et de recherches) et sa nouvelle directrice ont entamé plusieurs actions visant à améliorer le système de protection de l’enfance. Une campagne systématique d’évaluation des crèches a ainsi été lancée en vue d’en réduire le nombre et de mieux surveiller leurs activités. Cette entreprise difficile constitue un premier pas essentiel vers un encadrement plus efficace des acteurs concernés. Des programmes promouvant de nouvelles formes de placement familial, soutenus par les organisations non gouvernementales, se sont également développés avec succès, comme le regroupement familial ou le placement en famille d’accueil. Le président Martelli a quant à lui pris des engagements, demandant par exemple la fin de l’adoption individuelle.

Des conditions minimales non remplies

Dans le même temps, la question de l’adoption internationale a continué à se poser de manière insistante, tant pour la gestion des cas transitoires que pour décider de la « reprise », ou non, des procédures. À ce jour, et malgré des initiatives comme la création du « Groupe de Montréal », les pays d’accueil n’ont pas réussi à choisir une position commune : certains avaient cessé les adoptions avant le tremblement de terre, d’autres les ont suspendues puis les ont reprises, d’autres encore n’ont jamais formellement arrêté. Au sein même de certains pays d’accueil, des autorités régionales ont pu choisir la suspension, alors que d’autres poursuivent les adoptions.

Or, sur ce premier point, la pratique de l’adoption internationale au cours des trente dernières années démontre à l’envi que ces approches antinomiques peuvent constituer un facteur aggravant dans les contextes les plus fragiles, et qu’elles vont à l’encontre du principe essentiel de coopération prôné par la Convention de La Haye sur l’adoption internationale. La confusion des messages à l’intention des autorités politiques d’un pays d’origine empêche ces dernières d’aborder la question de l’adoption de manière globale et structurée, favorisant ainsi la persistance de systèmes connus pour leurs insuffisances.

Mais la confusion règne aussi sur le plan législatif, comme l’illustre la question du cadre légal de l’adoption. La révision de la loi de 1974 a été lancée il y a bien longtemps déjà, et est toujours en cours. De nombreuses versions de la nouvelle loi ont été mises en consultation, mais par manque de coordination, il s’avère qu’aujourd’hui une version, acceptée par le Parlement, a été déposée devant le Sénat, alors qu’une nouvelle mouture encore en préparation devrait être soumise au Parlement prochainement. À cela s’ajoute le fait qu’Haïti a signé la Convention de La Haye, dont la ratification pourrait intervenir à tout moment. Or, selon le système haïtien (moniste), l’entrée en vigueur de ce texte pourrait impliquer l’annulation des normes légales existantes qui n’y seraient pas conformes, ce qui est le cas, pour partie du moins, de la loi de 1974. Il existe donc un risque de vide juridique dans l’éventualité d’une ratification précipitée qui n’aurait pas été précédée d’une révision législative appropriée.

Énumérer ici les problèmes auxquels l’IBESR doit faire face serait bien fastidieux ; contentons-nous de citer : un budget de fonctionnement insuffisant, l’absence d’un système de protection de l’enfance sur lequel poser l’adoption comme mesure subsidiaire, le recueil du consentement des parents biologiques peu sécurisé à cause d’un état civil inefficace, le rôle des acteurs privés (crèches, avocats, organisations caritatives étrangères), etc. En résumé, et en l’état actuel, il apparaît que les conditions minimales qui permettraient de réaliser correctement des adoptions internationales ne sont pas encore remplies. C’est d’ailleurs le constat que partage la dizaine de pays d’accueil qui ont renoncé aux adoptions haïtiennes.

Pour un moratoire des adoptions internationales

Face à cette situation, le rôle des organisations de défense des droits de l’enfant impose d’appeler à une suspension des adoptions internationales. Il est en effet essentiel d’offrir à Haïti le temps nécessaire à la réflexion, puis à la mise en place de la politique de protection de l’enfance qu’il aura choisie.

Il ne s’agit pas ici de plaider pour la fin des adoptions, car les observateurs s’accordent également à dire que les besoins existent, et que l’adoption internationale reste une véritable option pour les enfants qui peuvent en bénéficier. Il faut par contre s’octroyer une pause. La gestion des cas transitoires post-tremblement de terre est maintenant terminée, et le mouvement de reprise est à peine amorcé. Pour reprendre une expression anglophone, un espace d’opportunité se présente, qu’il s’agit de saisir afin d’éviter une reprise prématurée, porteuse de risques dans un contexte encore très instable. Bien sûr, la fermeture, même provisoire, d’un pays d’origine, soulève à son tour de nombreuses questions pour le pays d’origine, mais aussi pour les pays d’accueil. C’est une décision difficile et courageuse, mais l’expérience des pays d’origine qui l’ont mise en œuvre en démontre le plus souvent la nécessité.

Pour être efficace, une suspension doit remplir un certain nombre de conditions. Celles-ci sont connues, car elles se fondent sur ce qui s’est passé dans d’autres pays d’origine, et ont fait l’objet d’une publication, comme le Guide de bonnes pratiques n °1 de la Conférence de La Haye. En résumé, une suspension temporaire doit reposer sur les points suivants : décider d’un calendrier et s’y tenir ; informer les pays d’accueil et encourager la coopération ; déterminer le sort des dossiers en cours ; mettre en place un comité en charge du projet de révision ; identifier les besoins et les priorités en vue de la ratification de la Convention de La Haye ; dégager un budget ; établir un plan d’action et le mettre en œuvre pendant la période prévue.

Il serait évidemment naïf de croire que ces différentes étapes puissent se réaliser sans encombre dans un contexte aussi complexe que celui qui existe actuellement à Haïti. La charge de travail, la complexité des questions à traiter, les enjeux sociaux, politiques et économiques sont autant de facteurs qui doivent être pris en compte. Mais avant tout, c’est d’une volonté politique dont une telle démarche a besoin. La République d’Haïti doit, souverainement, décider si elle veut, ou non, réaliser des adoptions, et dans quelles conditions.

Si la question des ressources constitue un obstacle (ce dont on ne peut guère douter), il s’agira alors d’en appeler aux donateurs institutionnels et privés. La réalisation d’un tel projet constitue un véritable défi, mais n’a rien d’insurmontable. Le Groupe de Montréal s’est prononcé plusieurs fois sur sa volonté d’aider Haïti à réaliser un tel projet ; le Bureau permanent de la Conférence de La Haye le soutiendrait sans aucun doute ; le Service social international et Terre des Hommes approfondissent actuellement leurs réflexions sur ce sujet et sont prêts à proposer leur expertise en la matière.

L’adoption internationale est une mesure efficace de protection, à condition qu’elle soit prise pour le bon enfant et pour les bonnes raisons. Il ne sera pas possible d’atteindre ce but à Haïti sans passer par une profonde réforme du système, comme cela a été fait dans de nombreux pays d’origine, mais aussi dans les pays d’accueil. Il est aujourd’hui essentiel de prendre du recul et d’envisager une approche à long terme, en gardant à l’esprit que les enfants adoptés aujourd’hui deviendront des adultes qui, demain, exigeront des réponses à leurs questions.


[1] Hervé Boéchat est sous-secrétaire général du Service social international (SSI), à Genève. Le SSI est une organisation internationale sans but lucratif qui soutient les enfants, les familles et les individus confrontés à des problèmes sociaux liés à une migration ou un déplacement international et impliquant plus d’un pays. Le Centre international de référence pour les droits de l’Enfant privé de famille (SSI/CIR) est une division du secrétariat général du SSI qui a été lancé en 1997. Sa mission fondamentale consiste à partager, diffuser et promouvoir des bonnes pratiques en matière d’adoption internationale et, plus largement, de protection des enfants privés de famille ou en risque de l’être, en besoin d’adoption ou déjà adoptés. Il vise à soutenir les professionnels à travers le monde.


VOIR EN LIGNE : Revue Humanitaire
Publié sur OSI Bouaké le jeudi 9 août 2012

 

DANS LA MEME RUBRIQUE