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A Téteghem, l’aide aux migrants, est une affaire de femmes


Dunkerque - François Beguin - Le Monde - 1 juin 2012

Elles ont commencé "comme ça", après leur départ en retraite, parce qu’une amie leur en avait parlé. Elles invoquent un nécessaire "humanisme" et disent : "quand on s’engage, on ne peut pas faire ça en touriste". Elles sont sans doute fichées par la police mais ne s’en inquiètent pas. Elles savent que les migrants, ce qu’ils veulent le plus, ce sont des bonnes baskets. "Parce que pour eux, c’est le nerf de la guerre." Toutes consacrent bénévolement plusieurs demi-journées par semaine à aider les migrants des camps de Téteghem et de Grande-Synthe, à côté de Dunkerque.

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Des bénévoles de l’association Salam, dans la cuisine prêtée par la paroisse de Grande-Synthe. © Elodie Ratsimbazafy

Il y a le docteur Brigitte Marc, 68 ans, de Médecins du Monde. Marie-Jo Westrelin, 65 ans, de l’association AMiS (Aide migrants solidarité). Marie, 61 ans et Gillette, bientôt 80 ans, de l’association Salam. L’une prodigue des soins, les autres conduisent les migrants aux douches ou préparent et distribuent des repas. A travers elles, c’est de plusieurs dizaines d’autres bénévoles dont il est question, en grande majorité des femmes, souvent à la retraite.

Certains mardis en fin de matinée, elles se croisent au bord du lac de Téteghem où séjournent en permanence entre 20 et 40 migrants. Des Afghans, des Iraniens, des Irakiens, quelques Vietnamiens aussi, qui passent ici quelques semaines, "rarement plus", en attendant de trouver le bon camion pour l’Angleterre. "Et quand ça traîne trop, ils vont vers Calais."

Leur engagement est postérieur à la fermeture du camp de Sangatte, en décembre 2002, quand les migrants chassés du Calaisis se sont rapprochés de Dunkerque. Celles qui ont connu le camp de Loon-Plage, fermé depuis, parlent de conditions "inhumaines". "La première fois que j’y suis allée, raconte Marie (Salam), je m’en souviens comme si c’était hier. C’était en hiver. J’ai touché les doigts d’un migrant qui dépassaient de son duvet, ils étaient froids comme de la pierre. Je n’en ai pas dormi pendant quinze jours."

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Le docteur Brigitte Marc, au camp de Téteghem. © E.R

"On est là pour préserver la santé. Si on ne fait pas ce métier-là avec des convictions, ce n’est pas la peine de le faire." Le docteur Brigitte Marc, qui travaillait auparavant dans une grosse entreprise sidérurgique du Dunkerquois, est depuis deux mois référent médecin pour Médecins du Monde, ce qui lui prend un à deux jours par semaine. Un mardi matin par mois, elle consacre deux heures à la consultation médicale au camp de Téteghem. "En règle générale, ce sont des populations jeunes qui n’ont pas de gros soucis de santé. Les problèmes fréquents sont liés à leur mode de vie, il y a beaucoup de cas de gale." Au début de l’année, conseillée par l’association, la communauté urbaine de Dunkerque a installé des cabanons et des toilettes sèches dans le camp.

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Marie-Jo Westrelin apporte du linge propre aux migrants, au moment de la douche aux vestiaires du stade de Téteghem. © E.R

Marie-Jo Westrelin a commencé à s’impliquer après sa retraite (elle était travailleur social) en janvier 2008. "A l’époque, c’était à la bonne franquette, se souvient-elle. C’est parti d’un constat au sein de la paroisse : on parlait d’évangiles et à côté de chez nous, il y avait des gens qui avaient froid et faim." L’association AMiS, montée à Téteghem au début de l’année, compte une trentaine de bénévoles, dont la moitié sont actifs. Outre la préparation et la distribution de repas le samedi matin, chaque mardi, ils sont six à se relayer pour conduire les migrants aux douches des vestiaires du stade municipal du stade de Téteghem et leur proposer des vêtements en bon état. Pour effectuer ce court trajet, Marie-Jo fait monter les migrants par groupe de trois dans sa voiture. Dans l’association, ils ne sont que quatre à le faire. "Pour différentes raisons, les autres ne veulent pas le faire, dit-elle. C’est vrai que quelque part, on n’a pas le droit. Nos voitures sont repérées mais la police ferme les yeux."

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Gillette Gillet, bientôt 80 ans. © E.R

Gillette Gillet, de l’association Salam, respecte strictement certaines règles : "On ne les prend pas dans nos voitures, on ne donne pas nos numéros de téléphone, on ne prête pas nos portables, explique-t-elle. Je m’en tiens à l’humanitaire." Chaque mardi, de 7h30 à 16 heures, avec d’autres bénévoles, "des copines", elle prépare puis distribue des repas pour les migrants. Et tous les jours, elle vient au local apporter le pain et la viande donnés par des commerçants. L’aide aux migrants ne représente qu’une partie de ses activités : Gillette s’investit également à ATD-Quart Monde, à Emmaüs, au MRAP, au SAPPEL, à Amnesty International. "Mon engagement, c’est parce que je suis chrétienne." Veuve depuis l’âge de 33 ans (elle en a bientôt 80), "l’amour que je ne donne pas à mon mari, je le donne autour de moi", ajoute-t-elle.

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Marie : "quand on s’engage, on ne peut pas faire ça en touriste". © E.R

L’époux de Marie évoque parfois en souriant tout le temps qu’elle passe avec "ses Afghanistanais..." Lui, son truc, c’est le bateau. En retraite depuis un an (elle était secrétaire médicale à mi-temps), Marie consacre ses lundi, jeudi et samedi matins à la préparation et à la distribution de repas. De temps en temps, elle aide pour les douches. Par ailleurs, quand elle ne s’occupe pas de ses petits-enfants, elle donne des cours d’alphabétisation dans une autre association. "Certains nous demandent pourquoi on fait tout ça... Moi, je ne regrette pas une seconde, ça fait partie de ma vie..." Elle dit aussi : "Des fois c’est dur, des fois, ça va tout seul. Parfois, il y a des détresses... Ces gars-là, ils sont écorchés aux trois quarts. Et je ne sais pas comment le quart restant va se remettre debout. Parce qu’une fois en Europe, ils sont foutus. Il n’y a pas un pays qui en veut. Ils tournent. Leur vie, c’est l’errance."

"Ce qui m’interpelle, commente Brigitte Marc, c’est pourquoi il y a des migrants. Si des pays nantis comme les nôtres n’allaient pas tout dérégler pour des questions d’intérêt, il n’y en aurait pas. Pour eux, le rêve serait de travailler tranquillement dans leur pays. »

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Au camp de Téteghem. 2e ligne à gauche : la citerne d’eau. En bas : cabanes construites par la CUD et Médecins du Monde, et à droite, une douche et une toilette sèche. © E.R

Publié sur OSI Bouaké le samedi 2 juin 2012

 

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