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Les carences de l’aide alimentaire

Analyse. Les ONG pointent les lacunes de la lutte contre la malnutrition infantile et réclament une réforme.


Libération - 13 octobre 2010

L’aide alimentaire d’urgence est inadaptée pour lutter - efficacement - contre la malnutrition infantile, qui touche 195 millions d’enfants de moins de 5 ans. Et sa composition doit être revue au plus vite, dénonce Médecins sans frontières (MSF  ), avant la journée mondiale de l’alimentation, samedi. L’ONG a lancé une pétition destinée au G8 2011, à Nice. Et lance une campagne (Starved for Attention), où elle demande aux pays donateurs de réformer leur politique.

Pourquoi l’aide est caduque ?

Parce qu’elle est composée essentiellement de farines enrichies à base de soja ou de maïs. Ces corn soya blend (CSB) qui, à l’instar des WSB (wheat soya blend, farine de maïs et de blé), « n’apportent pas aux enfants de moins de 2 ans, les plus vulnérables, les éléments indispensables à leur nutrition », résume Marie-Pierre Allié, présidente de MSF  . Qui fustige une politique de « double standard. Nous ne donnerions jamais à nos propres enfants la nourriture que nous envoyons à ceux des foyers de malnutrition d’Afrique et d’Asie ». Conçues il y a plus de quarante ans, « elles ne contiennent pas de protéines animales, pas assez de minéraux et de vitamines, et ont même des facteurs antinutritionnels », ajoute Stéphane Doyon, responsable « nutrition » de la campagne d’accès aux médicaments essentiels de MSF  . Les pays riches le savent bien qui, aujourd’hui encore, à l’image des Etats-Unis, ont des programmes d’aide alimentaire variée. « Près de 25% d’Américains de moins de 5 ans en bénéficient », note Doyon. Pourtant, si un consensus scientifique existe désormais, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS  ) au Programme alimentaire mondial (PAM), les donateurs privilégient toujours une aide liée à leur propre agriculture. Si l’Europe ou le Canada bougent, ce n’est pas le cas du Japon et des Etats-Unis. « [Ces derniers] donnent bien du cash, mais obligent à en dépenser une grande partie aux Etats-Unis, dit Doyon. Avec des fournisseurs identifiés. » A l’image de l’Ethiopie, où 70% de l’aide est made in USA.« Les règles liées aux transport et emballage peuvent ainsi coûter aux contribuables jusqu’à deux dollars pour chaque dollar d’aide livrée », estime le Government Accountability Office (organisme du Congrès américain en charge du contrôle des comptes publics). Les mains liées par sa loi agricole (Farm Bill), la nouvelle politique d’aide américaine entrera en vigueur en 2012.

Que faut-il faire ?

Déjà, arrêter de déverser les surplus maquillés en aide. Une pratique en diminution, mais qui entraîne une baisse des prix massive, ruinant des filières entières. Un effet démontré par Theodore William Shultz, prix Nobel d’économie en 1979. Ensuite, consacrer davantage d’argent à la lutte. Une étude de la Banque mondiale évalue à 7,4 milliards d’euros par an le montant nécessaire pour sortir 360 millions d’enfants de la malnutrition dans 36 pays. Enfin, et surtout, « il faut renouveler les formulations thérapeutiques », dit Marie-Pierre Allié. Des pâtes nutritives d’urgence, genre Plumpy’nut, comme en fournit depuis 1996 le français Nutriset. La firme doit annoncer aujourd’hui la mise en place « d’accords d’usage » de son brevet avec des firmes de plus de 25 pays africains intéressés, contre 1% de leur chiffre d’affaires. « Une avancée, même si la bataille pour l’accès au plus grand nombre [de personnes] ne fait que commencer », résume un expert de l’OMS  .

Existe-t-il Une solution antifaim ?

Non, évidemment. « Pour s’attaquer aux causes profondes de la faim, il faut jouer sur plusieurs leviers : du commerce à la santé, en passant par l’accès à l’eau », dit un expert de la FAO (Organisation de l’ONU   pour l’alimentation et l’agriculture). Lutter comme la spéculation et la volatilité des prix, le sous-investissement dans l’agriculture. S’adapter à la lutte contre les changements climatiques. La FAO évalue à 54 milliards d’euros l’investissement nécessaire dans le développement rural, la sécurité alimentaire et les programmes nutritionnels. Des pays confrontés chroniquement à ces problèmes ont pris des initiatives. Le Malawi a ainsi distribué trois millions de coupons aux agriculteurs pour l’achat d’engrais. « Les experts ont calculé que les récoltes ont été 20% plus élevées », rappelle ainsi l’association Oxfam. Le Malawi est devenu donateur d’aide alimentaire au Lesotho ou au Zimbabwe. Mais cette politique volontariste reste vulnérable aux chocs externes. Elle a été rattrapée par la flambée des prix et, cette année, la sécheresse. Près d’1,5 million de malawites (10% de la population) seraient en situation d’insécurité alimentaire. « N’empêche, résume Stéphane Doyon, lutter contre la faim, ce n’est pas qu’une dépense, c’est aussi un investissement. On le voit avec le Brésil, où la faim est non seulement un enjeu moral, mais aussi stratégique. » La clé ? « Transformer l’aide alimentaire en assistance alimentaire. Avec des réponses flexibles. » Et une politique internationale à la hauteur des enjeux.

Encadré : Repères

  • 925 millions de personnes ont été touchées par la faim dans le monde en 2010. Un enfant en meurt toutes les dix secondes.
  • Le Programme alimentaire mondial (PAM) est le principal fournisseur d’aide alimentaire dans le monde. Il a secouru plus de 100 millions de personnes en 2009. En 2010, les premiers donateurs sont les Etats-Unis (790 millions d’euros), devant l’UE  , le Canada, et le Japon.
  • Médecins sans frontières : Créée en 1971, elle est la plus grande ONG médicale de la planète. En 2009, elle a soigné 250 000 enfants souffrant de malnutrition, via 116 programmes répartis dans 34 pays. En 2009, la section française a dépensé 103 millions d’euros en missions.
  • Depuis le 31 mars, L’Union européenne a formellement brisé l’aide liée à son agriculture. Elle compte désormais distribuer de l’argent liquide ou des coupons alimentaires, ou acheter l’aide dans le pays nécessitant une assistance. Mais la mise en pratique tarde…

Publié sur OSI Bouaké le mercredi 13 octobre 2010

 

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