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Les labos pharmaceutiques sabotent les génériques


Par David Servenay - 11/30/2008 - 17:06

Certains rapports de la Commission européenne décortiquent magistralement les pratiques de lobbying des grands groupes. C’est le cas du rapport préliminaire sur les ententes et abus de position dominante de l’industrie pharmaceutique [1], présenté par Nelly Kroes, commissaire à la concurrence. Ou comment les labos utilisent toutes les ficelles pour ralentir la percée des médicaments génériques. Revue des moyens de pressions.

Rapport préliminaire sur les ententes dans l’industrie pharmaceutique par N. Kroes. [2]

La Commissaire à la concurrence ne manie pas la langue de bois, lorsqu’elle résume les résultats de l’enquête lancée en janvier 2008 par ses services :

"Si je suis dans une situation privilégiée et que je sais que vous allez entrer dans mon jardin, alors j’essaye de m’entendre avec vous : vous obtenez un peu d’argent et vous restez en dehors de mon jardin."

Nelly Kroes a de quoi étayer son propos (télécharger son rapport ci-dessous). Bruxelles a lancé des perquisitions dans les plus grands laboratoires pharmaceutiques : Pfizer et Merck (américains) AstraZeneca et GlaxoSmithKline (britanniques) ou encore Sanofi-Aventis (français). Le sort de 219 médicaments a été scruté à la loupe sur la période 2000-2007. Objectif : comprendre comment les laboratoires pharmaceutiques se comportent vis-à-vis de leurs concurrents promoteurs des médicaments génériques.

Comme le soulignent d’emblée les enquêteurs, l’enjeu est majeur :

"Le marché des médicaments avec et sans ordonnance a une valeur de plus de 138 milliards d’euros au prix “sortie d’usine” et de 214 milliards au prix au détail, ce qui se traduit en 2007 par une dépense au détail de 430 euros pour chaque citoyen de l’UE  ."

Leurs conclusions sont accablantes, dessinant les lignes du parfait petit manuel du lobbying pharmaceutique.

La bataille des brevets : 420 millions d’euros

Premier moyen pour empêcher un concurrent de s’implanter : mener une véritable guérilla procédurale, sur le fondement des brevets qui protègent les nouveaux médicaments. Sur la période, les enquêteurs ont recensé "1300 contacts et différends, hors juridiction, liés aux brevets et concernant le lancement de produits génériques". Le nombre de litiges (68) a été multiplié par quatre, pour une durée moyenne de 2,8 années. La France mauvaise élève

Est-ce lié au poids de l’industrie pharmaceutique ? En tout cas, la France est cataloguée comme l’un des plus mauvais élèves européens en matière de promotion des génériques : "La part des médicaments génériques varie significativement d’un Etat Membre à l’autre. En valeur, la part des médicaments génériques est la plus forte en Pologne (56%), au Portugal et en Hongrie (tous deux 32%), et la plus faible en Irlande (13%) en France (15%) et en Finlande (16%)."

En clair, les labos cherchent à retarder le plus possible l’arrivée des génériques, à partir de l’expiration des brevets. En multipliant les protections juridiques : un médicament a fait l’objet de 1300 brevets ! En sachant pertinemment que les recours sont dilatoires :

"La majorité des litiges devant les juridictions ont été initiés par les entreprises innovantes (les labos, ndlr). Cependant lorsqu’une décision finale de justice a été rendue, les entreprises de génériques l’ont emporté dans la majorité des cas (62%)."

Cette guérilla coûte des fortunes. Elle est estimée sur sept ans à 420 millions d’euros. Conclusion :

"Les résultats préliminaires de l’enquête montrent que les entreprises innovantes se sont engagées dans des stratégies dites “stratégies de brevet de défense” (“defensive patent strategies”). Les brevets relevant de cette catégorie ont été utilisés principalement dans le but de bloquer le développement d’un nouveau médicament concurrent."

Le business de l’arrangement amiable

Deuxième méthode, plus subtile, pour amortir l’émergence des génériques : l’arrangement amiable. Là encore, cette pratique tend à se développer :

"Entre 2000 et juin 2008 plus de 200 règlements amiables couvrant 49 médicaments ont été conclus."

Le rapport préliminaire ne fournit que peu de détails sur le contenu de ces arrangements. Sauf qu’ils incluent en général des accords de licence. Ce qui est certain, c’est qu’ils rapportent pas mal d’argent aux détenteurs des brevets :

"Les paiements directs se sont produits dans plus de 20 règlements amiables et le montant total de ces paiements directs des entreprises innovantes vers les entreprises de génériques a excédé 200 millions d’euros."

En filigrane, la commissaire à la concurrence suggère que ces "règlements amiables" donnent lieu à d’intenses pressions de la part des labos, y compris entre eux, puisque de grands noms de la pharmacie sont aussi producteurs de génériques.

Interventions sur les autorités et les grossistes

Troisième méthode pour mettre des bâtons dans les roues des fabricants de génériques, les interventions à différents niveaux de la chaîne de commercialisation. Le premier est celui de l’autorisation de mise sur le marché (AMM  ), présente dans tous les pays de l’Union, surtout ceux qui usent d’un contrôle des prix.

Dans ce cadre, les labos n’hésitent pas à pratiquer des véritables opérations d’intox auprès des agences publiques qui délivrent ces AMM   :

"Les entreprises innovantes ont fait valoir dans leurs interventions que les produits génériques étaient moins sûrs, moins efficaces et/ou de moindre qualité. Elles ont aussi soutenu que les autorisations de mise sur le marché et/ou l’obtention du régime de fixation des prix et de remboursement pourraient enfreindre leurs droits émanant des brevets, quand bien même les agences responsables des autorisations de mise sur le marché ne peuvent pas prendre cet argument en compte."

Or, en cas de litige lié au brevet, les labos n’ont obtenu des décisions favorables que dans 2% des cas. Mieux : après les agences publiques, les industriels mettent tout en œuvre auprès de la chaîne commerciale :

"Enfin, il existe des indices selon lesquels les entreprises innovantes essaient d’influencer la chaîne de distribution (les grossistes) et les sources d’approvisionnement de principes pharmaceutiques actifs nécessaires à la production du médicament en question."

Le rapport n’en dit pas plus, mais il souligne que les officines sont de plus en plus la cible des laboratoires, qui cherchent ainsi à contrôler directement la distribution de leurs produits.

Les médicaments de seconde génération

"Last, but not least" : la méthode dite des "follow on products". En Français, les médicaments de seconde génération. Lorsqu’une molécule tombe dans le domaine public, le laboratoire élabore un médicament très proche, mais avec une molécule légèrement modifiée.

Pour la période considérée, cela concerne environ 40% des médicaments susceptibles faire l’objet d’un générique. Et surtout les plus chers. Le modus operandi des laboratoires est alors très simple :

"Afin de lancer avec succès une seconde génération de médicament, les entreprises innovantes entreprennent d’intenses efforts de marketing dans le but de faire passer un nombre substantiel de patients au nouveau médicament avant l’entrée sur le marché d’une version générique du produit de première génération. Si elles réussissent, la probabilité que les entreprises de génériques soient capables d’obtenir une part de marché significative décroît de manière importante."

Dans le cas contraire, le générique a toutes les chances de s’imposer. Les sommes consacrées au marketing prennent alors tout leur sens :

* 17% du chiffres d’affaires provenant des médicaments sur ordonnance est investi en R&D, mais seulement 1,5% sur la recherche fondamentale ; * 23% du chiffre d’affaires est consacré à la commercialisation et à la promotion.

Tout cela n’est pas sans conséquence pour les budgets publics, puisque la commission relève que les génériques ont permis d’économiser 14 milliards d’euros. Mais que, sans ces manœuvres de l’industrie, la collectivité aurait pu s’épargner 3 milliards de plus.

Réponse du président de la Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques (EFPIA) [3], Arthur Higgins (patron de la branche santé du groupe Bayer) :

Le rapport "surestime le niveau et les raisons des retards dans l’accès des génériques au marché". C’est "une occasion manquée" de s’attaquer au manque de concurrence entre médicaments génériques. "Nous sommes favorables à un marché des génériques efficace" car ils "dégageront des économies qui pourront être réinvesties".

Le rapport final est prévu pour le printemps 2009.

Liens : [1] http://ec.europa.eu/comm/competitio... [2] http://eco.rue89.com/files/20081130... [3] http://www.efpia.eu/Content/Default...

.: Rapport préliminaire sur les ententes dans l’industrie pharmaceutique par N. Kroes :.

VOIR EN LIGNE : Rue89
Publié sur OSI Bouaké le mercredi 3 décembre 2008

 

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