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Une campagne de Médecins du monde censurée pour ne pas fâcher l’industrie pharmaceutique


Bastamag, Sophie Chapelle, 15 Juin 2016 - "Chaque année en France, le cancer rapporte 2,4 milliards d’euros », « Le mélanome c’est quoi exactement ? C’est 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires », « Une leucémie, c’est en moyenne 20 000 % de marge brute »... Voici trois des douze slogans choc de la campagne « Le prix de la vie », lancée par Médecins du monde le 13 juin pour dénoncer « le prix indécent des médicaments ». Selon l’ONG, « les laboratoires déterminent le prix des médicaments en fonction de la capacité maximale des États à payer pour avoir accès au traitement ». En clair, plus un État est riche, plus le prix sera élevé.

Cette campagne bénéficie d’un relais énorme sur les réseaux sociaux, suite au refus des afficheurs – parmi lesquels JC Decaux, Insert et Médiatransports – de diffuser cette campagne. Ces derniers se sont rangés derrière un avis défavorable – mais uniquement consultatif – rendu par l’Autorité de la régulation professionnelle de la publicité (ARPP) qu’a consulté les Inrocks. L’ARPP pointe trois raisons : la « référence à des maladies graves » qui « pourrait être perçue comme choquante par le public », des « allégations chiffrées » qui ne sont pas sourcées sur les affiches, et « le risque de réactions négatives (...) de la part des représentants de l’industrie pharmaceutique ».

Faut-il voir dans ce refus la pression des industries pharmaceutiques ? Le Leem, principal syndicat des entreprises du médicament, dénonce dans un communiqué les propos diffusés par les visuels de Médecins du monde, qu’il juge « caricaturaux et outranciers ». Le syndicat affirme que « la plupart des médicaments ont aujourd’hui des prix particulièrement bas » et qu’« en aucun cas, les industriels ne fixent leur prix de façon unilatérale ». De son côté, la campagne de Médecins du Monde pointe le prix exorbitant du Sofosbuvir, un traitement innovant contre l’hépatite C qui coûte aujourd’hui près de 41 000 euros par patient, alors qu’il ne coûterait que 102 euros à produire (voire notre article). Avec 192 700 personnes atteintes par l’hépatite C chronique, le traitement de la totalité des malades coûterait environ 8 milliards d’euros... Difficile à ce prix-là pour la Sécurité sociale de rembourser tout le monde [1].

« Le prix indécent des médicaments, ça va durer encore longtemps ? »

Faute d’avoir eu accès aux panneaux publicitaires des annonceurs, Médecins du monde diffuse ses affiches sur internet, dans la presse et bénéficie d’un vaste relais sur les réseaux sociaux. Censurée, la campagne Le prix de la vie connait un véritable « effet Streisand » : la volonté d’empêcher la divulgation de ces informations a déclenché le résultat inverse [2]. L’ONG a également annoncé entamer un affichage sauvage dans les rues, avec l’aide de nombreux particuliers.

En un peu plus de 48 heures, plus de 120 000 personnes ont également signé la pétition « Le prix indécent des médicaments, ça va durer encore longtemps ? ». « Nous sommes tous en droit de connaître le processus qui détermine le prix d’un médicament », souligne cette pétition adressée à Marisol Touraine, la ministre de la Santé. « Ne laissons pas les laboratoires estimer pour nous "le prix de la vie" sur des critères de rentabilité. (...) Alors nous aimerions vous poser une simple question : Quand il s’agit de Santé, est-ce au marché de faire la loi, ou est-ce à l’État ? » Médecins du Monde demande notamment au gouvernement d’utiliser, pour faire baisser le prix des médicaments, les licences d’office, qui permettent la création d’un générique lorsque le prix du médicament d’origine est trop élevé [3]. L’ONG réclame également la transparence des coûts de recherche et développement dans l’industrie pharmaceutique, ainsi qu’un modèle alternatif au brevet.

Notes [1] Une équipe de chercheurs de Liverpool a estimé que son coût de production s’élevait à environ 75 € pour 3 mois de traitement. Voir l’étude.

[2] L’expression « effet Streisand » fait référence à un incident, survenu en 2003, au cours duquel Barbara Streisand avait poursuivi en justice l’auteur et le diffuseur d’une photographie aérienne de son domaine privé, afin d’empêcher sa propagation. La publication de la procédure eut pour conséquence de faire considérablement connaître l’image auprès des internautes américains.

[3] La licence d’office, permise en droit national par l’article L613-615, propose la création d’un générique à partir d’un médicament breveté s’il « n’est pas mis à la disposition du public en quantité ou qualité insuffisante ou à des prix anormalement élevés ».


VOIR EN LIGNE : Basta
Publié sur OSI Bouaké le jeudi 16 juin 2016

 

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