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Des psychotropes abusivement détournés de leur fonction


Le Monde du 11/12/2010 - Décembre 2010 - par Philippe Pignarre -

On dit souvent que les Français ont une passion pour les psychotropes, ces médicaments qui agissent sur le système nerveux central et allègent les symptômes des troubles mentaux comme la schizophrénie, l’anxiété ou la dépression. N’en sont-ils pas les plus gros consommateurs au monde ? Mais ce qu’on n’a pas relevé, c’est la passion qui est celle de l’industrie pharmaceutique française pour ces mêmes psychotropes... détournés de leurs indications. C’est pourtant le trait commun à trois médicaments conçus en France et que l’on retire du marché en catastrophe au rythme d’un tous les ans. L’Agréal (veralipride) a été retiré du marché en septembre 2007 : c’était un neuroleptique (presque indiscernable, chimiquement, du Dogmatil prescrit dans la schizophrénie) censée soigner les bouffées de chaleur lors de la ménopause. L’Acomplia a été retiré en octobre 2008 : il avait été initialement testé dans des indications psychiatriques avant d’être commercialisé dans les cas d’obésité. Enfin, est venu le tour du Mediator, dérivé des amphétamines qui ont eu leur heure de gloire dans les années 1960. Quel sera le prochain ?

Tous les médicaments psychotropes ont des effets secondaires somatiques très importants. Du coup, l’industrie pharmaceutique a toujours tenté d’en commercialiser des variantes pour des troubles physiques extrêmement divers. Depuis l’invention du premier neuroleptique en 1952 par une équipe française (le Largactil), tous les laboratoires de l’Hexagone s’y sont mis. Les Français consomment des quantités gigantesques de psychotropes, le plus souvent à leur insu. On en apprend ainsi beaucoup plus sur la manière dont l’industrie organise sa recherche qu’en lisant ses brochures promotionnelles sur papier glacé. On nous promet en permanence de grandes ruptures : la recherche génétique, les biotechnologies vont nous donner accès à des médicaments ciblés de "nouvelle génération".

En fait, on ne cesse de nous refourguer de vieux composés (à peine modifiés) qui bénéficient de prix de vente exorbitants (plus de dix fois celui de la molécule précédente dont ils sont une quasi-copie). Tant pis pour la Sécurité sociale : elle était autrefois l’assurance des patients, elle est de plus en plus celle des actionnaires de l’industrie pharmaceutique.

Il serait temps d’en tirer deux conclusions. La première est que l’industrie pharmaceutique investit des sommes gigantesques en recherche (4 milliards d’euros chaque année pour Sanofi-Aventis, soit quarante fois plus que ce que rapporte le "Téléthon " !) pour des résultats que l’on a le droit de juger pour le moins décevants. Comment sont faits les choix de recherche ? Sous quels contrôles ? Si l’assurance-maladie garantit les profits des industriels, cela ne nous donne-t-il pas un droit de regard sur la manière dont les recherches sont menées et sur les priorités ? N’est-il pas temps de se mêler de ce qui n’est pas censé nous regarder ?

La seconde est qu’il est indispensable de dresser la liste des molécules autorisées en France mais non commercialisées aux Etats-Unis. Ni l’Agréal, ni l’Acomplia, ni le Mediator n’y avaient obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM  , parfois les industriels ne l’avaient même pas demandée sachant qu’ils n’avaient aucune chance de l’obtenir et préféraient éviter la publicité d’un refus). Cette liste apportera beaucoup de surprises : elle devrait être à l’origine d’une enquête sur tous les médicaments bien assez bons pour nous mais pas assez pour les Américains qui, il faut le reconnaître, sont en la matière plus exigeants.

Il est vrai qu’aux Etats-Unis le système judiciaire autorise les actions collectives en justice (class actions), ce qui nous est obstinément refusé en France. Cela rend pourtant les industriels plus prudents. C’est à se demander dans quel pays le capitalisme est le plus sans entraves.


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 14 août 2012

 

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