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Complainte de la librophage...

... qui n’a pas le temps d’écrire en plus de lire


Mots-Clés / Livre

Cher cyberslave, toi qui conçoit à mesure notre blog,

J’ai remarqué depuis un moment la naissance de cette rubrique Librophagie. J’y ai même lu avec grand intérêt des choses sur Howard Zinn, ce qui m’a poussée à commencer de le lire (en plus du fait - accessoire - que tu m’aies obligée à te l’emprunter !)... Mais depuis le premier jour de cette rubrique, je me demande comment je vais réussir à l’alimenter de temps en temps, vu que j’ai déjà du mal à trouver le temps de lire, je sais que je n’aurais jamais le temps d’écrire sur ce que j’ai lu. En plus, il faudrait écrire des choses super intelligentes, bourrées de réflexions analytiques pertinentes, qui vaudraient le coup d’être déposées sur la toile. Le flip intégral.

Je propose donc d’adopter la démarche inverse : déverser dans cet espace (si peu) public, des petits mots anodins, au fil de mes lectures... Comme je rentre de la bibliothèque, je dépose quelques mots sur mon actualité littéraire de la semaine :

J’ai rendu le dernier Dany LAFERRIERE, "Vers le Sud", (Grasset, 2006) dont j’ai du mal à débarrasser mes pensées depuis que je l’ai terminé, tellement j’ai été capturée par ce récit romanesque. Pê parce que les neg’caraïbes ont mieux compris le monde que nous (et pour cause) le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui et ne cessent de nous en apprendre. Pê parce qu’ils ont été créolisés avant que le monde entier prenne le chemin de la créolisation. Enfin, Laferrière touche en plein dans le mille avec ce dernier roman. Il s’intéresse à la problématique de la domination : qui est le maître, qui est l’esclave ? Problématique qu’il traite à travers la sexualité, domaine privilégié et subtil où n’est pas forcément maître/esclave celui qui en a l’air. Cela devient encore plus complexe quand il situe précisément cette question sur la terre haïtienne qui a une certaine expérience de la domination et de l’esclavage ! Et pour cela, il propose de nombreuses variations en croisant de nombreuses façons 2 variantes : les rapports hommes-femmes et les rapports noirs-blancs, en s’interrogeant toujours sur le côté où se situe le pouvoir. Ce n’est jamais manichéen et le trouble réside dans la façon dont il déploie l’univers des possibles du désir sexuel... Mais le désir est le seul maître du désir ! Ces femmes américaines pourraient juste se taper des gigolos parce qu’elles sont seules et qu’elles en ont les moyens. Mais non, elles sont dans une relation de dépendance aux corps de leurs amants. L’esclave et la Chair du Maître... La force et la perdition d’Haïti : un monde où les haïtiens sont les esclaves des blancs et les blancs esclaves des haïtiens. Plus personne ne peut se passer de l’autre et ça pourrait finir en envie de meurtre... Je recommande à nos nombreux lecteurs du blog, d’aller voir la page que tu m’as toi-même recommandée sur le sujet. Ben quoi, pourquoi tu grimaces, tu trouves que j’ai pas le droit de rendre publiques nos discussions ?! http://www.congopage.com/article.ph...

Ah cette semaine, j’ai également lu un roman de Tierno MONENEMBO, "L’aîné des orphelins" (Seuil, 2000) que j’ai trouvé riche et troublant. C’est un peul de Guinée qui écrit un roman sur le génocide rwandais, et rien que pour ça, je trouve que ce regard croisé d’un africain de l’Ouest sur une histoire qui se déroule à l’Est, c’est vraiment riche. D’ailleurs, le roman même fonctionne sur une sorte de retournement, pour ne pas dire de surprise. Pour les personnes qui fréquentent le blog et qui sont intéressées par l’exposition des enfants et ses conséquences... Voici un roman qui surprend et accessoirement, se lit rapidement. Je recommande également un article en ligne sur l’auteur (une interview croisée de Monénembo et Mongo Béti, rien de moins !) : http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.i...

Je viens d’emprunter : "Sur l’amour et la mort" de Suskind, "Le contraire de un" de Erri de Luca, 2 anciens Dany Laferrière et le dernier Tony Hillerman. Si j’ai le courage, et si le public le réclame, je poursuivrais mes conseils lecture la semaine prochaine.

10 mai 2006

Journée de commémoration de la déportation des africains par le système esclavagiste... Je suis en pleine plongée dans LAFERRIERE. J’ai terminé "Le Goût des Jeunes Filles" (1992) (Grasset, 2005) et je suis en plein dans "Cette grenade dans la main du jeune nègre est-elle une arme ou un fruit ?" (1993) (Serpent à Plumes, 2002)... J’aurais autant de choses à dire sur la forme, sur son écriture vivante, légère et brusque, que sur le fond, si profond. Laferrière est un homme haïtien, où qu’il soit. Il n’essaie jamais de parler depuis une autre place. Il parle depuis sa place, il se montre sans vergogne, il refuse de jouer à ne pas être nègre. C’est un sage. Il nous dit que c’est sans doute en se soumettant au désir de l’autre qu’on détient véritablement un pouvoir sur lui. En étant le nègre du blanc, l’esclave du maître... Evidemment, la sexualité est l’espace privilégié de mise en scène du pouvoir, permettant de jouer à l’infini avec la distribution des rôles maître/esclave.

Il est auteur à succès, il fait le tour de l’Amérique (1993), il le fait en Haïtien. Il nous donne à voir les relations entre jeunes filles de 15 ans juste avant la chute de Duvalier (1992), il le fait en Haïtien. Etre haïtien pour Laferrière, c’est vivre dans un monde structuré par la couleur de peau, c’est savoir que la méchanceté existe, être haïtien c’est sentir le bateau dans ses muscles et avoir la plantation de canne dans la tête. C’est venir d’un monde où la femme noire appartient au maître blanc, où l’homme noir n’est qu’un étalon, un monde où les femmes ont leur fille pour seule amie, et passent leur temps à se faire plaquer et à s’entretuer.

Je suis à la page 191 de "Cette grenade..." et je suis fascinée par son univers.

Dimanche 28 mai 2006

Je suis plongée dans le travail d’écriture et m’envole chaque soir et chaque matin avec le dernier LE CLEZIO, "Ourania" (Gallimard, 2006). Le Clézio est un magicien, un rêveur, un être entre ciel et terre, presqu’irréel. Il nous emmène dans son Ourania, utopie du nom de Campos, un monde envoutant, initiatique et écologique. L’écriture de Le Clézio est un charme qui se boit à petites gorgées élégantes, une poésie classique dont on savoure chaque ligne, et où chaque chapitre distille sa part de magie blanche. C’est une merveille...


Publié sur OSI Bouaké le dimanche 28 mai 2006

 

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