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Un monde tortionnaire

Rapport 2010 de l’ACAT-France


Mots-Clés / Torture

LeMonde | 18.12.10 - Florence Beaugé

La torture a encore de beaux jours devant elle. Loin d’être en diminution, cette pratique s’étend et se banalise. Plus d’un pays sur deux y a recours aujourd’hui dans le monde, en toute impunité. Pourtant, 147 Etats ont ratifié la Convention des Nations unies qui en proscrit l’usage. Mais entre les mots et les faits, il y a un abîme. Et le 11 septembre 2001, en permettant - au nom de la lutte contre le terrorisme - un incroyable développement de législations d’exception, a rendu ce crime presque ordinaire.

C’est une forme de cri d’alarme que lance la section française de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) dans son premier rapport annuel mondial. La torture est un phénomène "endémique et régulier" sur les cinq continents. Militants des droits de l’homme, opposants politiques et journalistes sont particulièrement visés mais eux ont la "chance" que leurs cas soient médiatisés. Restent tous les autres, plus nombreux encore : les suspects ordinaires et les détenus de droit commun, qui relèvent des catégories les plus défavorisées de la population.

Du Mexique au Bangladesh, de l’Erythrée à la Russie, la torture est à la fois un mode d’interrogatoire, un instrument de vengeance ou de répression, et une arme de guerre. Les techniques se ressemblent, même si de nouvelles "spécificités" sont apparues : crucifixion en Erythrée, lavement forcé à l’eau et au piment en Ouzbékistan. Pour le reste, on continue d’utiliser au XXIe siècle les bonnes vieilles méthodes, celles qui ont fait la preuve de leur efficacité : électricité, viols (en particulier des femmes), pendaison par les pouces, etc.

Mais la torture ne se résume pas à l’agression physique. Ses séquelles psychologiques perdurent bien au-delà des traumatismes corporels. Il faut lire, notamment, le témoignage de Wahid Brahmi, ressortissant de ce pays ami de la France, la Tunisie, où la torture est une pratique systématique.

Les démocraties occidentales ne sont pas en reste. L’Espagne est montrée du doigt pour son régime de détention incommunicado (à l’isolement). La France, qui se prévaut d’être la patrie des droits de l’homme, offre un bilan "loin d’être exemplaire", déclare le rapport de l’ACAT. L’utilisation abusive du Taser (pistolet à impulsion électrique) et du Flash-Ball (lanceur de balles de défense) ainsi que les conditions de détention dans les prisons sont dénoncées.

FACILITÉ OU IGNORANCE

Quant aux médias, ils ont leur part de responsabilité, souligne le rapport de l’ACAT. Par facilité ou ignorance, les journalistes adoptent les euphémismes utilisés par certains pays pour diminuer la portée de leurs actes. C’est ainsi que le "waterboarding", pratiqué par les Etats-Unis à Guantanamo et ailleurs, est presque systématiquement traduit par les médias français par "simulacre de noyade". Or qu’est-ce que le "waterboarding" sinon le supplice de la baignoire, donc une torture ?

"Invoquer sur le mode incantatoire le respect de la dignité humaine ne suffit plus", souligne Anne-Cécile Antoni, présidente de l’ACAT France jusqu’en 2010. L’enjeu est de convaincre les opinions publiques que l’interdit de la torture est un principe qui ne souffre pas d’exceptions. Y compris le supposé droit d’y recourir dans le cadre "du scénario pseudo-réaliste de la bombe à retardement", trop souvent brandi au nom d’un hypothétique danger qui pèserait sur des centaines de vies.

Un monde tortionnaire. Rapport 2010 de l’ACAT France. 372 p., 15 €. Télécharger en PDF en bas de cet article.

.: Un monde tortionnaire. Rapport 2010 de l’ACAT France. :.

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Publié sur OSI Bouaké le lundi 20 décembre 2010

 

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