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Serge Amisi ou la résilience perpétuelle d’un enfant soldat

A propos de "Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain"


OSI Bouaké - 16 février 2015 - SD -

A propos du livre "Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain" de Serge Amisi, Vents d’ailleurs, 256p, 21€

Serge Amisi n’a pas dix ans quand il est enlevé par les soldats de Kabila. Conditionné, drogué, n’ayant pour père et mère que la kalachnikov, il sera, comme ses compagnons d’armes, acteur et témoin d’une des plus grandes guerres qu’ait connues l’humanité depuis 1945, celle du Congo. Mais l’enfant, arme de guerre redoutable quand les adultes ont perdu toute humanité, ne cesse de s’interroger, ne cesse de vouloir retrouver sa place d’enfant, juste sa part d’enfance.

Ce récit de Serge Amisi, au-delà du témoignage d’un enfant-soldat, crée un univers saisissant. Écrit dans une langue musicale, lancinante, d’une extrême sensibilité et d’une grande finesse, il est bouleversant. Impossible de le lire sans trouble, sans remettre profondément en cause nos perceptions, nos rapports avec le monde. Un livre fort, indispensable.


Serge Amisi ou la résilience perpétuelle

Africultures - 21/07/2011 - Boniface Mongo-Mboussa

Sur la première de couverture se dresse une kalachnikov avec une languette en forme de phallus. Cette arme, qui illustre les carnets de guerre de Serge Amisi est aussi une sculpture de l’écrivain. Plus que le récit proprement dit, elle résume son itinéraire. Mieux elle traduit la métamorphose d’un ancien kadogo (enfant-soldat) devenu à force de volonté un artiste. Mieux encore, elle répond en écho à ces dernières lignes du récit : "Ma mère, mon père, ce n’est plus mon arme, ce n’est plus ma kalachnikov. Ma mère, mon père, c’est aujourd’hui l’art et la sculpture, la danse et le théâtre. Moi Serge Amisi, je vous le dis, souvenez-vous de moi, l’enfant de demain."

Malgré son ton sentencieux, cette dernière phrase, qui donne le titre au récit, révèle le caractère de l’auteur : un optimisme insolent et une foi inébranlable en la vie. Tout au long du récit, le lecteur l’observe en train d’affronter un à un tous les obstacles (décès des proches, emprisonnement, épidémie) pour se réaliser. Il y a d’abord le meurtre de son propre oncle (venu pourtant à sa recherche), qu’il exécute d’une balle à bout portant devant ses frères d’armes et ses supérieures hiérarchiques, pour signer son passage de l’enfance à l’univers militaire, puis suivent toutes les exactions où il est tantôt acteur et tantôt spectateur : le viol d’une folle par tout un contingent, des scènes de cannibalisme au cours desquelles ses compagnons se régalent allègrement, son face-à-face avec une panthère en pleine nuit au cœur de la forêt équatoriale qu’il abat avec un sang-froid remarquable, les simulacres de folie de son ami intime, qui se nourrit de ses propres excréments pour mieux échapper à l’horreur ambiante, les fulgurants décès de ses frères d’armes, victimes d’une dysenterie amibienne, des scènes de sorcelleries, où les hommes se transforment en coqs et vice-versa, son pseudo-mariage avec la femme d’un ex-dignitaire de Mobutu, qu’il ne peut consommer, puisque pubère, les exécutions de civils en plein marché pour prouver aux autres et à soi-même qu’on est bel et bien soldat, les violentes brimades et prisons militaires, qui le laissent souvent sans vie, mais aussi ses exploits au champ de tir, l’affection que lui portent certains généraux angolais et les instructeurs militaires nord-coréens, etc.

Récit picaresque, roman d’apprentissage et "saga" des enfants-soldats, Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain, malgré son titre ronflant, est un témoignage inestimable sur les enfants-soldats, un regard lucide, qui montre de l’intérieur combien l’inhumanité de ces guerres africaines est bel et bien humaine. Un livre qui devrait amener les écrivains qui osent encore mettre en récits les enfants-soldats à la modestie. Car souvenez-vous de moi, l’enfant de demain illustre avec bonheur l’adage populaire selon lequel, bien souvent, la cruauté du quotidien fait un bon pied de nez à la fiction. Là, où les écrivains professionnels imaginent de façon caricaturale le vécu des kadogos, Serge Amisi oppose un vécu non binaire, où il est tour à tour ange et démon, enfant et adulte.

Sur ce dernier point, la scène la plus émouvante du récit est celle où on le voit au cœur de la guerre retourner en enfance en improvisant une scène de guerre avec des jouets militaires qu’il a par ailleurs achetés avec sa solde de combattant. Cette mise en abyme ludique et vertigineuse de la guerre mérite d’être citée, tant elle nous laisse songeur... La voici : "Mon argent, si on me payait, j’achetais des jouets militaires pour jouer comme à la guerre. J’ai commencé à jouer le matin au soir, le Commandant ne voulait pas que je joue, mais si le Commandant me refusait de jouer, je ne voyais pas cela bien. Jusqu’au jour où il m’a envoyé à l’unité avec les autres soldats, lui est resté à la maison, il a brûlé tous mes jouets, quand je suis rentré à la maison, je n’avais pas vu mes jouets, je me suis demandé à qui j’allais demander où étaient mes jouets, j’ai cherché mes jouets jusqu’à me fatiguer et ce jour-là, je suis tombé malade, je n’ai pas mangé jusqu’à la nuit, je n’ai pas dormi, toujours pour mes jouets perdus. J’ai fais trois jours sans manger…"

Ces lignes, qui illustrent à souhait la thèse de Huizinga selon laquelle le jeu est le lieu par excellence du sérieux, dérouteront les puristes de la langue française. Car souvenez-vous de moi l’enfant de demain est écrit en lingala (langue nationale de la RDC), puis traduit en français par l’auteur avec le concours de Jean-Christophe Lanquetin, avant d’être adapté par Jean-Luc Raharimanana, qui a su préserver le phrasé lingala. Ce qui comble le lecteur locuteur de cette langue.

Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain est à coup sûr, un document littéraire précieux, qui fera date parmi les nombreux écrits de et sur la guerre à l’ère des enfants-soldats.


La genèse du livre à suivre sur le site de Jean-Christophe Lanquetin

Souvenez vous de moi l’enfant de demain / Serge Amisi

Blog de Jean-Christophe Lanquetin -

"Souvenez vous de moi l’enfant de demain " est le titre d’un livre paru aux éditions Vents d’ailleurs en mars 2011. Il est issu des cahiers de Serge Amisi, un ancien enfant soldat congolais, aujourd’hui artiste. A partir de 2004, Amisi a écrit un récit fiction, à partir de son vécu d’enfant soldat dans l’armée congolaise entre 1997 et 2001. Ce récit, écrit en Lingala, il l’a traduit en français et je l’ai transcrit entre 2006 et 2008.

Amisi Serge a été enrôlé de force comme enfant soldat en 1997 à l’age de 11-12 ans. Il a grandi dans l’armée congolaise, engagé dans la guerre en RD Congo entre 1997 et 2001. Au fil de ce récit fleuve, écrit entre 2004 et 2008, il cherche ses repères d’adolescent et sa vérité au monde dans un contexte et des situations qui basculent constamment dans l’inimaginable.

En fait, ce qui est ici raconté de l’intérieur c’est la « machine » à fabriquer des enfants soldats.

Au centre : Serge Amisi


http://www.franceculture.fr/emissio...

- Emission radio sur France Culture à propos de la pièce

Changement de décor : Serge Amisi

France culture - 08.02.2015 -

L’invité ce soir est Serge Amisi. Il est né au Congo à Kinshasa au début des années 80. Serge a été un kadogo, un enfant soldat, enrôlé de force par la milice à l’âge probable de dix ans ou peut être moins, il ne se souvient pas. Il n’a pas oublié, par contre, ces femmes et ces hommes qu’on lui a imposé de tuer. A commencer par son propre oncle. C’est le récit de ce cauchemar que Serge Amisi a décidé d’écrire et qui fait aujourd’hui l’objet d’un spectacle de théâtre. C’est ce récit bouleversant qu’il vient nous raconter au micro de Changement de décor.

Serge Amisi © G. Méric - Radio France

Ecrire et jouer pour que jamais le silence et l’oubli ne triomphent de l’horreur, ce sera le viatique de Changement de décor ce soir.

Nous ouvrons le micro à un jeune homme qui revient de loin. Aujourd’hui auteur, acteur, sculpteur et marionnettiste, c’est pourtant les armes à la main que notre invité Serge Amisi, "l’ange rebelle", a vécu son enfance au Congo.

L’enfant soldat ©

Le spectacle de Serge Amisi, L’enfant de demain est une adaptation pour le théâtre de son livre Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain - Carnets d’un enfant de la guerre - Traduit du Lingala par l’auteur (Editions Vents d’ailleurs, 2011). La mise en scène est d’Arnaud Churin. On peut voir le spectacle au Théâtre de l’Echangeur de Bagnolet du 9 au 14 février .

Tél "surprise" avec Mathieu Genet, comédien dans le spectacle : .."Serge est un sourire, malgré la violence qu’il a subie et vécue.."

Vision du Monde : Enfants soldats ©

- Actualité et rappel : Jeudi 12 février : Journée mondiale contre l’utilisation "d’enfants soldats". (Association Vision du monde) - 250 000 enfants soldats sont recrutés chaque jour aux côtés des forces armées dans le monde : des enfants âgés de 7 à 18 ans, dont 40% de filles..sont des enfants soldats.


L’enfant de demain sur scène

Crédit photos : Christophe Raynaud De Lage

  • Adaptation Mathieu Genet / Serge Amisi
  • d’après Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain de Serge Amisi
  • Mise en scène : Arnaud Churin
  • Avec : Serge Amisi, Mathieu Genet
  • Production : Cie La Sirène tubiste
  • Coproduction : Scène Nationale 61

Ancien enfant-soldat en République démocratique du Congo, Serge Amisi a choisi la création artistique pour témoigner de son enfance mutilée. Dans une langue extraordinairement inventive, son livre que nous avons adapté raconte, comment malgré cette maltraitance, il a trouvé l’Autre et sa part d’humanité. C’est cela qui permet au narrateur de quitter le monde des fantômes pour retrouver sa place parmi les vivants. Mathieu Genet, joue le narrateur de cette histoire tandis que Serge se tient à ses côtés pour façonner son personnage et diriger le héros vers sa libération. Un théâtre s’invente là et déploie cette histoire d’enfance dans la guerre, épopée stupéfiante, récit édifiant d’un destin défiguré.


L’enfant de demain au théâtre

Un spectacle bouleversant porté par un texte vibrant et une mise en scène simple et intelligente. On en ressort changé.

Les trois coups - 17 juillet 2014 - Lise Facchin -

Ancien enfant soldat en République démocratique du Congo, Serge Amisi a eu le courage étonnant d’écrire son histoire. Celle d’une violence dont l’immoralité dérange et dont le grand public est, en général, protégé des éclaboussures qui dépasseraient de l’écran de télévision. Si écrire la mémoire de la violence – « L’écriture ou la vie », comme l’a gravé pour jamais Jorge Semprún… – est un acte de courage, porter à la scène et, de surcroît, donner sa part à l’interprétation est une démarche encore plus forte. Au-delà d’un destin soumis à l’égoïsme et à la folie des hommes, dans un rapport complètement désaxé à la jeunesse, c’est de l’enfance qu’il est question dans ce spectacle, de l’enfance interdite, déniée. « Tu crois que tu es encore un enfant ? » dit le général au petit garçon d’une dizaine d’années, cherchant les jouets qu’il s’est offert avec sa solde et que l’officier a brûlés. L’enfance. Cette expérience que tous les êtres humains partagent dans les premiers moments de leur existence, et qui, dans l’ordre des choses, doit être abritée par les plus âgés. L’enfant-soldat, kadogo en lingala, kalachnikov dans une main et jouet dans l’autre, ne peut ainsi apparaître que comme une injustice profonde, un oxymore humain.

Sur scène, l’hallucinant Mathieu Genet, qui interprète Serge Amisi tout au long du spectacle avec une énergie et une sincérité rares, et Serge Amisi lui-même qui interprète les autres rôles de la pièce (la mère de famille qui le recueille, son oncle, sa mère, les gradés de l’armée rwandaise qui l’avaient enrôlé de force, le fournisseur de cannabis…). Leur duo semble nimbé d’une complicité et d’une confiance lumineuses qui rend ce spectacle possible. Comment en serait-il autrement lorsqu’une telle intimité est en jeu ? Lorsqu’une expérience aussi extrême est portée à la connaissance du public ? Quand quelqu’un porte une parole qui dit : « J’ai tué. J’ai tué sans pitié des civils. J’ai même tué mon oncle, qui est mort en me pardonnant. J’ai pillé et détruit. Et j’étais un enfant ». Il faut profondément croire en la bienveillance de ses partenaires pour aller jusqu’à ce point, frisant le rituel d’expiation et poser crûment la question fondamentale de la responsabilité.

Subversion lexicale et grammaticale

En décidant de porter ce témoignage à la scène, Arnaud Churin a eu l’intelligence de comprendre qu’il ne pouvait que travailler à partir du matériau littéraire même de ce récit pour éviter la facilité didactique et travailler sur ses potentiels dramatiques. Le travail de la langue est ainsi merveilleusement élaboré, avec des passages en lingala, et cette langue superbement imagée que l’auteur a mâtiné d’enfance : le français d’Afrique francophone. Ce verbe nous donne bien des leçons en matière de subversion lexicale et grammaticale, imprimant au texte une liberté qui lui donne une force poétique sans la moindre lourdeur. Simple et souple, la direction d’acteurs donne toute sa place à la langue, à travers une corporalité très forte, dans laquelle on retrouve bien vite cet envol de l’enfance.

La scénographie est aussi d’une grande réussite. Sur toute la largeur, un rideau à lanières de plastique orange est suspendu en arrière-scène, divisant le plateau en deux. Cet espace sert autant de coulisses que d’espace de jeu et de magie. Serge Amisi s’y rend pour changer de personnages ou en introduire quelques-uns, comme cette très belle marionnette, incarnant son oncle, qui ouvre la pièce. Ce rideau est aussi la source d’un jeu de lumière particulièrement efficace, lors des combats durant lesquels les enfants-soldats étaient sous l’emprise de drogues distribuées par l’armée. En émerge aussi, pour le plus bel effet, des enregistrements sonores, berceuses et chansons, comme autant de réminiscences de l’intimité maternelle.

Des larmes de rage

Mais il ne faudrait pas croire que la gravité et la violence soient les seuls modes sur lesquels l’histoire de Serge Amisi, qui est aussi celle de tant d’autres enfants, est contée. Et si l’on est bouleversé, c’est moins par les faits de violence que par les ressources de l’enfance et l’extraordinaire force que tant de fragilité peut déployer. Des ressources de jeu, d’humour, de courage. Les larmes que l’on verse ne sont pas des larmes de pitié ou seulement de compassion. Ce sont des larmes de tendresse devant ce mode d’être au monde, simple et lumineux des débuts de l’existence. Ce sont aussi des larmes de rage devant la terrible vulnérabilité de l’enfance que les conflits armés jettent en pâture à l’inhumanité.


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Publié sur OSI Bouaké le lundi 16 février 2015

 

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