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Rwanda : la BNP visée par une plainte pour « complicité de génocide »


Libération, Maria Malagardis - 29 juin 2017- Les relations troubles de la France et du Rwanda en 1994 ont resurgi cette semaine avec notamment deux plaintes en justice, dont l’une vise la BNP, accusée par trois associations d’avoir facilité une vente d’armes au régime qui massacrait la minorité tutsie.

« Le paradoxe avec un génocide, c’est que plus le temps passe et moins on l’oublie », a très justement souligné l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop, auteur d’un roman poignant sur le génocide qui s’est déroulé au Rwanda (Murambi ou le livre des ossements). Cette semaine, les fantômes de la tragédie rwandaise sont à nouveau de retour, vingt-trois ans après le drame.

Mercredi, le magazine XXI publiait une enquête accusant des responsables français, au premier rang desquels, l’actuel président de l’Institut François Mitterrand, Hubert Védrine, d’avoir réarmé les forces génocidaires au moment de leur déroute, alors qu’elles fuyaient le Rwanda après avoir exterminé les trois quarts de la minorité tutsie du pays.

Jeudi, nouveau coup de semonce : trois associations, Sherpa, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) et Ibuka, annoncent avoir déposé la veille une plainte auprès du tribunal de grande instance de Paris contre la banque BNP Paribas pour « complicité de génocide » et « crimes contre l’humanité ». Et le même jour, l’association Survie réactive une plainte contre plusieurs responsables politiques et militaires français, qui avait été classée sans suite en 2012.

Embargo

Des deux plaintes déposées cette semaine, c’est bien celle contre la BNP qui est réellement inédite. Les faits sont pourtant connus depuis longtemps : les massacres au Rwanda démarrent le 7 avril 1994. Ils sont orchestrés par un gouvernement qui appelle aux meurtres des Tutsis sur les ondes des radios locales et organisent leur regroupement et leur extermination.

Le 17 mai et après bien des tergiversations, l’ONU   vote un embargo interdisant toute livraison d’armes au Rwanda. Pourtant, la BNP va autoriser deux transferts de fonds, le 14 et le 16 juin, demandés par sa cliente, la Banque nationale du Rwanda, principale institution bancaire du pays, vers le compte en Suisse d’un marchand d’armes, le Sud-Africain Wilhelm Tertius Ehlers. Montant total : plus de 1,3 million de dollars.

Une somme considérable, qui va servir à acheter 80 tonnes d’armes entreposées dans un bateau grec aux Seychelles, le 17 juin. Officiellement, les armes sont achetées au nom du Zaïre (rebaptisé République démocratique du Congo) le pays voisin du Rwanda où le régime du maréchal Mobutu est un allié des autorités génocidaires. Mais, très vite, le subterfuge est démasqué : le jour même, la presse d’opposition aux Seychelles dénonce une livraison d’armes destinée en réalité au Rwanda. Et le 24 juin, l’ambassade américaine sur place avertit le département d’Etat, qui réussira à dissuader toute nouvelle livraison.

Transactions

Au cœur de cette transaction apparaît un personnage dont les intentions ne peuvent faire de doute : le colonel Théoneste Bagosora. Il fait la navette entre le Zaïre, l’Afrique du Sud et les Seychelles, et est considéré comme l’un des principaux instigateurs du génocide. Lors de son procès en 2002 devant le Tribunal international pour le Rwanda (TPIR), un témoin racontera comment les armes ainsi achetées (2 500 fusils d’assaut Kalachnikov, des obus de mortiers, des grenades, et des munitions pour fusils et mitrailleuses) vont atterrir à Goma, située sur le lac Kivu au Zaïre, juste à la frontière avec le Rwanda. Elles seront aussitôt acheminées dans la ville rwandaise de Gisenyi, où des centaines de miliciens patientent dans le stade. Une partie des armes leur aurait été livrée avant qu’ils ne repartent vers la capitale Kigali « faire le coup de main ». Les armes ont donc bien servi aux massacres.

Bien avant ce témoignage au TPIR, les violations de l’embargo avaient fait l’objet d’enquêtes, notamment de la part de l’ONG Human Rights Watch. En mai 1995, le Conseil de sécurité avait même formé une commission d’enquête internationale sur les violations de l’embargo pendant ce génocide qui fera plus de 800 000 morts. De 1996 à 1998, les enquêteurs retracent toutes les négociations et transactions financières. Ils vont retrouver la trace des deux virements de la BNP sur le compte du marchand d’armes.

« Alors même que d’autres banques européennes, comme la Banque Bruxelles Lambert, refuseront de cautionner certaines transactions, en faisant notamment opposition sur les chèques voyages », rappelle Jacques Morel, spécialiste du Rwanda.

« Présence physique »

En 2003, lors du procès à Bruxelles d’un autre responsable du génocide, Ephrem Nkezabera, qui dirigeait la Banque Commerciale du Rwanda (BCR) mais aussi le Comité national des miliciens Interahamwé, confirmera que sur les transactions à l’étranger, « la seule institution qui avait accepté de collaborer fut la Banque nationale de Paris ».

En réalité, l’affaire de la transaction d’armes vendues aux Seychelles n’est pas l’unique cas potentiel de violation de l’embargo. En mai 1994, le colonel Ephrem Rwabalinda est reçu à Paris par le général Huchon qui dirige alors la Mission militaire de Coopération. Dans son rapport de mission, l’officier rwandais énumère les sujets de discussions dont « la présence physique de militaires français au Rwanda ». Sans dire si cette demande a été acceptée ou refusée. Un mois plus tard, le 15 juin, l’attaché militaire de l’ambassade du Rwanda reçoit pour sa part un ordre du ministre de la Défense du gouvernement rwandais pour verser 1,2 million de dollars à Paul Barril. L’ancien gendarme de l’Elysée, reconverti dans la sécurité, apparaît souvent dans les eaux troubles qui relient la France et le Rwanda à cette époque. On apprendra plus tard qu’il avait notamment signé le 28 mai 1994 un contrat « d’assistance » portant sur la livraison d’hommes et de matériel au gouvernement génocidaire. A-t-il pu agir sans que personne au sommet de l’Etat ne soit au courant ?

Lorsque les enquêteurs mandatés par le Conseil de sécurité sur les violations de l’embargo ont interrogé les autorités françaises au sujet des transactions effectuées via la BNP, dans une lettre datée du 13 août 1998, celle-ci est restée sans réponse, révèleront-ils dans leur rapport final trois mois plus tard.

Une banque nationale de cette importance pouvait-elle accepter les virements vers le compte d’un marchand d’armes, de la part d’une banque cliente dans un pays sous embargo sur les armes ? Certes, l’embargo ne portait pas sur les transactions financières. Mais à cette époque, les massacres faisaient tous les jours la une des journaux et on a du mal à imaginer que la BNP ait pu agir sans le feu vert des autorités françaises. Une instruction judiciaire, si elle était lancée, ne manquerait pas de soulever des questions pertinentes sur ce sujet.


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 12 juillet 2017

 

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