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«  Voilà ce que les femmes peuvent obtenir !  »

Poussées par l’accaparement des terres à travailler en ville, des aides ménagères d’Afrique de l’Ouest se battent pour leurs droits.


Politis, Patrick Piro, 9 Janvier 2019 - Une domestique, je voudrais pouvoir la choisir jolie ! » Les deux jeunes hommes, l’un ivoirien et l’autre togolais, plaisantent gentiment sur la profession de Sitan Fofana. Ils vont rapidement se faire moucher. La scène se déroule devant le stade du 26-Mars à Bamako, l’une des étapes de la première « Caravane ouest-africaine contre l’accaparement des terres, de l’eau et des semences », qui a fait témoigner des centaines de paysans le long du trajet de Ouagadougou à Dakar en mars 2016 (1).

« Pourquoi jolie ? On attend d’elle qu’elle soit une bonne professionnelle, non ? » Les deux débatteurs, urbains et ouverts, semblent entendre ce qui suit pour la première fois de leur vie. La jeune présidente de l’Association de défense des droits des aides ménagères et domestiques du Mali (Addad) les déstabilise implacablement. « Mon patron, malade, me réveille à 3 heures du matin pour faire chauffer de l’eau : je fais quoi ? » Les deux débatteurs bondissent. « Mais… c’est un réflexe de charité ! » Sitan Fofana : « Si c’est stipulé sur mon contrat et rémunéré au titre de mes tâches, je le fais volontiers, bien sûr. » D’abord outrés par cette « dureté de cœur », les gars comprennent peu à peu. Elle insiste. « Et cette employée que sa patronne envoyait s’occuper de sa mère malade, en plus de ses tâches, comme si elle était corvéable à merci, elle devait accepter “par bonté” ? »

Sitan Fofana explique sa présence au sein de la caravane. « Nous sommes pour la plupart des villageoises qui avons émigré en ville pour trouver du travail, parfois dès l’âge de 9 ans, et pour un tiers parce que nos parents, paysans, ont été victimes de l’accaparement des terres où ils faisaient du maraîchage ou du petit élevage. Ils envoient leurs filles à la ville en pensant résoudre ainsi les problèmes. Résultat, c’est souvent la double peine, avec toutes sortes de violences et d’injustices. Il existe bien une loi, au Mali, qui nous protège spécifiquement, mais elle n’est pas appliquée. » Salaire minimum garanti du moment : 32 000 francs CFA par mois, soit environ 50 euros. « Or il est rare qu’une travailleuse domestique touche 10 000 FCFA, c’est même souvent entre 4 000 et 6 500. Levée avant tout le monde et couchée la dernière ! »

L’Addad se crée en 2012, alors que le phénomène de l’accaparement des terres est en augmentation constante. « C’était déjà un très grand pas, car beaucoup de filles pensaient que ça ne servirait à rien. Or le simple fait de disposer d’un local pour les recevoir et écouter leurs doléances est d’une grande utilité. » L’une d’elles arrive un jour enceinte du fils de la famille chez qui elle travaille, qui veut alors se débarrasser d’elle. « On a harcelé le père, menacé de pratiquer un test ADN pour prouver la paternité du garçon. Ils ont finalement cédé et assumé leurs responsabilités. » Palliant la carence de l’État, l’Addad a mis au point un contrat de travail pour les travailleuses domestiques. « C’est la loi, et nous imposons nos conditions. » L’association, qui compte aujourd’hui 800 affiliées, réclame depuis longtemps que le Mali ratifie la convention n° 189 de l’OIT (lire ici), à l’image de la Guinée, seul pays de la région à avoir franchi le pas, en 2017.

Les premiers résultats de l’Addad ont suscité un essaimage chez les voisins – Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire et Togo. Zenabou Compaoré présidait l’Addad-Burkina en 2016. Originaire de la province de Manga, au centre-sud, elle a émigré à Ouagadougou à l’âge de 15 ans, à la suite d’une opération immobilière qui a chassé de leurs terres des centaines de familles. « Les lotissements devaient reloger tout le monde, mais c’était finalement destiné aux riches… » Zenabou subit l’exploitation d’une patronne qui la paye 3 000 FCFA par mois. Nourrie aux restes « après le chien », elle couche dans la cuisine. « On subissait sans rien dire parce qu’il fallait aider nos parents, dépossédés. Mais, aujourd’hui, je fais entendre ma voix ! »

Zenabou Compaoré, qui a maintenant 37 ans, s’est vigoureusement engagée dans la lutte pour rendre justice aux « déguerpis » de Manga. Son débit s’accélère quand elle raconte avoir fédéré 26 associations pour manifester et bloquer des routes, jusqu’à ce que le gouvernement de transition (2) adopte leur plateforme de doléances, comprenant notamment l’arrestation des maires « pourris » qui ont donné leur aval à l’accaparement de terres. « Voilà ce que les femmes sont capables d’obtenir ! »

(1) Une deuxième édition a eu lieu en novembre dernier, de Guinée au Bénin.

(2) À la suite de la révolution populaire qui a renversé Blaise Compaoré en octobre 2014.


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 15 janvier 2019

 

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