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Savez-vous danser la grippe ?


Jean-Philippe Rémy, Le Monde, le 30.04.09

Face à l’avancée de l’épidémie de grippe porcine, et plus encore de la vague d’inquiétude qui la précède, l’Afrique retient son souffle. On avait, jeudi 30 avril, identifié deux cas potentiels en Afrique du Sud, peu de choses à l’échelle du continent. Mais comme il n’est pas interdit de se préparer au pire, l’Union africaine prépare un plan d’action, tandis que se multiplient les initiatives des Etats. Le Mozambique annonce une surveillance accrue de ses ports, même si le lien entre l’océan Indien et le virus n’est pas tout à fait clair, dans la mesure où la transmission semble s’effectuer surtout par des êtres humains voyageant en avion. Au Caire, on se concentre sur les éventuels dérapages à caractère religieux et, bien que les animaux ne soient en rien impliqués dans la propagation de l’épidémie, on s’apprête à faire abattre les 250 000 porcs d’Egypte, qui, jusqu’ici, avaient survécu en se faisant discrets.

A chacun sa prévention. En Ethiopie, une réunion de coordination pour les pays de la Corne de l’Afrique consacrée aux épidémies, prévue de longue date, s’est opportunément tenue mardi. Ni la Somalie, en proie à d’autres affres, ni l’Erythrée, s’estimant sans doute suffisamment fermée au monde pour être protégée des virus, n’y ont envoyé de représentants. Au Nigeria, on s’inquiète surtout de savoir si, oui ou non, le président américain, Barack Obama, a échappé de peu à l’épidémie en serrant la main d’un archéologue lors de son voyage au Mexique, tombé malade peu après, comme l’affirment les journaux locaux. Au Kenya, le gouvernement oublie un instant ses tourments politiques et affirme vérifier ses stocks de médicaments antiviraux, en se gardant bien d’en révéler le contenu. Avant même de savoir s’il y a réellement lieu de s’inquiéter, l’Afrique a de toute façon fort à faire en matière d’épidémies, de pandémies et de maladies, en commençant par le sida   (22 millions de personnes infectées par le VIH  ) , pour lequel les fonds destinés aussi bien aux recherches sur un vaccin qu’aux campagnes de distribution d’antirétroviraux risquent d’être érodés par la crise mondiale.

L’Afrique de l’Ouest, pendant ce temps, est en proie à une épidémie hors norme de méningite, alerte Médecins sans frontières. L’ONG, qui a lancé dans cette région, en collaboration avec les autorités locales, la plus grande campagne de vaccination de son histoire, a recensé 50 000 cas dans le seul nord du Nigeria depuis le début de l’année. On y dénombre déjà plus de 1 500 décès. Les pays voisins, Tchad et Niger, sont aussi touchés.

Contrairement à la grippe porcine, qui n’a fait à ce jour qu’un nombre de victimes avoisinant la centaine, la méningite ne risque pas de sauter les océans à bord des avions. En matière d’épidémies, de pandémies ou d’épizooties, rien n’oblige donc à désespérer par avance. Et qui mieux que les musiciens ivoiriens pourrait aider le continent à éviter la dramatisation ? Le coupé décalé, genre musical mêlant aux styles de plusieurs pays des séquences électroniques et des rythmes traditionnels, s’est fait une spécialité de la dédramatisation des grandes tragédies. Prouvant que, si on peut rire de (presque) tout, il n’en est pas moins possible de danser sur (presque) tout, le coupé décalé a fait, depuis son invention en 2003, feu de tout bois, des thèmes les plus graveleux aux plus graves, faisant en substance de l’épidémiologie des maladies sociales, dramatiques ou comiques, frappant l’humanité. Sur les pistes de danse de "Baby" (pour Babylone, surnom donné par les habitants d’Abidjan à leur ville), on a mimé les détenus enchaînés de Guantanamo (Guantanamo) ou marqué des buts avec Didier Drogba (Aile de pigeon) ; on a inventé des démarches spéciales pour éviter de marcher sur des mines (Prudencia). On s’est intéressé au sort des volailles malades (Grippe aviaire), en imitant de manière souple et déliée l’agonie des poulets frappés par la maladie. On peut parier à présent que, si la situation est propice, le génie prolifique des DJ ivoiriens est prêt à frapper pour lancer une danse de la grippe porcine en moins de temps qu’il n’en faudra peut-être pour inventer un vaccin.

Mais d’autres périls menacent. Une maladie de la banane, aliment de base de nombreuses régions d’Afrique de l’Est ou des Grands Lacs, est en train de se répandre. Le BXW n’est pas un virus, mais l’acronyme du Banana Xanthomonas Wilt, maladie due à une bactérie qui n’a rien à envier en matière de pouvoir destructeur au A/H1N1 de la grippe porcine. L’Ouganda, où le fléau est apparu en 2001, alors même que le matoke, la purée de banane plantain, est un aliment de base, estime déjà avoir perdu l’équivalent de 8 à 10 milliards de dollars de récoltes. Pour s’en débarrasser, il faut choisir entre la destruction généralisée des bananeraies ou mettre au point des espèces résistantes. C’est ce à quoi s’emploient les chercheurs de l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA) d’Ibadan, au Nigeria. Créé pour améliorer les cultures vitales africaines, l’IITA a déjà sauvé le manioc d’une maladie mortelle dans les années 1980. A présent, c’est la banane qui est en danger, mais les fonds, naturellement, sont limités. Et si le vrai drame était là ?

Jean-Philippe Rémy


Publié sur OSI Bouaké le jeudi 30 avril 2009

 

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