Accra 28 mai 2009 (IRIN) - Le viol récent d’un petit garçon de huit mois dans un orphelinat d’Accra, capitale ghanéenne, a mis au jour les conditions de vie alarmantes qui prévalent à l’état endémique, selon les défenseurs des droits de l’enfant, dans les orphelinats d’Afrique de l’Ouest. Lorsque les autorités ont enquêté sur l’incident, elles ont découvert que 27 des 32 enfants du foyer n’étaient pas orphelins.
Selon une étude menée en janvier 2009 par le ministère de la Protection sociale (responsable du bien-être des enfants et de la supervision des orphelinats), pas moins de 90 pour cent des quelque 4 500 enfants des orphelinats du Ghana ne sont pas orphelins et 140 des 148 orphelinats du pays opèrent sans permis, selon Helena Obeng Asamoah, directrice adjointe du ministère.
« Nous sommes alarmés de voir à quel point les orphelinats ont violé les lois nationales sur la protection de l’enfance », a-t-elle expliqué à IRIN.
« Les orphelinats du Ghana sont devenus de véritables commerces, des entreprises extrêmement lucratives et rentables », a indiqué à IRIN Eric Okrah, spécialiste de la protection de l’enfance, qui exerce à Accra pour le compte du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).
« Dans ces orphelinats, l’appât du gain a fait passer au second plan le bien-être des enfants », a-t-il ajouté.
Au Ghana, le budget annuel d’un petit orphelinat peut s’élever à pas moins de 70 000 dollars, en fonction de sa taille ; la majeure partie de ces fonds est versée par des bailleurs internationaux et des organisations non-gouvernementales (ONG), et complétée par de modestes contributions de la part des sociétés locales, selon les recherches de Child Rights International (CRI), un organisme ghanéen à but non-lucratif.
Les bailleurs sont attirés par les orphelinats car ils semblent être une solution simple, selon Joachim Theis, directeur du service de protection de l’enfance en Afrique de l’Ouest, à l’UNICEF. « Vous avez un bâtiment, vous hébergez des enfants dedans, c’est facile de les compter. Et c’est facile de récolter des fonds pour eux. C’est un modèle utilisé depuis longtemps. Mais c’est un modèle qui ne va pas ».
« Dans ces orphelinats, l’appât du gain a fait passer au second plan le bien-être des enfants »
Après avoir mené des recherches sur les financements accordés à plusieurs orphelinats ghanéens, Bright Apiah de CRI a émis l’hypothèse qu’à peine 30 pour cent des subventions versées étaient effectivement consacrées à la garde des enfants.
Grace Amaboe, propriétaire de l’orphelinat Peace and Love, a néanmoins expliqué à IRIN que le profit n’était pas son but. « Je vais chercher ces enfants pour des raisons purement humanitaires. Il est absolument faux de suggérer que j’exploite ces pauvres enfants … J’aide simplement les parents de ces enfants et ne me suis jamais servie des enfants confiés à mes soins à des fins financières ».
Un problème régional
En Afrique de l’Ouest, selon M. Theis de l’UNICEF, des milliers d’enfants sont considérés à tort comme orphelins, mais les statistiques manquent à ce sujet et de nouvelles recherches doivent être menées pour cerner ce problème.
Sur les quelque 1 821 enfants placés en orphelinat, en Sierra Leone, seuls 256 ont perdu leurs deux parents, selon les conclusions de l’UNICEF et des organismes de protection de l’enfance.
L’on estime qu’un Libérien sur huit est un enfant ayant perdu un ou ses deux parents. Mais bon nombre des quelque 5 800 enfants placés en orphelinat ne seraient pas orphelins, selon les défenseurs des droits de l’enfant de la région.
Une question de pauvreté
Dans l’ensemble de la région, certains employés d’orphelinat ciblent les communautés rurales défavorisées et « exploitent la pauvreté et l’ignorance des parents » en leur promettant de l’argent et en proposant de financer l’éducation de leurs enfants, a expliqué M. Apiah de CRI.
Certains parents signent sans le savoir des documents stipulant qu’ils renoncent à leur droit de garde de l’enfant, selon Mme Asamoah, du ministère ghanéen de la Protection sociale ; un grand nombre de signataires sont illettrés.
Maame Serwah, 40 ans, a envoyé son fils de 10 ans à l’orphelinat Peace and Love car elle n’avait pas les moyens de l’élever. « J’avais même peine à me nourrir moi-même. Cela me faisait trop souffrir de le voir pleurer presque tout le temps. Je pense que l’orphelinat était un moyen de m’en sortir ».
Mais depuis qu’elle a eu connaissance des maltraitances subies par les orphelins, elle a fait appel au ministère de la Protection sociale pour retirer son fils de l’orphelinat. « Maintenant, j’ai … besoin de mon fils. Je ferai tout ce qu’il faudra pour l’élever moi-même », a-t-elle déclaré à IRIN.
Dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, les familles confient traditionnellement leurs enfants aux bons soins de parents ou d’autres tuteurs, si cela peut leur permettre d’être mieux instruits ou d’avoir du travail, mais certains orphelinats exploitent cette tradition, selon M. Theis. « Quand des parents signent le formulaire d’un orphelinat, ils n’ont pas dans l’idée de renoncer pour toujours à leurs enfants … L’idée de ne plus jamais revoir leur enfant est inconcevable ».
Une défaillance du système
Face à une prise de conscience croissante de ce problème, les gouvernements et les organismes de protection de l’enfance de certains pays s’efforcent d’améliorer la réglementation dans ce domaine.
La présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf a notamment formé un comité spécial sur l’adoption des enfants libériens, dont une des tâches consistera à se pencher sur les pratiques observées dans les orphelinats.
Avec l’aide d’organismes de protection de l’enfance tels que l’UNICEF, le ministère ghanéen de la Protection sociale élabore actuellement des directives sur les critères de désignation des orphelins et les conditions de vie dans les orphelinats, et promeut les programmes alternatifs d’aide aux orphelins.
Le ministère sierra-léonais de la Protection sociale, des Sexospécificités et de l’Enfance renforce également les normes relatives aux orphelinats et audite ces derniers à l’échelle nationale, une opération qui a abouti à la fermeture d’un grand nombre d’entre eux, selon l’UNICEF.
Mais les gouvernements doivent également faire respecter la législation existante, a estimé M. Apiah. Notamment, en vertu de la loi ghanéenne sur les enfants de 1998, les orphelinats doivent présenter des rapports d’audit annuels au ministère de la Protection sociale pour pouvoir renouveler leurs permis, or la plupart des orphelinats ne se conforment pas à la règle, a-t-il expliqué.
« Le problème vient d’une … défaillance du système, qui encourage la prolifération des orphelinats sans permis et non supervisés », a expliqué M. Apiah. « Ces problèmes subsisteront tant que nous n’aurons pas un filet de sécurité social solide pour aider les parents pauvres à élever leurs enfants ».
Soutenir ces filets de sécurité (en accordant des subventions aux familles vulnérables et en couvrant les frais de santé ou de scolarité des enfants) peut permettre d’inciter les familles à garder leur enfant plutôt qu’à s’en séparer, selon M. Theis de l’UNICEF.
« Il a été prouvé que tout un éventail de solutions fonctionnaient, des filets de sécurité à la garde communautaire, en passant par le placement en foyer d’accueil ; des solutions qui sont en outre beaucoup moins chères que le placement en orphelinat », a-t-il indiqué. « Placer les enfants en institution au lieu de les confier aux soins d’une famille doit toujours être le dernier recours ».