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L’Etat reconnait sa responsabilité morale dans l’exil forcé des enfants réunionnais

Dans les années 1960-1970, des milliers d’enfants réunionnais ont été déracinés et envoyés vers la métropole par la DDASS de la Réunion, dans un programme social favorisé par Michel Debré


Enfants réunionnais : l’Assemblée reconnaît la « responsabilité morale » de l’Etat

Libération - AFP - 18 février 2014 -

A l’Assemblée nationale mardi, des Réunionnais qui ont été, enfants, exilés de force dans la Creuse, assistaient au vote de la résolution mémorielle. (Photo Laurent Troude)

Toute la gauche a voté pour une résolution symbolique présentée par le groupe socialiste, tandis que l’UMP s’y est opposée. L’UDI n’a pas voté. L’Assemblée nationale a reconnu mardi la « responsabilité morale » de l’Etat dans la migration forcée de plus de 1 600 enfants réunionnais vers des départements ruraux dans l’Hexagone dans les années 60 et 70.

ENQUÊTE

La « cicatrice » de l’affaire des « Réunionnais de la Creuse » Par Laure Equy Présentée par le groupe socialiste, cette résolution symbolique et mémorielle, relative aux « enfants placés en métropole », a été adoptée par 125 voix contre 14. Toute la gauche (PS, Écologistes, PRG, Front de gauche et divers gauche) a voté pour, l’UMP contre, tandis que l’UDI n’a pas pris part au vote.

Vingt-six de ces ex-enfants réunionnais étaient présents dans les tribunes du public, certains ayant fait spécialement le déplacement de leur île où ils sont retournés vivre. Après le vote, les députés de gauche se sont levés pour les applaudir.

PLUS DE 1 600 ENFANTS DÉPLACÉS

Le gouvernement, représenté par les ministres Victorin Lurel (Outre-mer) et Dominique Bertinotti (Famille), a apporté son « soutien sans réserve » à ce texte pour « tourner la page de cette double faute et de cette double peine ».

Les députés se sont penchés sur un épisode méconnu de l’histoire contemporaine et l’émotion était palpable dans plusieurs interventions, dont celles des députées réunionnaises Ericka Bareigts (PS) et Huguette Bello (Gauche démocrate et républicaine) ou encore celle de Michel Vergnier, député PS de la Creuse où beaucoup d’enfants réunionnais avaient été déplacés.

Entre 1963 et 1982, plus de 1 600 enfants réunionnais (le nombre exact n’est pas établi), reconnus pupilles de l’Etat souvent sans le réel consentement de leurs parents, ont été transférés dans 64 départements et placés en foyers, familles d’accueil ou familles adoptives.

EXPLOSION SOCIALE

C’était un des volets de l’action du Bumidom, le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer. Créé en 1963, cet organisme d’État voulu par Michel Debré, député gaulliste de la Réunion, avait pour mission de solutionner « le problème démographique et social dans les départements ultramarins en organisant, favorisant et développant la promotion d’une émigration massive vers le territoire métropolitain », selon les termes de la résolution parlementaire.

La Réunion, à cette époque, connaissait une démographie galopante, une grande pauvreté et un chômage à 60% qui faisait craindre aux responsables politiques une explosion sociale.


La responsabilité de l’Etat dans l’exil forcé d’enfants réunionnais reconnue

Le Monde.fr | 18.02.2014 | Par Hélène Bekmezian -

Ericka Bareigts, députée (PS) de la Réunion, à l’Assemblée en juillet 2012. Si l’Assemblée nationale ne peut pas réécrire l’histoire, elle peut contribuer à mieux la faire connaître, notamment dans ses périodes les plus sombres. Mercredi 18 février, en adoptant, à 125 voix contre 14, une résolution visant à reconnaître la responsabilité de l’Etat dans l’exil forcé d’enfants réunionnais, les députés ont permis à un volet de l’histoire française du XXe siècle d’entrer dans la lumière, et ses quelque 1 600 victimes avec. Certaines d’entre elles, présentes en tribune du public, avaient d’ailleurs fait le déplacement pour suivre le débat.

En France métropolitaine, mais aussi à La Réunion, leurs histoires restent très peu connues. Ce sont celles de milliers d’enfants utilisés comme régulateur démographique et transportés de leur île vers la métropole à partir de 1963. A cette date, La Réunion est alors un jeune département français très pauvre, sans infrastructures et terriblement surpeuplé. Michel Debré, père de la Constitution de la Ve République, tout juste élu député de l’île, installe le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer, le Bumidom.

En France métropolitaine, de nombreux départements ruraux souffrent de l’exode, tandis qu’à La Réunion les tensions économiques et sociales du territoire peuvent se transformer en réelle difficulté politique. Le député met en place une politique radicale en organisant les flux migratoires des enfants de l’île vers la métropole. Certains sont orphelins, d’autres non, mais ils sont emmenés avec l’accord des familles.

PORTÉE SYMBOLIQUE

Un « consentement vicié », selon Ericka Bareigts, la député socialiste de La Réunion à l’origine du texte. Aux parents, on promet le « grand soir » : les enfants recevront une éducation et pourront revenir pour les vacances. « La réalité fut tout autre. L’administration imposa une rupture totale avec les familles, il leur était interdit de reprendre contact avec leurs parents, les courriers n’arrivaient pas toujours à destination », a rapporté Mme Bareigts à la tribune.

A l’UMP, l’affaire passe encore mal, car elle entache la mémoire de Michel Debré, ancien premier ministre de Charles de Gaulle. Didier Quentin (UMP, Charente-Maritime), s’est ainsi dit « choqué » par une « proposition qui semble faire indirectement procès ». « Sans doute certains de ces enfants ont été mal accueillis, mais ce n’est pas une raison pour stigmatiser par principe les services sociaux de l’époque, qui ont voulu donner une chance à ces enfants. La grande majorité d’entre eux y ont trouvé les conditions d’une vie meilleure », a soutenu le député.

Plus tard, le ministre des outre-mer, Victorin Lurel, a justement rappelé que « l’enfer est pavé de bonnes intentions », avant de souligner qu’« une faute que l’on tait ou que l’on oublie est une double faute ». Dès la fin des années 1960, des signaux d’alerte ont été donnés par des préfets, ce qui n’a pas empêché ces exils forcés de continuer jusqu’à l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir. Pour Victorin Lurel, « quelles que soient les motivations, rien ne permet de justifier aujourd’hui la poursuite de ces déplacements ».

« UN OUTIL POUR LEUR PERMETTRE D’ALLER PLUS LOIN »

De son côté, l’UDI a refusé de prendre part au vote, dénonçant une « manipulation politique à destination des électeurs réunionnais ». « Il ne s’agit pas d’une démarche d’instrumentalisation ou de faire de procès à charge », s’est défendu le président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas (PS, Finistère), rappelant la portée essentiellement symbolique de cette résolution, qui n’a pas valeur de loi.

Le texte ne comporte qu’un article, prévoyant que « l’Assemblée nationale demande à ce que la connaissance historique de cette affaire soit approfondie et diffusée ; considère que l’Etat a manqué à sa responsabilité morale envers des pupilles ; demande à ce que tout soit mis en œuvre pour permettre aux ex-pupilles de reconstituer leur histoire personnelle ».

« Cela ne réparera pas ce qu’ils ont vécu, affirme Ericka Bareigts, mais c’est un outil pour leur permettre d’aller plus loin. » Au début des années 2000, certains d’entre eux ont tenté des recours auprès de la justice, qui avait estimé les faits prescrits. Raison pour laquelle le député de Guadeloupe Ary Chalus (RRDP) a émis le regret que ces enfants ne soient pas considérés victimes d’esclavagisme, qui, depuis la loi Taubira de 2001, est devenu un crime contre l’humanité, donc imprescriptible.


Pour aller plus loin sur OSI Bouaké :


Publié sur OSI Bouaké le samedi 1er mars 2014

 

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