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Les enfants perdus du Congo


Depuis deux ans, la RDC vit une transition démocratique devant aboutir à la paix et à des élections libres. La future constitution congolaise a été adoptée à plus de 80 % lors d’un référendum fin décembre 2005. Si le processus abouti,, le pays devra se reconstruire, alors même que la génération future a été sacrifiée à l’autel de la guerre. Quel avenir pour les enfants perdus du Congo ?

Il a peut-être 4 ou 5 ans. Le regard dans le vague, il erre dans la rue. Les adultes ne le regardent pas, lui non plus. Il s’assoit devant les locaux de la radio Canal Révélation, dont le fondateur et jeune rédacteur chef est un enfant du pays, Richard Pituwa. Ce dernier interpelle le garçonnet, et lui demande son nom. Le petit ne sait pas, ne semble même pas parler. Il est maigre, ses yeux brillent à cause, pense Richard, de l’usage de la colle. Un collègue de Richard tend de l’argent au gamin. Le garçon le regarde sans comprendre. L’adulte lui donne alors un gâteau. Il se jette dessus, le dévore, puis disparaît en courant. « Il y a dix ans, un enfant comme ça, on ne l’aurait jamais laissé tout seul, soupire Richard. La guerre a tout changé. »

Nous sommes à Bunia, chef-lieu de de l’Ituri, en République démocratique du Congo (RDC). Une des régions les plus "chaude" de la planète, dans un Congo en guerre depuis 1996. En 2003, un important contingent de l’ONU   a empêché ici que ne se commette le premier génocide du 21e siècle, en employant la force pour la première fois de son histoire. Plus de sept milices différentes faisaient régner la terreur, sur fond de conflit interétatique et interethnique. Depuis, un calme relatif règne sur Bunia, « nettoyée » de ses chefs de milice. La ville se confond avec son bienfaiteur, l’ONU  , qui régule chaque aller et venue. Mais dans la brousse, tout autour, la sécurité est loin d’être garantie. Les meurtres et les viols sont monnaie courante.

6 000 enfants soldats déposent les armes

Pourtant Richard, qui était là aux pires heures de la guerre, a de l’espoir. La Monuc (mission des Nations-Unies pour le Congo), dont le budget est de plus d’un milliard de dollars, a engagé un processus de désarmement titanesque. En échange de leur arme, les candidats volontaires au désarmement reçoivent un petit pécule (50 $) et une formation. En Ituri, sur les 15 000 miliciens estimés, ce sont près de 13 000 qui ont déposé les armes. Ne restent dans la brousse que les plus durs, les chefs dont tout le monde connaît les exactions, et qui n’ont aucun intérêt à désarmer. Ce sont les jeunes, les esclaves de ces tyrans des brousses qui ont été les premiers candidats volontaires à la démobilisation. En Ituri, près de 6000 des ex-combattants sont des enfants. Pour se rendre au camp de désarmement de l’ONU  , ces garçons (et filles aussi...) ont réussi à tromper la vigilance de leur cheffaillon. Ils ont parcouru des centaines de kilomètres la peur et la faim au ventre. Pour atterrir ici, à Bunia, où, espèrent-ils, leur vie deviendra enfin meilleure. Devant le stand de l’Unicef, ils sont sagement regroupés. Le représentant de l’Unicef prend leurs noms, puis les envoit dans un camp de transit pour enfants, à des centaines de kilomètres de là, à Goma.

A côté de Bunia, Goma fait figure de capitale opulente, coincée entre le volcan Nyiragongo et le Rwanda assimilé à l’ennemi. Les petits aux yeux noyés par la colle y sont plus nombreux. Tous mendient. Les éducateurs de l’Ong Cajed les connaissent bien. Cette Ong locale gère des centres d’éducation pour les enfants des rues. Mais depuis quelques mois, les éducateurs ne peuvent plus s’occuper d’eux : leurs centres ont été reconvertis en camp de transit pour ex-enfants soldats, venus de Bunia, du Sud-Kivu, du Nord-Kivu ou de Kinshasa. Ce qui n’est pas une mince affaire. « Ils sont tellement... vindicatifs ! Ils n’écoutent rien », soupire Gilbert Munda. Le visage marqué, cet éducateur avoue être complètement dépassé par ces enfants qui ont vécu des années comme soldat dans la brousse. En tant que Congolais, Gilbert ne comprend pas leur attitude, étrangement individualistes, dans un pays jusqu’ici régi par les codes ancestraux de la communauté. De leur côté, les enfants manifestent leur mécontentement, surtout quand ils débarquent au centre de transit et d’orientation (CTO).

Problèmes d’intégration

Lili, 17 ans, au centre depuis quelques mois, résume la désillusion des jeunes fraîchement débarqués : « J’ai désarmé car j’avais entendu à la radio qu’on pouvait toucher 50 $ et avoir un métier », explique-t-elle. Or ce programme de réinsertion n’est valable que pour les adultes. Pour les moins de 18 ans, point d’argent ni de métier, le seul objectif des éducateurs est de retrouver les familles. « Je regrette d’être sortie de la brousse. Là-bas, j’avais des copains, une vie. Maintenant je n’ai rien, pas même un amour », se désole Lili, dans un accès de franchise qui choque le traducteur congolais. Différents, ces enfants sont différents. « Complètement destructurés », analyse l’éducateur. Dans leurs comportements, certains ressembleraient presque à des gosses occidentaux. D’un geste convaincant, le petit Farao imite un guerrier avec sa kalashnikov : « Pa Pa pa pa pa ! ». Hilare, il ressemble à n’importe quel gosse heureux de raconter son dernier combat sur son jeu vidéo préféré. Sauf que Farao n’a jamais vu un jeu vidéo de sa vie. A 14 ans, il vient de mettre un terme à une « carrière » militaire de quatre ans. La main sur le cœur, il jure ne plus jamais vouloir reprendre les armes. Gêné, il dit repenser aux vieilles mamans, qu’il a fallu tuer, juste parce qu’elles étaient là. « Aujourd’hui, je sais que c’est mal », ajoute-t-il, sans lever les yeux. Et si jamais la guerre reprend, que fera-t-il ? Farao se redresse, son sourire revient. « Je reprendrai les armes, et défendrait mon pays, bien-sûr ! »

Le petit Farao est dans le CTO depuis un an déjà. Théoriquement, sa famille retrouvée aurait dû le reprendre. Mais pour l’instant, toutes les tentatives des éducateurs pour les « réunifier » ont échoué. Farao n’est pas souhaité chez lui, à Kinshasa. S’il retourne un jour là-bas, peut-être rejoindra-t-il la cohorte des enfants des rues de la capitale. Ceux-ci sont si nombreux qu’ils forment, à l’ancien cimetière, une commune à eux tous seuls. Ces Rémi-sans-famille se sont inventés une communauté à eux au pied des tombes, sous le regard suspicieux des adultes.

Accusés de sorcellerie

Un grand nombre de ces jeunes se sont retrouvés dans la rue du fait de la guerre, bien-sûr, mais aussi à cause des superstitions des adultes. Jugés responsables de la maladie ou de l’infortune d’un proche, ils sont accusés de sorcellerie par des marabouts qui profitent de la misère et de la crédulité de leurs parents. Bannis de leur famille, ils atterrissent dans la rue. La situation de ces « enfants-sorciers » exaspère Rémi Mafu. Ce solide gaillard a fondé le Rejeer, un réseau fédérant 116 associations pour les enfants des rues à Kinshasa. Il se démène pour dénoncer ce phénomène dans la presse congolaise, et aussi à l’étranger. « Quand j’ai dénoncé les marabouts à la radio, on m’a pris pour un fou », raconte Rémi, écoeuré. Educateur depuis 20 ans, il constate une montée du phénomène depuis la guerre. En dix ans, le nombre d’enfants des rues a doublé à Kinshasa. La faute, selon Rémi, à la pauvreté et, comme le dit la blague congolaise, à l’article 15 de la Constitution Mobutu : « débrouillez-vous ».

Trop souvent, dénonce Rémi, le bouc-émissaire des difficultés des parents, c’est l’enfant. Des enfants qu’on n’hésite pas à accuser des exactions des adultes. Dans les mines de Bujimai, une femme a été violée. Les enfants ont été accusés, et 22 d’entre eux massacrés par les adultes, froidement. « Comment peut-on tuer ses propres enfants ? », s’insurge Rémi. L’éducateur nous emmène dans un des centres où les enfants des rues sont accueillis. Il nous présente Harris, 14 ans, même âge que le petit Farao. Harris nous raconte que sa tante l’a accusé de la mort de son mari, décédé d’une maladie. Le petit n’arrive pas à comprendre ce qu’il s’est passé, et ne veut qu’une chose : revoir sa maman. Celle-ci est en train d’essayer de rompre avec sa famille pour pouvoir reprendre son fils. Harris, dans son malheur, a encore de la chance ; sa mère fait tout pour le retrouver. Que ce soit Lili, Harris, Farao ou le petit inconnu de Bunia, tous ne veulent qu’une chose : être entendus, aimés, intégrés. Aucun d’entre eux disent n’en vouloir aux adultes, eux-mêmes ne sont plus vraiment des enfants. Une chose est sûre, pour Rémi Mafu, « le Congo que nous connaissions n’existe plus ».

Blandine Flipo


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Publié sur OSI Bouaké le vendredi 27 janvier 2006

 

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