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Ces enfants qui émigrent seuls


Le journal du CNRS - 7 Juillet 2015 - par Laure Cailloce - Ils seraient 7 600 mineurs étrangers isolés sur le territoire français, plusieurs dizaines de milliers en Europe. Du fait de leur jeune âge, ces migrants arrivés seuls sur le Vieux Continent bénéficient de la protection des États, qui leur doivent éducation et soin. Certains se retrouvent pourtant en grande précarité.

C’est un imbroglio juridique qui a mis le phénomène des mineurs migrants dans la lumière dans les années 1990 : des adolescents étrangers maintenus en zone d’attente à Roissy se retrouvaient dans l’impossibilité de faire appel de cette décision comme n’importe quel migrant adulte, parce qu’ils avaient moins de 18 ans et qu’ils n’avaient ni parent ni tuteur à leurs côtés pour endosser la responsabilité de cette démarche… Une situation illégale, comme il s’est ensuite avéré. En tant que signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant, comme tous les autres pays européens, la France se doit en effet de protéger tous les mineurs en danger qui se trouvent sur son sol, qu’ils soient nationaux ou étrangers ; les mineurs migrants isolés en font partie. En France, ils relèvent comme les autres mineurs du Code civil et du Code de la protection de l’enfance ainsi que des services de l’aide sociale à l’enfance, qui doivent veiller à leur prise en charge (en foyer ou en famille d’accueil) et à leur scolarisation.

La suspicion plutôt que l’accueil

La règle est simple… sur le papier seulement. Car l’augmentation du nombre de ces mineurs étrangers non accompagnés depuis dix ans a en partie changé le regard que l’administration portait sur eux. Un premier rapport rédigé en 2002 dans l’Hexagone évaluait à 2 000 le nombre de mineurs étrangers pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance – un chiffre parcellaire puisqu’à l’époque seuls 70 départements avaient accepté de répondre à l’enquête, la protection de l’enfance étant une compétence départementale. Entre le 1er juin 2013 et le 31 décembre 2014, 7 600 mineurs étrangers isolés auraient été évalués en tant que tels selon la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse. « En dix ans, on est passé progressivement de la question de savoir comment les accueillir au mieux pour se focaliser sur la preuve de leur minorité, dans un esprit de suspicion à la fraude », décrit Daniel Senovilla Hernandez, juriste au laboratoire Migrinter1. Démontrer que le jeune n’est pas mineur, c’est en effet faire disparaître l’obligation d’assistance de l’État et le renvoyer dans les catégories de migrants « classiques » : sans papier ou demandeur d’asile, selon les cas.

« La présomption de minorité se fonde d’abord sur un entretien, conduit soit par l’administration soit par des associations ayant une délégation de service public, explique Daniel Senovilla Hernandez. Ses papiers d’identité, quand il en a, ne sont pas toujours pris en compte. L’apparence du jeune – est-ce qu’il est de grande taille, est-ce qu’il est pubère ? –, sa façon de s’exprimer, permettent de donner une première appréciation, qui n’a pas de valeur juridique définitive. » Si on l’évalue comme « non mineur », le jeune migrant peut saisir le juge pour enfants qui va demander une expertise documentaire ou médicale : un test osseux pratiqué dans la plupart des pays européens, et dont la fiabilité a été plusieurs fois remise en cause.

Ce test dit de Greulich et Pyle consiste à comparer les os de la main et du poignet gauches aux tables élaborées aux États-Unis dans les années 1930 sur une cohorte d’enfants blancs nord-américains. Un test dont la marge d’erreur a été estimée à dix-hui mois par l’Académie nationale de médecine, rappelle le chercheur, qui alerte : « Le risque est réel de priver de protection des enfants qui n’ont pas 18 ans. »

Des démarches sans fin

Autre problème non négligeable : ces démarches à rallonge prennent du temps, jusqu’à plusieurs mois pendant lesquels le jeune n’est pas pris en charge et encore moins scolarisé. « Certains dorment dans des foyers ou des structures d’urgence, mais d’autres se retrouvent tout simplement à la rue et se débrouillent comme ils peuvent en attendant la décision définitive », indique Daniel Senovilla Hernandez. Une péripétie de plus dans le parcours semé d’embûches de ces enfants venus d’Afrique de l’Ouest et du Maghreb, pour ce qui est de la France, de République démocratique du Congo, du Nigeria, d’Érythrée…, mais aussi d’Égypte ou encore du Bangladesh si l’on élargit à tous les pays d’Europe.

Si une partie de ces jeunes a émigré après une décision familiale, soit pour échapper à un conflit, soit pour des raisons économiques, la majorité a pris la route sans en informer ses parents : pour venir en aide à leur famille, parce qu’ils ne se voient aucun futur dans leur pays, ou encore pour échapper à un mariage forcé dans le cas de certaines jeunes filles… « Quel que soit le motif du départ, tous font preuve d’un courage et d’une détermination hors du commun, rappelle Nelly Robin, géographe au laboratoire Centre population et développement (Ceped), en accueil à Migrinter. Ceux qui viennent d’Afrique de l’Ouest, par exemple, entreprennent un voyage qui dure de trois à quatre mois, dans le meilleur des cas, à plus d’un an. Ils montent vers le nord le long des routes nationales, traversent le Sahara en ayant recours à des passeurs – une traversée aussi terrible que celle de la Méditerranée, de leur propre aveu –, reprennent la route jusqu’en Lybie ou au Maroc notamment, où ils s’embarquent à bord d’embarcations de fortune… »

Sur le chemin, les garçons survivent en faisant des travaux agricoles et arrivent parfois à envoyer un peu d’argent aux familles durant le voyage ; les jeunes filles sont pour partie « happées » par les réseaux de prostitution et arrivent en Europe par ce biais… L’une des raisons pour lesquelles on les retrouve si peu dans les structures d’accueil des mineurs migrants isolés.

La plupart ont entre 14 et 17 ans. « Les plus jeunes que j’ai pu rencontrer avaient 8 ans pour les garçons et étaient partis avec deux ou trois copains, 12 ans pour les filles », raconte Nelly Robin. Ils suivent généralement les traces d’amis ou de voisins partis en Europe avant eux, et dont ils ont des nouvelles via le téléphone et les réseaux sociaux. « Ce sont aussi des jeunes du monde, qui ont les mêmes envies que tous les adolescents de la planète… La paire de baskets qu’ils voient sur les photos envoyées par les copains arrivés en Europe en fait partie », décrypte Francesco Vacchiano, psychologue clinicien et anthropologue à l’Institut de sciences sociales de l’université de Lisbonne, qui a exploré le sujet en Italie, en Espagne et au Portugal.

Des déménagements à répétition

Une chose est sûre : les politiques migratoires des pays européens ont un impact direct sur l’âge de ces mineurs migrants. « En 2006, quand l’Espagne a commencé à reconduire à la frontière les Marocains de plus de 16 ans – une pratique qui sera finalement jugée illégale par la Cour constitutionnelle –, on a aussitôt vu des enfants plus jeunes arriver », raconte Francesco Vacchiano. Même chose en Italie, où la signature avec l’Égypte d’un accord de renvoi des migrants adultes a provoqué une forte augmentation de la migration égyptienne adolescente. « Les enfants et les familles sont généralement bien informées », explique le chercheur.

En France, la manière d’accueillir les mineurs migrants et de traiter leurs demandes continue de faire débat. Les départements les plus sollicités – Île-de-France, Seine-Saint-Denis – se sont plaints de voir leurs structures d’accueil débordées et ont demandé une redistribution de cette « charge » à l’ensemble des départements métropolitains. Demande entendue en 2013. Résultat : c’est désormais la Mayenne, la Vienne…, qui refusent aujourd’hui d’accueillir les jeunes migrants au motif qu’elles n’ont pas assez de places disponibles. Or ces déménagements à répétition ne sont pas sans conséquences pour les mineurs. « En dehors du fait qu’ils sont ballotés d’un endroit à un autre, ils doivent souvent recommencer toute la procédure de preuve de minorité quand ils arrivent dans un nouveau département », explique Daniel Senovilla Hernandez. Pas idéal pour retrouver un semblant d’existence et vivre – enfin – comme des enfants de leur âge.

Notes

1.Migrations internationales, espaces et sociétés (CNRS/Univ. de Poitiers).


VOIR EN LIGNE : CNRS
Publié sur OSI Bouaké le jeudi 16 juillet 2015

 

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