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Appel des appels : Le front des refus s’organise


23/01/09, Libération, Editorial de Laurent Joffrin

Nicolas Sarkozy le sait : même s’il est froid ou humide, l’air sent la poudre. En principe, les temps de crise ne sont guère propices aux mouvements sociaux. La peur, l’angoisse de l’avenir, la menace qui pèse sur les conditions matérielles de vie incitent au repli et à la prudence. Mais nous sommes en France. L’individualisme du tempérament national se double d’un goût pour l’action collective soudaine qui prolonge, même sur le mode symbolique, la longue chaîne des émotions populaires commencée en 1789. Les manuels d’histoire ont plus d’influence qu’on ne le pense…

Révolte. Ainsi « l’Appel des appels » que nous publions aujourd’hui est-il un événement qui dépasse de loin le jeu du mécontentement catégoriel. Depuis de longs mois, nombre de professions, souvent vouées au service public, manifestent leur opposition. Elles usent de protestations classiques, mais aussi d’un langage et de méthodes dont la radicalité doit être méditée, alors même que leurs porte-parole ne sont pas forcément des militants organisés. Les psychiatres, les professeurs, les magistrats, les créateurs on tous un motif d’exprimer leur refus et leur revendication, quand ce n’est pas leur révolte. Il y a là un phénomène politique qui n’émane pas du monde des élus, des responsables de partis ou de syndicats. Il vient de la société. Que veulent-ils, non pas pour leur compte, mais pour la collectivité ? D’abord un respect des libertés publiques que le gouvernement, à leurs yeux, tend à écorner dans beaucoup de domaines. Les psychiatres s’inquiètent d’une vision par trop naturaliste et carcérale du trouble mental, qui va à rebours d’une très longue tradition progressiste en ce domaine. Les magistrats s’émeuvent des tentations de contrôle qui percent dans certains gestes et surtout dans un projet de réforme de l’instruction qui mettait les enquêtes judiciaires à la merci de l’exécutif. Les professeurs ont été heurtés par l’extension à l’école du champ de recherche des familles de sans-papiers, déjà source d’indignation et de résistance dans l’ensemble du corps social.

Droit et solidarité. Ils veulent ensuite que les principes d’équité sociale et d’engagement de puissance publique ne soient pas constamment détournés ou amoindris. Ils notent que les fonds débloqués à juste titre pour lutter contre l’aggravation brutale de la situation économique vont plus aux uns qu’aux autres. Ils sont outrés de voir que souvent la classe dirigeante financière ou économique, après avoir conduit, en France et ailleurs, la planète à l’effondrement financier et à la récession subséquente, refuse au fond de changer réellement les règles. Qui dira la rébellion morale suscitée par le maintien imperturbable de nombre de gratifications exorbitantes décidées hors de tout souci collectif par les plus hauts dirigeants ? Le président de la République lui-même a dû taper du poing sur la table pour obtenir un geste. C’est dire… Voilà pourquoi « l’Appel des appels » doit retenir l’attention. On peut discuter tel ou tel aspect des demandes ou des réquisitoires. Le sens général de l’initiative n’est pas douteux. Il s’agit de mettre en cause l’orientation générale d’une politique. Il s’agit surtout de porter haut les valeurs de droit et de solidarité qui font l’honneur de la culture politique française, dans ses meilleurs jours. Ces valeurs sont aussi celles de Libération. Voilà pourquoi nous publions cet appel.

« L’Appel des appels »

« Nous, professionnels du soin, du travail social, de l’éducation, de la justice, de l’information et de la culture, attirons l’attention des pouvoirs publics et de l’opinion sur les conséquences sociales désastreuses des réformes hâtivement mises en place ces derniers temps. A l’Université, à l’école, dans les services de soins et de travail social, dans les milieux de la justice, de l’information et de la culture, la souffrance sociale ne cesse de s’accroître. Elle compromet nos métiers et nos missions. Au nom d’une idéologie de "l’homme économique", le pouvoir défait et recompose nos métiers et nos missions en exposant toujours plus les professionnels et les usagers aux lois "naturelles" du marché. Cette idéologie s’est révélée catastrophique dans le milieu même des affaires dont elle est issue. Nous, professionnels du soin, du travail social, de l’éducation, de la justice, de l’information et de la culture, refusons qu’une telle idéologie mette maintenant en "faillite" le soin, le travail social, l’éducation, la justice, l’information et la culture. Nous appelons à une Coordination nationale de tous ceux qui refusent cette fatalité à se retrouver le 31 janvier 2009 à Paris. »


Aujourd’hui 23 janvier 2009, il y a 20012 signatures électroniques enregistrées depuis le 9 janvier 2009


VOIR EN LIGNE : Appel des appels
Publié sur OSI Bouaké le samedi 24 janvier 2009

 

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