MEXICO, 4 août 2008 - L’opportunité de promouvoir ou non l’utilisation des antirétroviraux (ARV ) comme outil de prévention de la transmission du VIH chez les couples sérodiscordants a de nouveau fait l’objet de discussions animées lors d’une session de la XVII Conférence internationale sur le sida , organisée du 3 au 8 août à Mexico, au Mexique.
En janvier 2008, une déclaration de la Commission fédérale (suisse) pour les problèmes liés au sida (CFS), suite à plusieurs études menées depuis 1986 sur le rôle de la thérapie antirétrovirale dans la prévention de la transmission du VIH au sein des couples sérodiscordants –dans lesquels un seul des partenaires est infecté-, a fait beaucoup de bruit dans les milieux de la lutte contre l’épidémie et suscité la controverse.
Selon la déclaration de la CFS, le risque pour une personne séropositive sous traitement ARV de transmettre le virus à son partenaire régulier séronégatif lors de relations sexuelles devient « négligeable » -nettement inférieur à un pour 100 000- lorsque des « conditions optimales » sont réunies, c’est-à-dire lorsque sa charge virale (quantité de virus dans le sang) est indétectable depuis au moins six mois, que le patient observe son traitement à la lettre, qu’il est suivi régulièrement par un médecin et qu’aucun des partenaires ne souffre d’infections sexuellement transmissibles (IST).
Tout en rappelant que ceci ne remettait pas en cause les méthodes actuellement connues de prévention de l’infection et qu’un « risque négligeable » n’était pas un « risque zéro », le professeur Pietro Vernazza, président de la CFS et auteur principal de la déclaration, qui s’exprimait lors d’une session organisée au premier jour de la conférence, a estimé que ces conclusions apportaient de l’espoir, notamment aux couples sérodiscordants souhaitant avoir un enfant, puisque le risque de transmission était réduit « au risque de la vie quotidienne ».
Il a néanmoins mis en garde contre tout triomphalisme prématuré. « Nous avons prévenu : ‘Bonne nouvelle pour quelques uns, [mais] les messages de prévention restent les mêmes’ », a-t-il insisté, avouant qu’il ne s’attendait pas à ce que la déclaration « ait un retentissement mondial ». « Cela n’est pas un conseil contre l’utilisation du préservatif… et nous voulons être clairs sur le fait que c’est le partenaire [séronégatif] informé qui doit décider de la manière dont il veut appliquer ces résultats dans sa vie quotidienne ».
Des experts prudents
D’autres intervenants lors de cette session, qui a attiré une foule de participants, se sont montrés plus réservés quant à l’opportunité de promouvoir cet outil de prévention en l’état actuel des connaissances.
Myron Cohen, professeur de médecine et microbiologie à l’université américaine de Caroline du Nord, a souligné que les études effectuées « ne répondaient pas à la question de savoir quel est le degré et la durabilité du bénéfice de la thérapie ARV comme moyen principal de prévention du VIH au sein du couple ».
Un large essai est en cours et doit prendre fin en 2009, a-t-il noté, mais ses résultats pourraient ne pas être utilisables avant 2016, selon lui, et entre-temps, il reste de nombreuses incertitudes, liées par exemple aux IST asymptomatiques, aux résistances aux ARV et à certaines pratiques sexuelles –orales ou anales- qui militent en faveur de l’utilisation du préservatif.
Citant une étude publiée dans le Lancet, Nancy Padian, de l’université de San Francisco a rappelé que « les préservatifs ne sont efficaces que lorsqu’ils sont utilisés correctement et en permanence ».
Or, l’utilisation du préservatif chez les couples réguliers sérodiscordants étant « décevante », selon elle, la thérapie comme outil de prévention pourrait s’avérer « plus réaliste » dans leur cas.
...Ce dont nous discutons ici, c’est de savoir si c’est un risque acceptable d’avoir une relation sexuelle non protégée avec une personne sous traitement… C’est en fait moins risqué que d’avoir une relation sexuelle sans préservatif avec quelqu’un qui ne connaît pas son statut...
Elle s’est néanmoins inquiétée du risque de mauvaise interprétation des messages, le contrôle de la relation sexuelle étant en outre placé entre les mains du partenaire infecté.
Catherine Hankins, conseillère scientifique en chef du Programme commun des Nations Unies sur le sida , ONUSIDA , a également alerté sur les effets « inattendus » et les risques de mauvaise interprétation de l’annonce, tout en reconnaissant le rôle des ARV dans la prévention du VIH , par exemple dans le cas de la transmission mère-enfant.
D’autre part, a-t-elle fait valoir, promouvoir les ARV comme outil de prévention n’est pas applicable partout, notamment dans les pays à revenus faible et intermédiaire, où vivent l’immense majorité des personnes infectées mais où les conditions optimales nécessaires ne sont pas réunies : en Afrique, seul un patient sur cinq a accès aux examens de charge virale –ils sont huit pour cent dans ce cas en Asie.
« Tout ce qui augmente les choix pour la prévention est important », a-t-elle affirmé. Mais la déclaration suisse a « un large potentiel pour faire plus de mal que de bien… Nous devons en savoir plus avant de décider ».
Des activistes partagés
La déclaration du CFS a également provoqué de nombreuses réactions parmi les activistes de la lutte contre le sida , certains, comme l’organisation Act-Up, appelant à la plus grande prudence.
Il n’y a toujours pas de consensus sur la question parmi les organisations de lutte contre le sida , a reconnu Nikos Dedes, du European AIDS treatment group (EATG), mais il a estimé, comme la majorité des activistes présents lors de la session à Mexico,
qu’il fallait « tirer les leçons positives de cette déclaration ».
« Cela permet d’alléger le fardeau d’être séropositif, en réalisant qu’on ne représente plus un danger à vie pour les autres et pour nos partenaires », a-t-il dit. « On retrouve le droit à l’expérience de l’intimité et du plaisir sexuel sans inhibitions, on peut avoir des enfants, et si les messages [de prévention] passent bien, cela peut aider à réduire la discrimination contre nous ».
« Les relations sexuelles non protégées au sein du couple sont la norme, plutôt que l’exception… et les jeunes portent peu d’attention au préservatif », a dit M. Dedes, insistant sur la nécessité d’élaborer des messages de prévention très clairs. « Nous devons nous entendre sur comment communiquer sur ce que signifient les résultats, et comment les médecins doivent les communiquer à leurs patients.
Il faut [aussi] créer des outils de diagnostics abordables pour les pays en développement ».
Les messages doivent clairement indiquer que cette méthode
de prévention peut s’ajouter aux autres, mais ne les remplace en aucun cas : en l’absence de certitudes, le préservatif doit rester la règle,
mais les autres pistes doivent être explorées, a estimé M. Dedes.
« Nous vivons dans une vie où l’on doit accepter le risque. Ce dont nous discutons ici, c’est de savoir si c’est un risque acceptable d’avoir une relation sexuelle non protégée avec une personne sous traitement… C’est en fait moins risqué que d’avoir une relation sexuelle sans préservatif avec quelqu’un qui ne connaît pas son statut », a-t-il souligné, applaudi par l’assistance.
Pour conclure, le professeur Bernard Hirschel, l’un des co-auteurs de la déclaration suisse, a rappelé qu’obtenir des « preuves parfaites » pouvait faire perdre beaucoup de temps : il a fallu 17 ans entre le moment où de premières études ont mis en évidence le rôle potentiel de la circoncision dans la réduction du risque d’infection au VIH pour l’homme dans le cadre de relations hétérosexuelles, et le moment où cette intervention a été officiellement incluse dans les stratégies sanitaires comme un outil de prévention du VIH .