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"Il faut bousculer les dogmes pour trouver un vaccin contre le sida"

Françoise Barré-Sinoussi évoque les perspectives de la lutte contre une pandémie


LeMonde | 20.05.2013 - Par Paul Benkimoun

Il y a trente ans, le 20 mai 1983, la virologue Françoise Barré-Sinoussi était la première signataire d’un article publié dans la prestigieuse revue américaine Science, décrivant l’identification du virus de l’immunodéficience humaine (VIH  ), responsable du sida  . Alors que l’Institut Pasteur, où elle travaille toujours, s’apprête à célébrer, par un colloque scientifique, trente ans de recherche sur le VIH  , la chercheuse, récompensée avec Luc Montagnier en 2008 par le prix Nobel de médecine, évoque les perspectives de la lutte contre une pandémie qui a fait plus de 28 millions de morts depuis son apparition en 1981.

Depuis le début de l’épidémie, la mise au point d’un vaccin a été présentée comme possible en une dizaine d’années. Y croyez-vous encore, après les échecs successifs des grands essais vaccinaux ?

Je crois toujours que nous pourrons arriver à un vaccin contre le VIH  , mais pour cela il faudra faire bouger les dogmes sur lesquels repose la recherche dans ce domaine. Nous devons ouvrir de nouvelles voies, car tous les candidats vaccins, tous les vecteurs pour les transporter, élaborés à partir d’une approche empirique, ont été des échecs. En 2007, l’essai international STEP a été interrompu devant l’absence de protection obtenue. Jusqu’alors l’idée était : on tente et on verra, car beaucoup des vaccins efficaces aujourd’hui ont été développés de cette manière. Le problème est que cela ne marche pas dans le cas du VIH  . Lorsque des résultats ont été obtenus, comme avec l’essai "Thaï", mené à partir de 2003 en Thaïlande sur 16 000 hommes et femmes, ils sont restés modestes.

Quelles peuvent être ces nouvelles pistes ?

Elles viendront d’un retour à la recherche fondamentale mais, je le répète, à condition que les chercheurs s’affranchissent des dogmes. La protection conférée par les vaccins classiques repose sur l’induction d’anticorps neutralisants qui bloquent la pénétration du virus dans les cellules. Aucun des vaccins contre le VIH   n’a pu produire ce type d’anticorps. En revanche, nos connaissances ont avancé sur les anticorps d’un autre genre. Comme pour d’autres maladies pour lesquelles nous avons du mal à mettre au point un vaccin (paludisme, hépatite C, tuberculose...), nous devons comprendre quelle peut être la meilleure réponse pour protéger les malades.

J’aime la démarche consistant à identifier sur les vaccins qui marchent – comme celui contre la fièvre jaune – les premiers signaux de la réponse immunitaire afin de pouvoir les comparer aux tentatives qui ont échoué sur le VIH  . Nous devons également apprendre des travaux qui ont révélé une sous-catégorie d’anticorps particuliers chez des sujets vivant avec le VIH  , et chez lesquels l’infection paraît bloquée. Nous en sommes encore à débroussailler.

A quelle échéance de tels travaux pourraient-ils déboucher ?

Je ne m’amuserai pas à faire des pronostics sur une date.

Que retenez-vous des trois décennies écoulées ?

Cette histoire est le plus bel exemple de ce que l’on appelle la recherche translationnelle : toute la recherche est là pour aboutir à des outils applicables au diagnostic, au traitement et à la prévention pour les personnes affectées par la maladie. Cet esprit a été présent depuis le début avec le VIH  . Nous avons été confrontés à une période dramatique où les personnes infectées tombaient comme des mouches. D’habitude, les chercheurs en laboratoire, comme moi, ne sont pas en contact avec les malades. Là, des liens et des histoires se sont noués. Cela nous a fait nous remettre en question. Le contact permanent avec les représentants des patients et la société civile a fait évoluer les priorités des programmes de recherche. Je ne pourrais plus me passer de ce contact aujourd’hui.

Le milieu des scientifiques travaillant sur le VIH   et la Société internationale sur le sida   (IAS), que vous présidez, a toujours eu un ton très militant...

Quand on est scientifique et que l’on essaye de donner le maximum le plus vite possible pour que les outils de prévention, de diagnostic et de traitement soient accessibles partout et que l’on voit que cela n’est pas le cas, c’est insupportable. Cela rend agressif et cela ne s’atténue pas avec le temps... Mais notre voix, jointe à celle des militants associatifs, a porté davantage.

En 2012, l’IAS a lancé l’initiative "Vers une rémission dans l’infection VIH  ". Quel est l’objectif ?

Notre objectif est d’accélérer la recherche multidisciplinaire en intégrant recherche fondamentale, clinique, sciences sociales... Cette initiative, contrairement à d’autres, ne part pas des bailleurs et des agences internationales, mais des scientifiques. Nous souhaitons obtenir des financements sur des appels d’offres ciblés, car nous avons à résoudre une question majeure : comment accéder pratiquement aux patients séropositifs et leur proposer les outils existants qui permettent aujourd’hui de donner une espérance de vie quasi normale ? Cela a un coût important, mais tout démontre que c’est la voie à suivre. D’autant que la lutte contre le VIH   permet dans de nombreux pays de tirer les systèmes de santé vers le haut en développant parallèlement des programmes de santé plus globaux. Cette stratégie a un coût exponentiel – car en outre les malades vivent de plus en plus longtemps –, mais elle est rentable.

Les conceptions sur la meilleure manière de traiter les personnes vivant avec le VIH   ont fluctué au fil des années. Comment la conçoit-on à présent ?

Il y a le problème du moment où mettre le malade sous antirétroviraux. Nous savons à présent que le VIH   pénètre très tôt dans différents compartiments de l’organisme et constitue des réservoirs où il reste à l’état latent... jusqu’au moment où il sera de nouveau activé. C’est pour cela que nous devons traiter plus tôt et plus fort qu’auparavant. Mais il reste à résoudre les difficultés posées par un traitement qui reste un traitement à vie. En France, les patients de la cohorte "Visconti", traités dans les dix semaines après l’infection et pendant trois ans pour la plupart, contrôlent toujours leur infection. Pour certains, sept ans après l’arrêt de leur traitement. C’est encourageant.

- Encadré : 34 millions de personnes infectées dans le monde

Fin 2011, 34 millions de personnes dans le monde vivaient avec le VIH  , selon l’Onusida  . Grâce à la prévention et aux traitements, le nombre des nouvelles infections a chuté ces dernières années. Il s’élevait à 2,5 millions en 2011, soit 700 000 de moins que dix ans auparavant.

Les décès sont aussi moins nombreux : 1,7 million en 2011, soit 500 000 de moins qu’en 2005. Pour la première fois dans les pays à revenu faible et intermédiaire, la majorité des personnes éligibles au traitement anti-VIH   – 54 %, soit 8 millions de personnes – sont sous thérapie antirétrovirale. 16,8 milliards de dollars (13 milliards d’euros) ont été consacrés à la lutte contre le sida   en 2011.


La lutte anti-sida de demain : Pas de baguette magique mais un cocktail

Pour "éradiquer" un jour le virus du sida  , les chercheurs réunis à Paris pour les 30 ans de la découverte du VIH   pensent que la réponse thérapeutique ne sera pas unique, mais passera par une "combinaison de traitements".

E-llico.com - 23/05/2013 -

La clef pour se débarrasser d’un virus qui tue chaque année 1,8 million d’individus et permettre aux 34 millions d’infectés d’être un jour guéris ou en "rémission" définitive, sera un cocktail de solutions, affirme FrançoisE Barré-Sinoussi qui a obtenu en 1988 avec Luc Montagnier, le Nobel de médecine pour la découverte du VIH   en 1983.

"La communauté scientifique internationale est généralement d’accord pour penser que ce ne sera pas un traitement unique mais une combinaison de molécules ou de traitements et vaccins qui permettront cette rémission à l’arrêt du traitement" a expliqué la virologue de l’Institut Pasteur à l’occasion d’un symposium international.

"Le but est d’arriver à une génération sans VIH  ", et pour arriver à cela, l’élaboration d’un vaccin constitue "un chemin difficile mais possible", a expliqué son collège américain Anthony Fauci, patron de l’Institut national américain des maladies infectieuses, en pointe dans la recherche contre le sida  .

La démonstration de la "faisabilité" d’un vaccin anti-sida   a été faite par une étude thaïlandaise (baptisée RV144) qui a donné une protection de 31%, considérée comme modeste, sur 16.000 personnes vaccinées, a-t-il indiqué.

Un vaccin plus efficace est "probable" mais cela n’arrivera pas l’année prochaine, a commenté Dr Fauci.

Pour la chercheuse australienne Sharon Lewin (Monash University et Alfred Hospital, Melbourne) un vaccin "est possible mais ce que nous voulons in fine c’est un traitement curatif disponible pour le plus grand nombre".

Réactiver les virus dans les réservoirs

L’un des grands axes actuels de la recherche anti-sida  , sur lequel Dr Lewin travaille, c’est la chasse aux virus latents dans les cellules appelées "réservoirs" où il "se cache".

"Nous savons que la raison principale pour laquelle le VIH   persiste chez les personnes sous traitement c’est qu’il est capable de se cacher dans certains cellules spécialisées", explique à l’AFP, Mme Lewin.

L’approche de son équipe consiste à utiliser des médicaments anti-cancer, agissant au niveau génétique, pour débusquer le virus des réservoirs.

"Je pense que le virus est persistant chez les gens pour de multiples raisons. Nous nous intéressons aujourd’hui au virus qui se cache dans l’ADN et nous trouvons la solution pour une partie du problème seulement. Nous aurons besoin en fin de compte d’une approche combinée comme celle contre le cancer" explique la chercheuse.

Des "cas" comme celui du "bébé du Mississippi" en rémission complète après avoir été traité par antirétroviraux quelques heures après son infection, montre une "intéressante petite lumière au bout du tunnel", souligne le Dr Fauci.

C’est aussi le cas pour les 14 patients français de l’étude Visconti traités très précocement et capables de "contrôler" leur infection plusieurs années après avoir arrêter leur traitement.

Pour Jean-François Delfraissy, directeur général de l’Agence national de recherche sur le sida   (ANRS), cette étude "suggère qu’avec un traitement très précoce on peut induire des formes de rémissions".

(Source AFP)


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 29 mai 2013

 

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