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Au Cameroun, la lutte contre le sida se heurte aux difficultés de financement


Le Monde | 29.11.2013 - Yaoundé (Cameroun) - par Chloé Hecketsweiler -

En ce jour de novembre, un soleil éclatant éclaire les murs blancs de l’hôpital général de Yaoundé. Dans cet austère bâtiment en béton, abîmé par les longues saisons des pluies, défilent chaque mois 7 500 patients infectés par le VIH  , le virus à l’origine du sida  . Ils viennent consulter leur médecin et chercher leurs antirétroviraux, ces médicaments qui enrayent la progression de la maladie, mais qui doivent être pris à vie.

Dès l’aube, ils s’alignent dans une petite salle aux airs de chapelle, avec ses rangés de bancs en bois. Au mur, des affichettes de prévention défraîchies et une télévision qui diffuse des clips en boucle.

560 000 PERSONNES VIVENT AVEC LE VIH  

Partout en Afrique subsaharienne – où vivent 25 des 35 millions de personnes atteintes du virus du VIH   dans le monde –, les difficultés de financement se multiplient. Un phénomène que les ONG devraient une nouvelle fois souligner à l’occasion de la Journée mondiale du sida  , dimanche 1er décembre.

Marie-Claire Ondilo vit à Bafia, à deux heures de route au nord de Yaoundé. Discrète avec son foulard sur les cheveux et sa silhouette fine, cette mère de deux enfants vient ici chaque mois. Les antirétroviraux sont gratuits, mais le transport engloutit chaque fois 2 500 CFA (3,80 euros), alors que son emploi dans un champ de manioc lui rapporte de 5 000 à 7 000 CFA (de 7,62 à 10,67 euros) par semaine. Il y a bien un hôpital plus proche de chez elle mais, ici, elle est sûre de recevoir ses médicaments.

Au Cameroun, les dépenses de santé représentent seulement 8 % du budget de l’Etat, ce qui ne suffit pas à acheter des médicaments en quantité suffisante. « Nous sommes très loin de la promesse faite lors de la conférence d’Abuja , en 2001, d’y consacrer 15 % de notre budget d’ici à 2015 », reconnaît André Mama Fouda, le ministre de la santé camerounais. Ce 6 novembre, alors que le pays célèbre les 31 ans de pouvoir du président Paul Biya, il doit faire les fonds de tiroirs pour trouver de quoi payer les antirétroviraux jusqu’à la fin de l’année. Dans le pays, environ 560 000 personnes vivent avec le VIH   sur une population de plus de 20 millions d’habitants et la file de patients ne cesse de s’allonger avec 40 000 nouvelles infections en 2012. Moins de la moitié des patients éligibles sont traités.

LE FONDS MONDIAL APPELÉ À LA RESCOUSSE

« La Banque mondiale vient de nous accorder 2,5 millions de dollars supplémentaires, de quoi financer un mois de traitement », se félicite le ministre de la santé. Appelé à la rescousse, le Fonds mondial, le premier bailleur du Cameroun, a, de son côté, promis de débloquer 10 millions de dollars pour boucler l’année, ainsi que 20 millions de dollars en 2014. En 2013, l’aide internationale représentait ainsi plus de la moitié des 40 millions de dollars consacrés à la prise en charge des personnes porteuses du VIH  .

« J’ai découvert que j’étais séropositive lors d’une consultation prénatale. Je ne m’y attendais pas. Mon mari est décédé dans un accident du travail, j’étais enceinte de deux mois, je n’ai pas eu le temps de lui en parler », soupire Sidoine, 25 ans, qui patiente à l’hôpital du district de la Cité verte, à Yaoundé. Vêtue d’une jupe imprimée chatoyante et d’une veste militaire kaki, elle tient sa petite Flora, un mois, blottie contre elle.

Sa préoccupation : réunir suffisamment d’argent pour financer le test de charge virale (qui mesure la quantité de virus dans le sang) qui permettra d’ajuster son traitement. Le prix – 16 000 CFA, soit 24,39 euros – est hors de portée de la plupart des patients, la majorité d’entre eux gagnant moins de 30 000 CFA (45,73 euros) par mois. Comme Sidoine, de nombreuses femmes font face, seules, à la maladie qui reste un tabou et un motif fréquent de divorce.

« IL FAUT DES MÉCANISMES DE FINANCEMENT INNOVANTS »

Pour résoudre les problèmes de budget, les Etats et les ONG tentent de trouver de nouvelles sources de financement. C’est le cas d’Unitaid  , créée à l’initiative du gouvernement français en 2006 et financée aux deux tiers par une taxe sur les billets d’avion (de 1 à 40 euros pas vol selon la distance et la classe).

Au Cameroun, Unitaid   a financé des projets à hauteur de 20 millions de dollars mais, face à l’ampleur du problème, l’ONG encourage maintenant l’Etat à prendre ses responsabilités

« Pourquoi ne pas mettre en place une taxe sur les industries extractives pour financer un fonds d’achat pour les antirétroviraux ? », suggère Philippe Douste-Blazy, président d’Unitaid  , au ministre de la santé, lors d’une audience en petit comité. L’ancien ministre des affaires étrangères français s’est déplacé au Cameroun pour essayer de convaincre de prendre l’argent là où il est : dans les gigantesques gisements de fer, de bauxite et de nickel du pays. « Il faut des mécanismes de financement innovants », insiste-t-il. Le ministre de la santé élude : « C’est un sujet très sensible. »

DÉTOURNEMENTS DE FONDS

En coulisse, tous les bailleurs soulignent la difficulté d’obtenir des engagements compte tenu du contexte politique. L’ONG Transparency International, qui publie chaque année un indice de perception de la corruption, classe ainsi le Cameroun au 144e rang sur 176. Les détournements de fonds et de médicaments sont monnaie courante dans les hôpitaux et jusqu’au plus haut niveau.

Cet été, un ancien ministre de la santé, Urbain Olanguena Awono, a ainsi été condamné à vingt ans d’emprisonnement pour avoir détourné d’importantes sommes destinées à l’achat de médicaments

Encadré : 19 milliards de dollars consacrés à l’épidémie

Epidémie Dans le monde, 35 millions de personnes vivent avec le VIH  , le virus du sida  , mais seulement 8 millions suivent un traitement. Environ 1,6 million de personnes sont décédées de maladies liées au sida   en 2012.

Afrique subsaharienne Elle est la première région touchée avec 25 millions de personnes contaminées dont 2,9 millions d’enfants.

Fonds spécifiques En 2012, 19 milliards de dollars (14 milliards d’euros) ont été consacrés dans le monde à la lutte contre le sida  , soit 3 milliards en dessous des objectifs fixés par l’ONU  . Sur cette somme, l’aide internationale (Fonds mondial, Nations unies, ONG, etc.) représente un peu moins de 9 milliards de dollars.

Prix des thérapies Il est passé de 10 000 dollars par an en 2000 à moins de 100 dollars pour les médicaments de base. L’accès aux traitements a décollé en Afrique à partir de 2005.


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Publié sur OSI Bouaké le dimanche 1er décembre 2013

 

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