OSI Bouaké - Les animaux aussi n’en font qu’à leur tête Accueil >>  Psychologie géopolitique

Les animaux aussi n’en font qu’à leur tête


Mots-Clés / Psy

Le Monde - 03.06.2013 - Marion Spée -

On s’attend à ce que l’antilope déguerpisse à la simple vision d’une lionne affamée ou que le phoque nage de manière effrénée pour échapper à l’orque qui le poursuit. Pourtant, certains animaux ne se comportent pas de manière stéréotypée face à une situation stressante ou nouvelle. Certains vont tenter de faire face à leur prédateur alors que d’autres vont filer à vitesse grand V. Certains vont explorer leur environnement alors que d’autres vont se restreindre à des espaces connus. Ces attitudes variées pourraient s’expliquer par les différences de personnalité au sein d’une même espèce. Pourquoi et comment les animaux se distinguent dans leurs comportements individuels est une question "à la mode" qui suscite, depuis les années 2000, de plus en plus l’interrogation des scientifiques.

Une récente étude publiée dans Behavioral Ecology, menée par des chercheurs portugais, montre ainsi que l’émergence de différentes personnalités chez les astrilds ondulés pourrait être liée aux variations climatiques. Ces passereaux originaires d’Afrique subsaharienne mesurant à peine dix centimètres ont établi des colonies dans le monde entier en raison de leur popularité comme animal de compagnie.

Ils ont ainsi élu domicile au Portugal depuis une quarantaine d’années. C’est en utilisant des données sur leur expansion territoriale à travers le pays que les chercheurs ont établi ce lien entre personnalité et écologie des régions colonisées.

TEST DU MIROIR

Pour évaluer la personnalité des oiseaux, les scientifiques ont utilisé des tests reconnus. Celui du miroir consiste, comme son nom l’indique, à placer un miroir dans la cage de l’oiseau et à mesurer sa réaction face à ce qu’il pense être un conspécifique (qui appartient à la même espèce). C’est une appréciation de l’interaction sociale des oiseaux. Le test de l’openfield (champ ouvert) est, lui, utilisé pour évaluer le comportement exploratoire d’un individu dans un nouvel environnement.

Les individus les moins explorateurs sont les plus attentifs aux stimuli sociaux et se retrouvent ainsi en majorité dans les environnements où le climat est variable, tandis que le profil inverse est plus fréquent dans les environnements plus stables.

"Les variations climatiques saisonnières pourraient modifier la personnalité dans un court laps de temps et cette répartition géographique des oiseaux semble adaptative", propose Carlos Carvalho, doctorant au Centre de recherche en biodiversité et biologie évolutive à l’université de Porto et premier auteur de l’étude. "Une forte variation du climat implique une incertitude sur l’emplacement de la nourriture au cours de l’année. Apprendre des autres leur permettrait alors d’avoir une bonne compréhension de la situation", explique Gonçalo Cardoso, postdoctorant dans le même laboratoire et dernier auteur de l’étude. "L’intérêt d’étudier la personnalité des animaux est de comprendre les fondements biologiques des différences de comportements entre les individus, confie-t-il. Chez l’homme, c’est plus compliqué étant donné que l’influence culturelle est très importante."

FACTEURS ÉCOLOGIQUES

"L’étude ne montre qu’une corrélation, commente Denis Réale, titulaire de la chaire de recherche du Canada en écologie comportementale et animale et professeur à l’université du Québec à Montréal. Mais elle ouvre une voie intéressante pour comprendre quels facteurs écologiques influencent la personnalité." "Une preuve supplémentaire de la nécessité de prendre en compte le tempérament dans les études sur le monde animal", reconnaît Jean Clobert, directeur de recherche à la Station d’écologie expérimentale du CNRS à Moulis (Ariège).

Reste à déterminer si le façonnage de ces personnalités est dû à une plasticité au cours du développement des individus ou s’il s’agit d’une origine génétique. "L’étude ne permet pas de le dire", insiste Jean Clobert.

"Les gens sont intrigués par le caractère des animaux parce qu’ils font le lien avec leur propre tempérament", note Denis Réale. Etudiée depuis un siècle chez les humains, la notion de personnalité a été mise en évidence chez les animaux d’élevage il y a quarante-cinquante ans. A l’époque, on pensait que les hommes les avaient façonnés.

"On sait aujourd’hui que la personnalité est un phénomène général", assure Jean Clobert. Du papillon au chimpanzé en passant par le poulpe, tous ont leur tempérament. Celui-ci peut être classifié selon certains axes : audace-timidité, exploration-évitement ou encore agressivité.

"Les personnalités varient le long d’un continuum, explique Denis Réale. Un individu ne pourra pas devenir audacieux s’il est qualifié de timide, mais son degré d’audace pourra varier." De plus en plus d’études mettent en avant des liens entre tempérament et succès reproducteur ou survie. Ces résultats probants justifient aussi l’engouement des scientifiques pour cette thématique en vogue. "Il n’y a pas de personnalité optimale pour affronter toutes les situations", indique Denis Réale.

"Dans les situations de déséquilibre, comme celle relative au réchauffement climatique, l’hétérogénéité de la population devient importante", conclut Jean Clobert. Moralité : agiter les mains pour faire fuir une guêpe, ou vouloir que son chat soit le plus câlin de tous, peut conduire à des déconvenues


VOIR EN LIGNE : Le Monde
Publié sur OSI Bouaké le lundi 10 juin 2013