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La réalité du Sida au Togo

Jean Dassiam est journaliste indépendant et témoigne sur son blog d’une réalité que nous connaissons bien


Mots-Clés / Togo

14 février 2006

Le récit qui suit est fait en accord avec les personnes qui ont ici accepté de témoigner.

Je n’y prétends pas donner un aperçu objectif de l’épidémie du Sida   et des structures de prise en charge des séropositifs au Togo. C’est une vue sous le prisme d’un cas particulier, celui de deux personnes qui ont accepté que je les suive. Leur décision est militante : envie de montrer qu’en Afrique aussi, au Togo, le Sida   peut être une affaire de prise en charge, de responsabilité et surtout d’information.

J’ai rencontré Damien* dès mon arrivé au Togo. De formation de type bac+2 en informatique et administration des réseaux, Damien, 27 ans, est représentatif de ces jeunes Togolais officiellement chômeurs mais réellement hyperactifs : des missions ponctuelles et non officielles dans des PME, écoles privées ou dans les innombrables cybercafés de Lomé lui procurent tant bien que mal un revenu inégal mais qui lui permet de faire vivre ses 4 frères et soeurs et financer leur scolarité. Il assure également une partie des frais de la formation de sa petite amie, Lucie*, 21 ans, apprentie coiffeuse. Le sujet de mon blog les a intéressés et nous en avons beaucoup débattu. C’est grâce à eux que j’ai connu un certain nombre d’endroits fréquentés par les jeunes gens de Lomé : où manger un bon poisson braisé (voir note "Au restaurant" du 7 décembre 2005), où sont les meilleures brochettes de la capitale, quel bar a la meilleure ambiance le soir...

Un jour j’ai évoqué en leur présence mon projet de faire le point sur les structures de dépistage du VIH   et de prise en charge des séropositifs. Ils m’ont spontanément dit qu’ils avaient justement décidé de faire un test, et que je pouvais à cette occasion les suivre. « Nous nous connaissons depuis quelques mois et n’avons ensemble que des rapports protégés, raconte Damien. Nous voulions faire un test depuis longtemps car on veut aller plus loin et baser notre relation sur la confiance mutuelle. Mais hier, un événement a précipité notre décision : on s’est rendu compte que le préservatif s’était rompu pendant l’acte. Nous voulons savoir dès maintenant si on est bien négatifs tous les deux, car j’ai lu sur Internet qu’il y avait une possibilité de traitement préventif en cas d’exposition récente au virus, au cas où l’un de nous deux était positif. »

Je suis stupéfait par cette lucidité. J’accepte de les suivre. Ils avaient appelé le centre de dépistage de l’hôpital de Tokoin, à Lomé, qui leur a confirmé qu’ils pouvaient se présenter dans la journée sans rendez-vous.

Nous arrivons à l’hôpital en fin de matinée. Etonnamment, il n’y a pas d’attente. Ils sont reçus immédiatement. Je constate qu’il y a un certain nombre de salles non climatisées (la température ambiante oscille entre 28 et 30 degrés) ayant un matériel vétuste. Mais ce n’est pas le cas de la salle pour le dépistage du VIH  . Ce n’est pas le grand luxe, mais l’essentiel y est. La salle est climatisée. Le matériel de prélèvement est stérile et à usage unique.

Une fois la prise de sang faite, on leur demande de repasser le lendemain pour les résultats. « C’est rapide, commente Damien ». « Si vous étiez venus tôt le matin, vous auriez eu les résultats l’après-midi même » répond le technicien.

Le lendemain Damien et Lucie se présentent au même endroit à 10 heures. Le biologiste chargé de remettre les résultats les reçoit, leur demande de s’asseoir face à son bureau. Une pile d’enveloppes se trouve devant lui. « A quel résultats vous attendez-vous ? » leurs demande-t-il, tout en cherchant dans la pile l’enveloppe contenant leurs noms. A priori, il ne connaît pas le résultat et va le découvrir en même temps qu’eux. « Négatif bien sûr » dit spontanément Damien. « Oui, négatif », confirme Lucie. La tension est palpable. Le biologiste est justement en train d’ouvrir l’enveloppe de Lucie. Son visage s’aggrave, il annonce : « malheureusement, pour mademoiselle, c’est positif ». Il lui tend le papier à entête à l’effigie du ministère de la santé sur lequel est indiqué « sérologie Elisa 1 & 2 : VIH   1 positif. Conclusion : sujet séropisitif ». Ouvrant l’enveloppe contenant le résultat de Damien : « pour Monsieur... c’est négatif ».

A suivre.

* Les prénoms ont été changés.

20 février 2006

Nous sommes sous le choc. Ni Damien, ni moi, ni a fortiori Lucie ne nous attendions à cela. Il y a quelques secondes de flottement où personne ne sait que dire. C’est comme un coup de massue. Voyant sa petite amie les yeux dans le vague, Damien lui pose la main sur l’épaule : « ça va Lucie ? » Elle acquiesce. Il tente immédiatement d’atténuer le choc : « ne t’inquiète pas, ça ne veut pas dire que tu es malade... tu peux vivre très longtemps, et même avoir des enfants... n’est-ce pas ? » dit-il jetant un regard vers le biologiste. « Oui c’est possible, répond celui-ci, à condition de se prendre en charge et de se surveiller. Condition sine qua non. » Prenant un ton pédagogue, il se lance dans un discours explicatif du sens de ce résultat : « mademoiselle, votre ami a raison : être séropositif, cela ne signifie pas que l’on est malade. Cela veut dire qu’on est porteur du virus appelé VIH   ... » Il lui détaille, dans un langage clair et accessible, l’effet du virus sur les défenses immunitaires, la façon dont on procède pour surveiller le taux des cellules CD4, ce que signifie être malade du Sida  . Il lui confirme qu’en prenant le bon traitement il est possible d’avoir une grossesse sans forcément transmettre le virus à l’enfant. « Si on se surveille correctement, si l’on se soigne quand il le faut, on peut tenir très longtemps le virus en respect. Il faut pour cela qu’on vous prenne en charge. Mais avant toute chose, il ne faut plus avoir de relations sexuelles sans préservatif. » Toujours un peu sonnée, Lucie acquiesce. « Je vais vous donner l’adresse d’un centre. Allez-y dès que possible. Ils s’occuperont de vous suivre ». Il leur tend un petit papier. Nous prenons congé. En sortant de l’hôpital, on s’engouffre dans un taxi en direction du centre indiqué sur le papier. Y est inscrit : « Espoir Vie - Togo ».

Une prise en charge psychologique

Nous entrons par l’immense portail clos qui donne sur un vaste bâtiment. Damien raconte la raison de notre venue à la personne se trouvant derrière le guichet d’accueil. Celle-ci note nos noms sur un registre puis nous conduit vers la salle d’attente. Trois ou quatre personnes attendent devant nous, assises sur des petits fauteuils : un couple avec un enfant en bas âge, deux femmes, un homme. L’endroit est calme, lumineux. Lucie et Damien parlent, de tout sauf du résultat d’aujourd’hui. Rient même. Nous attendons longuement, pour être finalement reçus par l’assistante sociale. Elle nous fait entrer dans une grande pièce et ferme la porte à clef derrière elle. Elle nous invite à nous assoire dans de larges fauteuils de velours marron, face à elle. Derrière, assise dans un grand canapé, une autre assistante lit un magazine. La "mise en scène" semble étudiée. La porte close, le confort des sièges, les lumières légèrement tamisées, l’assistante en arrière plan avec une attitude détachée créent un climat intimiste et rassurant, propice à la confidence. En fait, c’est un véritable début de prise en charge psychologique auquel je vais assister.

Cette prise en charge précoce semble efficace. Les jeunes femmes parlent avec assurance et calme. Elles s’adressent à Lucie, souvent directement en éwé, la langue locale et familière. Tous les aspects sont abordés. Mais Lucie, pensive, semble absente... L’assistante lui tient alors le discours suivant : « mademoiselle, acceptez le fait d’être séropositive, c’est très important. La raison en est simple : le VIH   s’attaque aux défenses immunitaires. Mais la dépression psychologique aussi. Donc si vous passez votre temps à vous torturer pour savoir comment vous avez attrapé le virus, par qui, quand... vous vous minerez le moral. Et ça vous rendra vulnérable au virus. Ne lui laissez pas cette place. Il y a plusieurs façons de devenir séropositif. Par les relations sexuelles, par transmission de la mère à l’enfant, par piqûre d’aiguille contaminée, par transfusion, le matériel de manucure est un vecteur possible... Donc oubliez l’origine. Acceptez ce fait : vous êtes séropositive, et ne regardez plus le passé mais l’avenir. » Lucie écoute, et acquiesce mécaniquement.

Un suivi à tarif bas

Espoir vie - Togo est un centre de prise en charge complet : suivi du taux des cellules immunitaires, groupe de parole, suivi psychologique, trithérapie. En pharmacie, le prix pour un mois de traitement est de 16500 FCFA (25 €). Le centre ne peut prendre en charge qu’une partie de cette somme, et abaisse le prix à 5000 FCFA (7,6 €) pour ses membres. C’est abordable. Il faut néanmoins une réelle motivation de se soigner.

Nous sortons du centre en fin d’après-midi. Absorbé par le drame que représente l’annonce de la séropositivité de Lucie, Damien n’a pas pensé - pas osé ? - parler de son cas. Pourtant, ayant été en contact direct avec le virus, il doit consulter un médecin au plus vite. Mais il a encore un rendez-vous professionnel et il est en retard. Lucie doit aller aider son grand frère dans sa boutique. On se sépare.

Traitement préventif

Il est 20 heures lorsque Damien m’appelle. Il est trop tard pour consulter un médecin de ville. De plus on est vendredi, il ne peut attendre lundi prochain pour consulter. Nous décidons d’aller au service des urgences de l’hôpital de Tokoin, celui où le test a été fait.

Le médecin de garde est accompagné d’un interne. Damien résume : « Avant-hier, le préservatif s’est cassé lors d’un rapport avec ma compagne. Nous avons fait un test hier. Elle est séropositive. Je suis négatif. » Pour les deux médecins, le cas est sérieux. C’est une « exposition directe au virus avec un risque de transmission élevé » concluent-ils. Mais le problème, c’est qu’on ne prescrit un traitement que dans les 48 heures suivant le risque... Or pour Damien, l’exposition date de 72 heures. Le raisonnement du médecin est le suivant : « Vu l’étendue des connaissances à ce stade, je ne peux pas vous garantir qu’un traitement serait inutile. Vu la gravité du Sida   et le risque élevé de votre exposition, je vous mets sous trithérapie préventive. Et commencez dès ce soir si possible, on vous donnera la liste des pharmacies de garde ».

Une course contre la contamination

Nous sortons avec l’ordonnance et la liste d’une dizaine de pharmacies ouvertes cette nuit à Lomé. Nous les appelons toutes une à une. Aucune n’a le médicament en stock. C’est comme une course contre la contamination. On continue les appels. Finalement, arrivés à l’avant dernière pharmacie de la liste : « Bonsoir... Avez- vous le médicament appelé Triomune 40 ? », « attendez je vais voir... » Quelques instants plus tard : « vous avez de la chance, il me reste une boîte ».

« ...chez nous, c’est le rejet du séropositif qui tue, plus que le virus lui-même. »

Nous prenons le taxi. Il est 23 h 30. La pharmacie est à l’autre bout de la ville. Damien est calme. Depuis le début je suis étonné par son sang froid. Dans le taxi, il me confie : « tu sais, ici être séropositif, avoir le Sida  , c’est tellement peu accepté que les gens préfèrent souvent ne pas se soigner de peur d’être bannis. Le centre de prise en charge est en pleine ville, beaucoup de gens peuvent la voir entrer... Et la famille de Lucie n’est pas du genre ouverte et compréhensive. Je vais faire ce que je peux pour qu’elle se fasse soigner. Mais elle m’a déjà parlé de retourner dans son village en cas de coup dur à Lomé. J’ai un mauvais pressentiment... » Et d’ajouter après un moment de réflexion : « Finalement chez nous, c’est l’intolérance et le rejet du séropositif qui tuent, plus que le virus lui-même. »

Il est minuit passé. Damien achète son pot de pilules anti-rétrovirales. 16 500 FCFA. C’est très cher - mais sans commune mesure avec les centaines d’euro que cela coûte en France. De plus en traitement préventif, ce n’est pris en charge par aucun organisme. C’est beaucoup moins cher qu’en France car la marque - Triomune 40 - est un générique des nouveaux traitements anti-rétroviraux avec les trois molécules en un cachet, fabriqué en Inde. Il prend sa première pilule. Le traitement doit durer un mois. Ensuite il faut attendre au minimum un autre mois avant de refaire un test.

Epilogue

Les craintes de Damien à propos de Lucie se sont confirmées. Une semaine après le test, sa copine est partie sans laisser d’adresse. Lui a encaissé les effets secondaires assez lourds du traitement. Deux mois après l’arrêt, il a refait un test. Négatif.

L’espoir derrière la tragédie

Cette réalité, dans sa dimension tragique, est dure. Mais sans encore une fois prétendre donner une vue objective du problème Sida   au Togo, le cas particulier de Damien et Lucie montre aussi la réalité suivante : lorsqu’on décide de faire un test, les structures sont là. C’est immédiat. Souvent gratuit. Losrqu’on est diagnostiqué séropisitifs : la prise en charge est immédiate, pas si coûteuse que cela. On peut même obtenir un traitement préventif en cas d’exposition récente au virus. Le personnel tant médical, technique, que de soutien socio-psychologique est des plus compétent. Ce témoignage montre de façon évidente que le seul facteur qui ici peut conduire à la prise en charge pleinement satisfaisante d’un séropisitif, c’est un changement des mentalités. Car les structures et les compétences, elles, sont ici bien présentes.


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Publié sur OSI Bouaké le dimanche 2 avril 2006

 

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