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Aider ses proches, simple comme un coup de fil



Blog Le Monde Même pas mal - 1er mars2013 - Par Anne-Sophie Novel -

Accompagner un proche qui a commencé à perdre son autonomie et qui chemine vers la dépendance n’est pas chose facile. On aimerait parfois disposer de plus d’écoute, rencontrer des personnes à qui se confier, à qui témoigner de ses doutes, de ses peines et de tous les sentiments qui parfois s’entremêlent.

Heureusement, le réseau social téléphonique Avec nos proches a vu le jour il y a quelques semaines et propose une nouvelle approche du soin. Claude Van Leeuwen et Nathan Stern ont accepté de m’en dire un peu plus sur leur démarche.

Un vécu

Cette initiative est avant tout née de l’histoire personnelle d’une femme qui, comme tant d’autres, s’est trouvée brutalement confrontée à la maladie d’un parent. Diplômée d’école de commerce, cadre dirigeant en compagnie aérienne, Claude Van Leeuwen consacre alors sa vie à son métier (qu’elle adore) et à ses équipes. Elle a 30 ans lorsqu’elle apprend que son père est atteint d’un cancer incurable... Du jour au lendemain, ses priorités basculent.

Elle décide de prendre une année sabbatique et d’accompagner son père jusqu’à la fin. A l’époque, elle ne le sait pas encore, mais elle est devenue "aidante". Une notion qu’elle comprendra véritablement deux ans plus tard, réalisant ainsi qu’elle n’est pas la seule à avoir ressenti "cette culpabilité omniprésente, cette colère inavouable, ce sentiment mélangeant impuissance et incompréhension"…

En 2011, Claude Van Leeuwen décide alors de lancer un réseau d’entraide pour les aidants, "parce que dans ces moments-là, peu de choses, une parole ou le soutien de quelqu’un qui comprend, peut tout changer" explique-t-elle. Et c’est avec l’aide de Nathan Stern, un ingénieur social qui a déjà créé des réseaux sociaux tournés vers l’humain (Peuplade, Voisin Age, Alter Ego…) qu’elle donne naissance à Avec nos proches, un réseau social téléphonique d’entraide pensé pour les aidants, ces personnes qui s’occupent d’une personne dépendante membre de sa famille au sens large.

Aidants, ce qu’il faut savoir

C’est un chiffre peu connu, mais 4,3 millions de personnes aident régulièrement au moins un de leurs proches âgé de 60 ans ou plus à domicile. Un rôle qui influe fortement la vie quotidienne : tensions et contrainte de temps amenant à un réaménagement de la vie, conséquences sur la santé (stress et anxiété notamment), renoncement de soins ou report dans le temps, impact en termes financiers (reste à charge, réduction de l’activité professionnelle), épuisement préjudiciable à la santé et à la relation aidant-aidé ou encore situations d’isolement.

En France d’ailleurs, 30% des aidants accompagnant un conjoint atteint d’Alzheimer décèdent avant leur proche malade. Le plus difficile, dans tout ça, c’est de gérer son quotidien et de ne pas s’oublier : "quand on aide, on ne trouve souvent personne à qui en parler, pour souffler, se libérer du poids de l’aide, ne serait-ce que pendant la durée de la conversation. Personne non plus pour nous comprendre : la maladie du proche aidé nous enferme. On consacre de plus en plus de temps à l’aidé, on prend sur son temps de travail, on ne sort plus, on n’a presque plus de vie sociale. La vie continue autour, mais elle se passe sans nous" expliquent les deux entrepreneurs sociaux.

Les conseils que l’on reçoit dans son entourage sont souvent peu à propos pour l’aidant : "s’occuper de soi", "se changer les idées", "aller prendre l’air", ou "confier le proche" ne sont pas des recommandations que l’on arrive à mettre en pratique lorsque l’on a déjà dépassé sa limite d’épuisement. Conséquence : "on ne parle plus à ces amis qui ne peuvent pas comprendre, et on s’enferme pour de bon avec son proche et la maladie" constatent les fondateurs du réseau.

Leur idée, aussi simple qu’utile, consiste donc à "optimiser" l’expérience accumulée par les millions de personnes qui sont passées par là pour venir en aide à ceux qui sont en train de vivre une telle expérience. Comme ils l’expliquent : "on est des millions en France à aider, ou à avoir aidé, et à s’être senti seul à aider. C’est assez paradoxal, car il y a aussi des millions d’anciens aidants, qui ont traversé cette épreuve et peuvent la comprendre. Il était donc important de créer une communauté d’aidants, rapprochés par leur vécu, car certaines choses ne peuvent être comprises que par ceux qui les ont vécues".

Un réseau social téléphonique

Comme l’explique la vidéo suivante, la particularité du réseau social Avec nos proches est de fonctionner par téléphone : "ceux qui ont le plus besoin de lien humain sont souvent déconnectés. Parce qu’il permet l’échange, le partage, la rencontre, le réseau social est une réponse à la solitude des aidants, à condition d’être accessible à tous. Et la technologie la plus accessible, la mieux répandue, la technologie maîtrisée par 100% des aidants, c’est le téléphone" expliquent Claude Van Leeuwen et Nathan Stern.

Le téléphone a aussi une autre particularité : il préserve la chaleur de la voix, l’humanité de l’échange. "Il met le réconfort, l’écoute sans jugement, l’empathie qui soulage, à la portée de tous. L’anonymat de la mise en relation permet à l’appelant de laisser libre cours à sa parole" ajoutent les fondateurs.

Ainsi, un numéro unique au prix d’un appel local (le 01 84 72 94 72) permet d’accéder à un réseau social téléphonique. Un algorithme a été créé pour imiter la finesse des mises en relations d’un réseau social web et mettre en relation des aidants "débutants" et des aidants "confirmés". "La ligne est accessible 24h/24, et 7 jours / 7, même si nous ne pouvons garantir une disponibilité totale de nos bénévoles", précise Olivier Morice, le chef de projet de l’association.

Concrètement, l’aidant qui appelle a généralement une question bien précise à formuler et son coup de fil est une occasion pour lui de s’exprimer sans tabou et sans être jugé. L’algorithme dirige son appel selon une multitude de critères vers un bénévole, à savoir un parrain ou une marraine qui ont au préalable indiqué leurs disponibilités dans un semainier afin de recevoir des appels aux moments qui leurs conviennent. "Ils peuvent mettre à jour leurs disponibilités autant qu’ils le souhaitent, se rendre disponible ou indisponible autant qu’ils le souhaitent, préciser s’ils préfèrent recevoir les appels sur leurs fixes, sur leurs portables, etc. Un bénévole peut donc recevoir des appels chez lui (en tout anonymat). S’il est occupé chez lui et qu’il ne peut finalement pas prendre un appel, cet appel sera réorienté vers la marraine suivante : il n’y a donc pas de devoir de permanence ou de disponibilité totale sur un créneau horaire"explique Olivier Morice en insistant ainsi sur cette flexibilité, indispensable pour générer une nouvelle forme d’engagement basée sur la disponibilité, le plaisir et le sens.

Et comme dans tout réseau social, les utilisateurs de la ligne sont engagés à créer du lien, et donc à se reparler. Si un aidant s’est inscrit sur le site d’Avec nos Proches, il pourra reparler à telle ou telle marraine, avec qui le contact était si bien passé la dernière fois.

Des effets positifs

Depuis que la ligne téléphonique est active, des mises en relation très bénéfiques se sont nouées. "Du côté des bénévoles sont exprimés sentiment de valorisation d’une expérience non reconnue autrement, prise de conscience de soi, solidarité et partage, joie de se sentir vraiment utile, d’épauler les aidants. Côté appelants, il s’agit de soulagement et la possibilité de s’exprimer enfin, sans jugement, dans le respect, l’empathie, auprès de quelqu’un qui les comprend" témoignent Claude Van Leeuwen et Nathan Stern.

De quoi envisager une approche du soin complémentaire à la médecine actuelle très centrée sur le soin médical ? Certainement. "Dans une logique d’accompagnement global, notre pari est qu’une approche non médicamenteuse de soutien humain à l’entourage du patient permet d’améliorer sensiblement le quotidien de l’aidant et de l’aidé, et de limiter le recours aux psychotropes, ainsi que les cas de maltraitance, d’abandon, de burn out" confient les deux entrepreneurs sociaux dont le projet a été rendu possible grâce au soutien du Fonds pour les Soins Palliatifs, ainsi que de la Fondation SFR et du Crédit Agricole Assurances.

Une chose est sûre : leur projet s’inscrit là dans les nouvelles voies du "prendre soin" qui prennent tout leur sens aujourd’hui avec l’accélération des rythmes imposés aux équipes soignantes, et avec l’évolution de la pyramide des âges… n’est-il pas ?


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 19 mars 2013



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