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Sortir du Covid-19 avec les citoyen•ne•s

A l’instar de la lutte contre le sida, la population doit être associée étroitement aux décisions fermes et solides d’un discours politique empreint de sincérité, d’espoirs véritables contre la pandémie.


Libération - Tribune - 6 mai 2020 -

Depuis cinq mois le monde entier est en effervescence. Un nouveau virus jusqu’alors inconnu a sauté à la gorge de plus de 7 milliards d’humains, sur tous les continents. Avec une attention modérée au début dans les pays européens, tant il semblait alors que la Chine, apparent berceau de cette nouvelle épidémie, était loin et nous inattaquables.

Si certains pays semblent contrôler la progression du virus, plusieurs sont rapidement débordés. En Europe ce seront notamment l’Italie, la France et l’Espagne. A l’échelle de la planète, plus de 200 pays sont touchés, à des niveaux qui diffèrent en fonction de leur vitesse de réaction. Peu semblent épargnés ! Les pandémies sont une composante bien connue de l’histoire de l’humanité, et ce depuis son apparition sur Terre. Leur retentissement sur le comportement des êtres humains également. L’histoire récente nous a-t-elle permis de tirer quelques leçons ?

Il y a près de quarante ans, une nouvelle maladie, le sida  , surgissait, apportant son flot de contre-informations, de supputations, de rumeurs. Comme aujourd’hui, elles avaient aussi comme conséquence de stigmatiser, déstabiliser et vouer à la vindicte populaire certaines ou certains. En 1981, il n’y avait aucun spécialiste de cette maladie et on ignorait même quelle était la ou les causes de ces décès à répétition. Le VIH   n’a été identifié qu’en 1983 à l’Institut Pasteur par la professeure Françoise Barré-Sinoussi, qui recevra pour cela le prix Nobel de médecine en 2008. Le corps médical au bout de l’exercice du mandarinat voyait à l’époque surgir de jeunes chefs de cliniques ou jeunes assistants qui allaient consacrer leurs vies à cette lutte contre le sida   et écriraient son histoire.

L’action collective

Comment avons-nous pu éviter l’explosion de la société, la mise au ban de ceux qui étaient dès lors montrés du doigt (les homosexuels, les Haïtiens, les hémophiles, les héroïnomanes) ? Cela a pris du temps mais n’a été possible que par une action collective de l’ensemble des personnes concernées, mais aussi par plusieurs moyens qui semblent oubliés dans la crise qui nous occupe à présent.

Tout d’abord il y a eu la place des personnes (infectées ou affectées) qui, parce qu’elles se sentaient menacées, ont décidé de prendre à bras-le-corps leur destin si durement mis en danger ; les liens entre les soignants/chercheurs et les patients/communautés, qui ont permis de tisser une confiance solide et ainsi s’engager dans une bataille solidaire et commune pour de nouveaux traitements et de nouvelles recherches indispensables pour maîtriser cette épidémie ; la mise en place (plus tardive) de structures comme le CNS [1], l’AFLS [2] et l’ANRS [3] , totalement inédites, qui ont régulé l’éthique, les actions et la recherche autour de ce virus ; l’instauration de la démocratie en santé avec notamment la mise en place des Corevih (Coordination régionale de la lutte contre l’infection due au VIH  ) et la participation des représentants de patients à la coordination des soins et de la prévention.

On aurait pu espérer que l’expérience nous serve. Apparemment ce n’est pas le cas ! On va tout réinventer. On sollicite des experts de la lutte contre le sida   qui ne demandent qu’à participer à trouver des réponses à cette crise qui sera qualifiée comme « sans précédent dans l’histoire des épidémies ». Mais on oublie de mobiliser celles et ceux qui doivent être à la base de la réponse collective. La société civile tout entière, puisque ce sont elles les personnes infectées ou affectées par ce virus.

La temporalité représente une autre différence majeure de la comparaison entre le VIH   et le Sars-CoV-2 (virus responsable du Covid-19  ). Alors qu’il a fallu plusieurs années pour identifier le virus responsable du sida  , celui du Covid-19   a été isolé en quelques semaines. Reste que très vite, dans les deux cas, certains ont voulu avoir leur instant de gloire et ont fait des déclarations tonitruantes autour de traitements miraculeux qui, bien sûr, vivent ce que vivent les roses… Laissant dans un grand désespoir les malades et leur entourage. Désespoir entretenu par les changements de positions, parfois à 180 degrés, de nos décideurs quant aux mesures à prendre : certes, ces évolutions se sont basées sur les modifications des connaissances, mais ils restent peu compréhensibles par la plupart de nos concitoyens.

Information = pouvoir

La lutte contre le sida   l’a démontré, la santé publique ne peut se faire contre les populations, elle doit les associer étroitement aux décisions qui les concernent. « Information = pouvoir », disaient les militants d’Act Up dans les années 90. Les rumeurs journalistiques étaient alors foison, l’histoire de la jeune femme qui écrivait sur un miroir au petit matin après une nuit d’amour « bienvenue chez les séropositifs » s’est retrouvée plusieurs fois relatée dans des hebdomadaires en manque de lecteurs. N’oublions pas que les réseaux sociaux n’existaient pas à l’époque, nous évitant sans doute un surplus de haine et de stigmatisation.

Certains responsables politiques, faisant fi des connaissances scientifiques, se sont érigés en experts de la cause médicale certains allant même jusqu’à proposer la création de sidatoriums « justifiés » par le fait que les malades seraient « hyper contagieux » et pourraient ainsi contaminer la population tout entière à travers la salive et les larmes. Les déclarations inopportunes de professeurs de médecine, sur des traitements fantaisistes mais aussi sur la fin de l’épidémie, comme l’a clamé Jean-Paul Escande à la fin des années 80, « le sida  , c’est fini », dans un journal à fort tirage, ont là aussi laissé des traces douloureuses chez ceux qui souffraient cachés et en silence. Cette exigence d’information est un facteur clé face au Covid-19  , et la confusion dans les messages sur les mesures de protection doit cesser.

Pourtant, on a appris beaucoup de ces presque quarante ans de lutte contre le VIH  /sida   : les personnes concernées sont pleines de ressources et capables d’inventer des solutions qu’on n’avait pas imaginées ; la méthode et la rigueur scientifiques ne doivent jamais être balayées par des effets de manche ; Contraindre est contre-productif, convaincre est efficace ; seul on n’est rien, c’est ensemble que nous pouvons construire une réponse adaptée, puissante et efficace ; les acteurs politiques sont importants, quand ils parlent juste, quand ils parlent vrai et quand ils parlent au bon moment ; la démocratie et les droits des personnes ne peuvent pas être sacrifiés au seul bénéfice d’une hypothétique santé universelle ; les moyens mis en œuvre doivent être à la hauteur de l’ampleur de l’épidémie. Si on doit envisager toutes les solutions pour venir à bout d’une pandémie, tous les moyens ne sont pas bons et ne doivent pas être retenus quand ils donnent la possibilité d’exercer un contrôle excessif voire démesuré sur la population. Cette expérience acquise est un atout considérable pour envisager le déconfinement de notre pays, et amener nos concitoyens à comprendre l’épidémie de Covid-19  .

Une société inclusive et participative

Le défi est de taille, car contrairement au VIH  /sida  , une grande majorité des Françaises et Français se sentent totalement la cible potentielle de ce virus. On ne peut pas se contenter de considérer ce virus comme celui des « autres » ou de comportements « déviants », ce qui génère de l’anxiété relayée par tous les acteurs de l’information à grande vitesse porteuse de mensonges et stress supplémentaires. Pour nous en sortir calmement, sereinement et rapidement, nous devons retrouver un discours politique empreint de sincérité, d’espoirs véritables, car il y a des raisons d’espérer, mais aussi de décisions fermes et solides. Nous devons tous, en tant que citoyens, pouvoir nous sentir impliqués dans la réponse face à cette épidémie. Nous devons pouvoir dessiner tous ensemble une société inclusive et participative ou chacun a une place pour agir, vivre et se développer.

A l’heure actuelle, les autorités travaillent sur la mise en place d’une stratégie adaptée. Plusieurs initiatives voient le jour. Si la coordination ne peut être faite que par les autorités, nous avons tous et toutes un rôle à jouer, chacun d’entre nous, à sa juste place. Pour circonscrire le virus, sur des critères les plus objectifs possible, et aider les familles touchées de façon ciblée et adaptée aux besoins, nous devons tous et toutes nous mobiliser, accepter les contraintes, maintenir les règles d’hygiène et de distances physiques, aider les personnes les plus vulnérables médicalement et socialement.

Pour ce faire, il nous faut avoir accès aux outils nécessaires de protection (masques, solutions hydroalcooliques) et de détection (tests), et surtout à une information fiable sur leur efficacité et leurs limites. Des acteurs institutionnels et de l’humanitaire, jusqu’aux associations de quartiers et aux réseaux de solidarité, mobilisons-nous, activement. Construisons du collectif, assumons notre responsabilité de citoyens.

Mais pour cela nous devons être impliqués dans le processus de décision, en lien ou séparément avec les représentants du peuple. Contrairement au VIH  , la vitesse de propagation de l’épidémie de Covid-19   impose un rythme de réaction différent et des mécanismes de réponse beaucoup plus rapides. Les actions rapides et ciblées peuvent s’appuyer sur le savoir-faire humanitaire et associatif bien présent en France, pour agir au plus près et avec les populations.

Notre liberté ne sera retrouvée qu’au prix d’une solidarité renforcée, condition clé pour opérer des choix éclairés pour notre santé collective. C’est l’image d’une république certes une et indivisible mais aussi, unie, solidaire et fraternelle.

Signataires :

  • Aurélien Beaucamp président de l’association Aides,
  • Michel Bourrelly docteur en pharmacie, ancien directeur d’Aides en Provence et du Crips en Ile-de-France,
  • Francis Carrier, ancien militant de AIDES, président de Grey Pride,
  • Dominique Costagliola directrice de recherche à l’Inserm, directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique, Sorbonne Université, Inserm, membre de l’Académie des sciences, membre d’Aides,
  • Jean Gaudart médecin de santé publique, professeur de biostatistiques, géo-épidémiologie, Aix-Marseille Université et AP-HM,
  • Gabriel Girard sociologue, chargé de recherche à l’Inserm (Sesstim), militant de la lutte contre le sida  ,
  • Jean-Daniel Lelievre chef du service de maladies infectieuses et d’immunologie clinique CHU Henri-Mondor (Créteil),
  • Emilie Mosnier médecin infectiologue, centre hospitalier de Cayenne (Guyanne), Sesstim Marseille,
  • Marie Preau professeure de psychologie sociale et directrice du laboratoire Greps, Université Lyon-II,
  • Stanislas Rebaudet médecin infectiologue à l’hôpital européen de Marseille, AP-HM, Aix-Marseille Université,
  • Bruno Spire directeur de recherche à l’Inserm (Sesstim), président d’honneur d’Aides,
  • Florence Thune directrice générale de Sidaction.

[1] CNS : Conseil national du sida

[2] AFLS : Agence française de lutte contre le sida

[3] ANRS : Agence nationale de recherche sur le sida.


Publié sur OSI Bouaké le dimanche 10 mai 2020

 

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