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« Ma génération », le hip-hop emprisonné au Mozambique



Rue89 - 10 août 2011

Les autorités ont Azagaia à l’œil, de son vrai nom Edson da Luz, l’un des plus brillants et des plus critiques musiciens hip hop du Mozambique, depuis qu’il a décidé d’appeler à des réformes sociales dans ses chansons. Le 30 juillet, il a été arrêté pour possession de quelques grammes de « suruma » (cannabis).

L’arrestation a eu lieu quelques heures avant le concert qu’il devait donner au bar Gil Vicente, où il allait diffuser sa nouvelle vidéo appelée A Minha Geração (Ma Génération), comportant, comme d’habitude, une critique acerbe du gouvernement. Azagaia est un critique virulent de la politique et de la société mozambicaines.


Mozambique : Les dessous de l’arrestation du chanteur MC Azagaia

Global Voices Online - Jornal @Verdade, traduit par Gael Brassac - 9 août 2011

« Vous pouvez peut-être me tuer mais vous ne pouvez pas faire taire la Vérité ». Azagaia, tiré de la chanson As Mentiras da Verdade (un jeu de mots qui signifient « Vrais Mensonges »)

Les autorités ont Azagaia à l’œil, de son vrai nom Edson da Luz, l’un des plus brillants et des plus critiques [en anglais] musiciens hip hop du Mozambique, depuis qu’il a décidé d’appeler à des réformes sociales dans ses chansons. Le samedi 30 juillet, il a été arrêté pas la Police des enquêtes criminelles (PIC) pour la possession présumée de quelques grammes de « suruma », substance dont le nom scientifique est cannabis sativa et dont la possession et la consommation sont interdites dans le pays.

Cette nuit-là, Azagaia était sur le point d’interpréter sa dernière composition en date à Maputo, consacrée à la fameuse « geração da viragem » (la génération du tournant) qui, selon le compositeur, renvoie à l’idée d’une jeunesse « qui a représenté et représente le centre du damier de ce jeu politique, et qui sera raflé par ceux qui savent comment l’occuper et la comprendre ». Le blog Fobloga annonçait :

« L’arrestation a eu lieu quelques heures avant le concert qu’il devait donner au bar Gil Vicente, où il allait diffuser sa nouvelle vidéo appelée A Minha Geração (Ma Génération), comportant, comme d’habitude, une critique acerbe du gouvernement. Azagaia est un critique virulent de la politique et de la société mozambicaines. »

Un simulacre d’arrestation pour détention de substances illicites

De nombreux Mozambicains qui ont suivi l’arrestation d’Azagaia à travers les médias discutaient d’un possible piège, ou d’un « arapuca », comme le dise les Brésiliens. Le professeur Yussuf Adam écrivait sur Facebook :

« S’il s’agit de possession et d’utilisation de cannabis sativa, ils auraient dû mettre derrière les barreaux une grande partie de la population paysanne mozambicaine et de nombreuses personnes [vivant] en ville. »

Un autre utilisateur de Facebook, Sérgio Bila, partageait sur son mur :

« Je ne veux pas entrer dans le débat, ou spéculer sur ce qui est arrivé à Azagaia, mais notre loi pénalise à la fois la consommation et la possession du Cannabis Indica (la variété appelée sativa ne provient pas d’Afrique). Mais j’ai trouvé quelque chose d’intéressant grâce à mon vieil ami, le Dictionnaire Etudiant [Porto Editora, 1980] : « Soruma (f) : plante africaine dont les feuilles sont fumées par les [populations] Noirs en lieu et place du tabac ». »

La relation qu’entretiennent les Mozambicains avec la suruma se résume en ces mots de Tony Manna sur Facebook :

« La suruma a été la drogue du peuple pendant des siècles, et autant que je sache, il n’y a jamais eu d’accident de voiture à cause d’un conducteur qui avait fumé un joint… alors que l’alcool est largement consommée et cause des problèmes les plus variés – violence de toute sorte, accidents, etc. – mais c’est légal ! »

Voici quelques mois, le Département d’Etat américain a ajouté sur sa liste noire un des hommes d’affaires mozambicains les plus influents [en anglais], qui était un proche des membres les plus en vue du parti au pouvoir depuis 1975, le considérant comme l’une des plus dangereuses chevilles ouvrières de la drogue dans le monde. Alors que le sujet n’est même plus évoqué dans les bistrots de la “perle de l’océan Indien”, Azagaia insistait lourdement sur ce fait en chantant que le pays « fonctionne grâce à la cocaïne ». Dans la chanson Arrriii, le musicien rappe sur les trafics et les affaires de l’Oncle Picsou, indiquant que si les « grands » sont corrompus, « les petits vont à leur tour être impliqués » et « un Etat corrompu subsistera ».

A cause de ces chansons, qui attaquent constamment les autorités, beaucoup de Mozambicains pensent qu’Azagaia est en danger. Sur Facebook, Norberto Gravata écrivait :

« Il va de soi qu’un jour ou l’autre il sera arrêté ou tué. Pas mal de gens consomment et transportent des drogues et pas mal d’entre eux n’ont jamais été inquiétés. »

Des mots passés sous menottes

Un article rédigé en septembre 2010 et republié sur le site Buala notait qu’Azagaia « 26 ans [à ce moment-là], fils d’un père capverdien et d’une mère mozambicaine… ne se limite pas seulement à dénoncer la corruption dans les hautes sphères de la politique et de l’économie, mais aussi les mesures qui affectent directement les conditions de vie de la population ».

La voix d’Azagaia n’a pas laissé indifférent le gouvernement qui a déjà tenté de censurer ses chansons sur les chaînes publiques et la radio ainsi que sur certains médias privés proches du parti au pouvoir en Mozambique. Il a même fait face aux intimidations du bureau du Procureur Général pour suspicion « d’entrave à la sécurité de l’Etat » après la diffusion de la chanson Povo no Poder (le Peuple au Pouvoir), sur la mort du premier Président du Mozambique, Samora Machel.

Revenant sur la détention du musicien sur le site de @Verdade Online, des internautes comme Muendhane se demandaient « si cela pouvait être la fin de la liberté d’expression ? Ou l’expression de l’héroïsme exacerbé de la police ? ». Un autre internaute, préférant rester anonyme, s’exprimait ainsi :

« Ceci constitue pour moi une tentative avortée de détérioration de l’image du jeune homme, orchestrée par une poignée d’individus qui se sentaient visés par les paroles du musicien représentant la majorité (le peuple). Cette « police » veut par dessus tout se faire valoir devant leurs chefs, car ils peuvent être corrompus par des quantités bien en deçà de la valeur des deux ballons de « passe » que Azagaia possédait pour sa consommation personnelle. »

Ivo Faiela commentait :

« A nouveau, nous constatons la lâcheté du gouvernement ; en sachant que la quantité de suruma qu’ « il » possédait n’était pas suffisante pour être arrêté, pourquoi cela s’est-il passé ainsi ? Si c’était bien la PIC qui l’a appréhendé et trouvé en possession de suruma, pourquoi est-il allé au commissariat ? Il est clair que cela n’est qu’un nouveau coup de notre gouvernement, qui dit que la liberté d’expression existe, alors que la liberté est ce qu’ils [le gouvernement] font et défont sans que personne ne puisse faire quoi que ce soit. »

Un internaute qui préfère ne pas s’identifier s’emportait :

« Lors de la période coloniale, les poètes mozambicains qui appelaient à la liberté étaient bannis, et se cachaient derrière des pseudonymes. Quelle est la différence entre ce qu’Azagaia est en train de subir et ce que Kalungano et d’autres poètes du temps de la répression durant la période coloniale enduraient au Mozambique ? Azagaia chante la liberté qui a été enseigné à la génération de 75 ; qui lui a appris ces mots et pourquoi veulent-t-ils le museler ?  »

L’enseignant Andre Dimas conclut sur Facebook :

« Comme il est difficile de mettre des menottes à des mots… on les passe à celui qui les prononce… »

Le musicien a été relâché et va attendre la décision de justice en liberté. La présentation de son titre le plus récent intitulé Aza-leaks avait lieu le jeudi 4 août. La version anglaise de cet article a été relue et corrigée par Ayoola Alabi et Kevin Rennie. Creative Commons License Ecrit par Jornal @Verdade · Traduit par Gael Brassac Traduction publiée le 9 Août 2011


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 10 août 2011

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