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Cet amendement « étrangers malades » qui télescope le plan sida


Libération - 6 Octobre 2010 - L’Assemblée a voté hier une disposition qui limite le droit au séjour des étrangers atteints d’une maladie grave. Dangereux à plusieurs titres, s’indignent les associations.

Dans la famille amendements au projet de loi Besson sur l’immigration qui font s’étrangler opposition et associations, la journée d’hier mardi a été riche. Outre la pénalisation des « mariages gris » et la « charge déraisonnable » que feraient peser certains étrangers (dont les Roms), a été votée dans la soirée une disposition visant à limiter le droit au séjour des étrangers atteints d’une maladie grave et qui ne peuvent être soignés dans leur propre pays. Le jour même où Roselyne Bachelot dévoile le plan sida   2010-2014, l’amendement vient pour le moins gâcher la fête, s’indignent de concert Aides, Sidaction ou Act Up ce mercredi.

De quoi s’agit-il ? Depuis la loi Chevènement de 1998, un étranger gravement malade peut bénéficier d’un titre de séjour temporaire à la condition de ne pas avoir « effectivement » accès aux soins dans son pays d’origine. Un peu moins de 30.000 étrangers malades (VIH  , hépatites, diabète, asthme sévère...) en bénéficient aujourd’hui. Soit une petite et stable minorité : 6000 cartes de séjour ont été (re)délivrées à ce titre en en 2009 sur 173.991 titres de séjour tous motifs confondus.

« Ça ne change rien »

Avec la nouvelle disposition, la notion de « non-accès effectif » au traitement est remplacée par celle d’« indisponibilité » du traitement dans le pays d’origine. Qu’est-ce que ça change ? « Pour les malades, absolument rien », a martelé à la tribune Thierry Mariani, rapporteur (UMP). Pourquoi alors vouloir changer la loi ? Tout simplement, à en croire le député, pour « mieux l’encadrer », après une récente jurisprudence du Conseil d’Etat. Saisi de deux affaires d’expulsion, la haute institution avait rappelé en avril que devait être pris en compte l’accès effectif aux soins au regard de la situation socio-économique du malade dans son pays d’origine.

Rien de plus que « l’esprit de la loi », pour les associations. Un revirement, pour Mariani. Le rapporteur y voit une « dérive » de nature à achever de plomber les finances de la sécu. Si on ne fait rien, le nombre d’étrangers malades profitant de la sécurité sociale française risque d’exploser, a expliqué en substance le député à la tribune, convoquant à l’appui de sa démonstration les « retraités agricoles qui ont travaillé toute leur vie » et qui voient, eux, leurs médicaments déremboursés.

Ruées dans l’hémicycle. Martine Billard (Parti de gauche), s’élève contre un argumentaire « cynique », le villepiniste Jean-Pierre Grand (UMP) tombe sur un gouvernement qui « porte une fois de plus atteinte à l’image de la France » tandis que Jean Lassalle, proche de François Bayrou, lance un « on sait où ça commence, mais on ne sait jamais comment tout cela va finir ».

Congo

Etienne Pinte, député UMP et néanmoins critique sur nombre de points du projet de loi, a quant à lui jugé bon de rappeler qu’il n’est pas question d’accueillir tous les malades du monde puisque la loi actuelle ne protège que les étrangers installés en France et que « 90 % des personnes qui demandent à être régularisées pour des raisons médicales ne découvrent leur pathologie qu’une fois arrivées en France ».

Le député s’est surtout fait l’écho des effets pervers que contiendrait la disposition. D’abord, disponible ne veut pas dire effectivement accessible. Dans certains pays, les traitements existent mais sont réservés à une élite. Ou aux malades dont l’état est devenu suffisamment grave, selon les critères du pays en question, pour faire partie d’un programme humanitaire. Faute d’y avoir accès, un expulsé malade se retrouvera exposé à des complications parfois mortelles.

« Prenez un diabétique renvoyé au Congo Brazzaville. Son diabète pouvait être maîtrisable en France, mais, à Brazzaville, sans accès réel à l’insuline, il aura des risques d’amputation, de cécité... La gravité d’une pathologie dépend aussi de l’accès aux soins », rappelle Caroline Izambert, représentante d’Act Up-Paris auprès de l’Observatoire du droit à la santé des étrangers.

« Une catastrophe »

Deuxième risque, accroître les contaminations en France. Car une fois clandestin, difficile de se soigner. Or « la présence en France d’étrangers malades non traités ou mal traités constitue un risque supplémentaire de dissémination de maladies infectieuses dans la population générale et représente, au final, un surcoût pour la collectivité », rappelle ce mercredi le Conseil national du sida  . Déjà monté au créneau dans un courrier à Roselyne Bachelot, le Conseil « invite le législateur à revenir sur cette évolution ».

« En matière de santé publique, c’est une catastrophe », abonde en termes moins institutionnels Caroline Izambert. « On sait très bien que traiter les gens ralentit les contaminations. Et là, on donne un coup de booster à l’épidémie. C’est complètement contradictoire avec toutes les prescriptions de l’OMS   ou de l’ONU  . »

Après une lettre adressée la semaine dernière aux députés du groupe d’études sur le sida   pour leur demander et faire barrage à l’amendement, sans succès donc, Act Up-Paris en appelle maintenant aux sénateurs.


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 13 octobre 2010

 

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