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Afrique : Urgence pour les hommes ayant des rapports homosexuels


VIH  .org, Michel Bourrelly, Volontaire national Aides (France), Septembre 2009. Dans la plupart des études épidémiologiques menées en Afrique, les pratiques homosexuelles et l’usage de drogues ne sont quasiment jamais évoqués contrairement à l’Europe ou aux Etats-Unis1. Toutefois depuis un peu plus de cinq ans, l’infection chez les homosexuels africains commence à être reconnue et à intéresser la communauté scientifique internationale, les pratiques hétérosexuelles ne pouvant à elles seules expliquer l’épidémie africaine.

Dès le début des années 80, les constats d’une prévalence élevée chez les homosexuels2 sont établis dans de nombreux pays, mais pas en Afrique où seuls les rapports hétérosexuels et la transfusion semblent être associés à la propagation du virus. Cependant, toutes les données sont recueillies dans un contexte où le poids de la société, de l’entourage ou des traditions empêche les personnes de parler de leur éventuel vécu de pratiques homosexuelles.

En Août 2009, Harold Jaffe dans le Lancet a publié une revue scientifique concernant l’homosexualité et le VIH   en Afrique. L’auteur s’est basé sur les publications produites sur ces thèmes depuis le début de l’épidémie, en recherchant les mots clefs : Afrique, Afrique sub-saharienne, Infection à VIH  , Hommes qui ont des rapports avec d’autres hommes (HSH), et homosexualité, entre autres, dans les banques de données habituelles, sur une période de 1980 à 2007.

Besoin d’actions

A partir de 2002 au Kenya, 2003 en Afrique du Sud et 2004 au Sénégal des études ont vu le jour et ont pris en compte les Hommes qui ont des rapports avec d’autres Hommes. Ce sont ces recherches qui ont précipité les discours exigeant une prise de conscience rapide du besoin d’actions en directions des homosexuels en Afrique sub-saharienne.

Ces études comportementales montrent que les rapports non protégés entre hommes sont fréquents3, que la connaissance et l’accès à une prévention et à du matériel de prévention sont inadaptés456 et que les HSH dans certains contextes sont engagés dans des pratiques de prostitution7, mais aussi sont stigmatisés, en proie à de la violence et déclarent un manque d’accompagnement social. Tous ces facteurs renforcent leur vulnérabilité face au VIH  .

Idées reçues

Les séroprévalences constatées des homosexuels en Afrique se situent autour de 20% (entre 12% et 34%) dans la plupart des pays qui ont se sont prêté à une recherche. Dans ces études menées en majorité avec une méthode « boule de neige » deux grandes idées reçues sont balayées. En effet, contrairement à ce qui est parfois rapporté par des médias locaux, les HSH africains déclarent des rapports sexuels essentiellement avec des membres de leur communauté, c’est-à-dire des africains et non pas des touristes ou des étrangers89.

Le deuxième constat qui a une importance capitale dans la propagation de l’épidémie est que la plupart des HSH déclarent également avoir des rapports avec des femmes, occasionnels ou réguliers.

Ces déclarations et constats s’ajoutent aux études qui montraient les pratiques entre hommes avant le mariage10 ou autour des rites initiatiques11 qui ne représentent certes pas la majorité des rapports entre hommes.

Messages inadaptés et politiques répressives

Les messages proposés par les agences gouvernementales dans les pays africains, ciblent la population générale et portent sur les risques de transmission hétérosexuelle et les risques materno-fœtaux. Ces messages ne parlent pas aux HSH, et parfois renforcent leurs croyances telle que celle consistant à penser que les rapports entre hommes quelles que soient les pratiques n’entraînent aucun risque de transmission du VIH  .

Dans la plupart des pays Africains des barrières importantes à la prévention du VIH   pour les HSH se sont installées, elles se fondent non seulement sur la vision négative de l’entourage ou de la population mais aussi sur des lois répressives qui renforcent les exclusions et donc les risques. Il y a quatre pays sur ce continent qui pratiquent toujours la peine de mort pour les hommes qui ont des rapports homosexuels. Dans ces conditions plus que défavorables, l’urgence est de construire des politiques adaptées et sécurisantes.

Paradoxalement, cette urgence existe aussi dans les pays qui ont installé des prémices de politique de prévention en direction des HSH, comme au Sénégal, où malgré celles-ci, des arrestations de militants de la lutte contre le sida   à Dakar se sont produites au cours des derniers mois. Cela semble indiquer que le chemin sera long.

Les gouvernements ne devront pas agir seuls pour être efficace. Comme en Europe ou en Amérique au début de l’épidémie, les associations Africaines devront développer des stratégies innovantes, tant d’actions que de plaidoyer. Cela est déjà le cas dans beaucoup de pays, le Cameroun, le Sénégal, la Cote d’Ivoire, le Burundi, où agissent déjà depuis des années des militants, attelés à une lutte efficace contre le sida   en direction des homosexuels.

Peu de chiffres d’Afrique francophone

Harold Jaffe à produit cet état de la recherche et on découvre en le lisant qu’il est essentiellement le reflet de ce qui se passe dans l’Afrique anglophone et le Sénégal.

Peut-on pour autant en conclure qu’il n’y a pas de d’homosexuels en Afrique francophone, ou qu’aucune recherche n’y est effectuée ? Une explication plausible est plutôt que peu de résultats ont été publiés dans les revues scientifiques internationales en provenance des pays d’Afrique francophone. Des études sociologiques se sont déjà intéressées à la question homosexuelle en Afrique francophone1213.

Une étude récente menée au Cameroun décrit les comportements à risque des gays dans ce pays14. Elle montre que plus de la moitié des personnes interrogées n’utilise pas systématiquement le préservatif mais que les actions de prévention, en particulier celles effectuées par les pairs sont associées à une plus grande fréquence d’utilisation du préservatif.

Des associations identitaires

Depuis plusieurs années, des associations identitaires ont été créées tant au Cameroun, au Sénégal, qu’en Côte d’Ivoire. Depuis plus de deux ans maintenant, un réseau appelé Africagay   contre le sida  , rassemble 14 associations africaines, qu’elles soient identitaires ou de lutte contre le sida  , avec un seul but, celui de venir à bout de l’infection à VIH  . Ce réseau s’est constitué à la demande des militants africains eux-mêmes. La plupart de ces militants, ont la volonté d’agir pour lutter contre le sida  . Pour être efficace, ils devront convaincre non seulement ceux qui décident des politiques nationalement mais aussi, aussi surprenant que cela puisse paraître, en interne, un bon nombre de membres de leur structures, qui ne voient pas l’intérêt ou parfois ne désirent pas, par crainte justifiée ou non, de s’afficher sur un sujet pourtant décisif en matière de lutte globale contre le sida  .

Il est clair que les changements qui doivent s’effectuer au sein des décideurs locaux doivent être préparés, accompagnés et devancés par les militants associatifs, avec beaucoup de courage et de volonté. Pour cela, la sincérité de l’engagement des militants de la lutte contre le sida   aux cotés des homosexuels africains est indispensable comme il le fut pour la reconnaissance des droits des séropositifs au début des années 90.


Notes :

-1. Biggar RJ. The AIDS problem in Africa. Lancet 1986 ; 327 : 79-83. -2. CDC. Pneumocystis pneumonia-Los Angeles. MMWR 1981 ;30 : 250-52. -3. Cáceres C, Konda K, Segura E, Lyerla R. Epidemiology of male same-sex behaviour and associated health indicators in low- and middle-income countries : 2003-2007 estimates. Sex Transm Infect 2008 ; 84 : i49-56. -4. Elrashied S. Prevalence, knowledge and related risky sexual behaviours of HIV/AIDS among receptive men who have sex with men (HSH) in Khartoum state, Sudan. AIDS 2006-XVI International AIDS Conference ; Toronto, ON, Canada ; August 13-18, 2006 : abstrTUPE0509. -5. Geibel S, Luchters S, King’Ola N, Esu-Williams E, Rinyiru A, Tun W. Factors associated with self-reported unprotected anal sex among male sex workers in Mombasa, Kenya. Sex Trans Dis 2008 ; 35 : 746-52. -6. Umar E, Trapence G, Chibwezo W, et al. A cross-sectional evaluation of the HIV prevalence and HIV-related risk factors of men who have sex with men (HSH) in Malawi. AIDS 2008-XVII International AIDS Conference ; Mexico City, Mexico ; Aug 3-8, 2008 : abstr A-072-0130- 10017. -7. Cáceres C, Konda K, Segura E, Lyerla R. Epidemiology of male same-sex behaviour and associated health indicators in low- and middle-income countries : 2003-2007 estimates. Sex Transm Infect 2008 ; 84 : i49-56. -8. Sanders EJ, Graham SM, Okuku HS, et al. HIV-1 infection in high risk men who have sex with men in Mombasa, Kenya. AIDS 2007 ; 21 : 2513-20. -9. Wade AS, Kane CT, Diallo PA, et al. HIV infection and sexually transmitted infections among men who have sex with men in Senegal. AIDS 2005 ; 19 : 2133-40. -10. Wilson M. Good company : a study of Nyakyusa age-villages. London, New York : International African Institute, Oxford University Press, 1951. -11. Morgan R, Reid G. "I’ve got two men and one woman" : Ancestors, sexuality and identity among same-sex identified women traditional healers in South Africa. Cult Health Sex 2003 ; 5 : 375-91. -12. Broqua C,"Vulnérabilité des hommes ayant des pratiques homosexuelles à Dakar". Transcriptases, septembre 2004, n°117, p.11. -13. Broqua C, Sexualités entre hommes, VIH   et Afrique, ANRS information / Transcriptases, Spécial XVe conférence internationale sur le sida  , automne 2004, p. 55-57. -14. Henry E et al, Factors associated with unprotected anal intercourse (UAI) among men who have sex with men (HSH) in Douala, Cameroun ; Sex Transm Infect. 2009 Aug 24.


Publié sur OSI Bouaké le vendredi 2 octobre 2009

 

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