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Zambie : Les orphelins grandissent sans identité culturelle


Lusaka, 19 novembre 2009 (PLUSNEWS) - Abigail Mwanashimba s’occupe de ses cinq frères et sours depuis que ses parents sont morts d’infections liées au sida  , quand elle avait huit ans. Elle a aujourd’hui 19 ans et, n’ayant aucun parent pour la représenter lors des négociations de sa lobola (la dot), elle a dû engager des conseillers traditionnels pour organiser les différentes étapes du mariage selon les coutumes de sa tribu. Cela a été un échec.

« Je ne connais rien de ma tribu ni de sa culture car personne n’a jamais été là pour m’enseigner ou me montrer quoi que ce soit », a-t-elle dit à IRIN/PlusNews. « J’ai eu une lobola très faible, mais le comble, c’est l’humiliation que j’ai subie chez ma belle-famille, lorsque je les ai mis dans l’embarras en dansant la mauvaise danse ».

Ne pas obtenir la dot qu’elle attendait était une chose, mais lorsqu’elle s’est rendue compte que les conseillers ne lui avaient pas enseigné les bonnes danses traditionnelles, elle a refusé de leur payer les 500 000 kwacha zambiens (100 dollars) qu’ils lui demandaient, et est maintenant poursuivie en justice.

Agnes Ngubeni, de la ville de Kabwe, dans le centre du pays, connaît elle aussi ce genre d’humiliations ; elle vit avec la honte de ne pas être passée par une cérémonie d’initiation lorsqu’elle a atteint la majorité, et de ne pas savoir parler la langue de sa tribu.

« Les gens nous traitaient de chèvres. ils disaient que nous étions ’sans culture’ et que nous n’étions pas éduqués selon les traditions de notre tribu. Il ne leur est jamais venu à l’esprit que personne n’était là pour nous enseigner ces traditions - nous vivions sans adultes », a-t-elle dit.

Agnes Ngubeni et ses frères et sours ont perdu leurs parents il y a 15 ans, alors que son frère aîné n’avait que 10 ans. Une famille norvégienne vivant en Zambie s’est engagée à s’occuper d’eux, ce qui leur a permis de recevoir vêtements et nourritures, mais qui les a exposés à des difficultés sociales.

Leurs voisins les tournaient en ridicule parce qu’ils mangeaient des pâtes, du pain et du riz, au lieu du plat de base, le nshima - une épaisse bouillie de maïs - que ni elle ni ses trois sours ne savent préparer.

« Les voisins se moquaient de nous parce que nous mangions la nourriture des Blancs, qui, pour eux, n’était pas de la vraie nourriture, mais qu’y pouvons-nous ? Nous mangeons ce qu’on nous donne. C’est comme ça, c’est tout », a dit Agnes Ngubeni.

D’après elle, les personnes aidant les enfants orphelins devraient envisager de leur permettre d’être accompagnés par un adulte de la même tribu, membre de leur famille ou non, qui les guide et les initie aux coutumes de la société traditionnelle.

Déconnectés de leur culture

Dans son dernier rapport sur les Orphelins et enfants vulnérables, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a constaté qu’en Zambie, environ 20 000 enfants étaient chefs de familles, mais ce chiffre est en augmentation.

Le rapport souligne les graves privations auxquelles ces enfants sont confrontés, en matière de nourriture et d’abris, et conclut en observant que, dans un contexte où de plus en plus d’enfants sont amenés à prendre la responsabilité d’un foyer à un jeune âge, il est probable qu’ils seront de plus en plus nombreux à finir dans la rue.

Joseph Banda dirige Tisunge, une organisation locale qui aide les enfants sans parents à surmonter le traumatisme de la perte, et leur transmet des compétences utiles pour la vie quotidienne et pour générer des revenus, afin de leur permettre d’être autonomes et de continuer à aller à l’école.

M. Banda a dit qu’il ne lui était jamais venu à l’esprit que ces enfants seraient confrontés à des problèmes culturels. « J’ai honte d’avouer que je n’ai jamais envisagé la situation des enfants sous cet angle-là », a-t-il admis.

« Nous sommes tellement occupés à protéger les enfants de la drogue et de l’alcool, à faire attention que les filles ne tombent pas enceintes, et à tout faire pour qu’ils deviennent de bons citoyens, que nous en oublions qu’ils ont besoin d’être socialisés selon les coutumes de leur tribu ».

Trina Mayope, psychologue pour enfants, a averti que les enfants auxquels on ne transmettait pas les valeurs des coutumes et des traditions seraient plus tard confrontés à des difficultés. « Il s’agit de grandir avec une identité culturelle. Les enfants se sentent isolés car leurs communautés les traitent comme s’ils étaient des étrangers, ou comme si quelque chose n’allait pas chez eux parce qu’ils ne respectent pas le ’protocole traditionnel’ ».

A cela s’ajoute la stigmatisation des enfants dont les parents sont morts d’infections liées au VIH  /SIDA  , comme c’est très souvent le cas. « Si ces enfants ne se conforment pas aux normes culturelles de la société dans laquelle ils vivent, ils subiront une double discrimination », a-t-elle observé.

Mme Mayope a reconnu que du fait de l’urbanisation, avec le temps, de nombreuses traditions avaient tendance à disparaître, mais selon elle, les fondamentaux de la culture jouent toujours un rôle important, et continuent à fortement influencer la façon dont un individu est perçu par la société.

« La plupart des gens ne comprennent pas comment un enfant peut grandir sans rien connaître de sa culture. Les gens pensent qu’ils [les enfants] essaient d’imiter les Muzungu [les Européens], mais quand un enfant est éduqué par un autre enfant, comment peut-il apprendre les normes et les coutumes traditionnelles ? »


Publié sur OSI Bouaké le lundi 23 novembre 2009

 

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