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Nkunda, l’assurance rebelle

RD Congo. Le chef de guerre tutsi défie Kinshasa en déployant ses troupes dans le Kivu.


Portrait - Le Monde - Thomas Hofnung - 4 nov. 2008, 6h51

C’est un grand classique des conflits qui s’éternisent, au Congo comme ailleurs. Au fil des ans, Laurent Nkunda, le rebelle congolais d’origine tutsie, formé à l’école rwandaise de Paul Kagame au début des années 90, est devenu chef de guerre dans le Kivu, dans l’est de la république démocratique du Congo (RDC). Désormais, fort de ses succès militaires répétés sur une armée gouvernementale en capilotade, il aspire à jouer les premiers rôles sur la scène nationale. « Son arrogance est sa principale faiblesse », confie un observateur étranger qui le connaît bien.

Ou peut-être aussi sa principale force. Très croyant, ce quadragénaire longiligne, aux yeux cerclés par de fines lunettes, ne doute pas. Ni de sa valeur ni de la justesse de son combat. Jusqu’ici, il affirmait lutter pour la sécurité des Congolais tutsis, menacés par les anciens génocidaires hutus incrustés au Kivu, avec la bénédiction de Kinshasa. Aujourd’hui, il dénonce l’incurie des autorités, la corruption, l’opacité des contrats miniers signés avec la Chine… A défaut d’aller mettre de l’ordre dans la mégapole tentaculaire de Kinshasa, il espère « trôner dans le Kivu », estime un diplomate occidental.

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Laurent Nkunda © Cédric Gerbehaye
Cette photo est issue d’un reportage Cédric Gerbehaye, qui a obtenu le troisième prix du World Press Photo 2007, dans la catégorie “Reportages Stories”

Rodomontades. Depuis une semaine, ses hommes campent dans les faubourgs de Goma, la « capitale » du Nord-Kivu, désertée par les troupes de Kinshasa et très discrètement patrouillée par les 800 Casques bleus de la Monuc (Mission des Nations unies au Congo). Laurent Nkunda a décrété un cessez-le-feu unilatéral, mais il menace de le rompre à tout moment si le pouvoir central persiste à refuser de négocier directement avec lui. Malgré les avertissements de la communauté internationale, qu’il assimile visiblement à des rodomontades (lire encadré).

« Nous voulons une négociation directe avec le gouvernement », a-t-il réaffirmé dimanche dans son fief de Kichanga (80 km au nord-ouest de Goma), avant d’ajouter : « Si rien est fait, nous allons forcer ce gouvernement à quitter le pouvoir. » Le « petit » Nkunda entend traiter d’égal à égal avec Joseph Kabila, premier chef d’Etat élu à peu près démocratiquement dans l’ex-Zaïre. Peut-être parce qu’il l’a connu quand il n’était que le fils de son père, Laurent-Désiré, le tombeur de Mobutu.

Fils d’agriculteurs du Nord-Kivu, des descendants de ces Tutsis du Rwanda qui ont migré au Congo à partir du XIXe siècle, Laurent Nkunda a fait des études supérieures de psychologie à Kisangani. Mais au début des années 90, alors que toute la région est en ébullition, il décide de rejoindre le Front patriotique rwandais (FPR), dirigé par son « frère » tutsi Paul Kagame. Après le génocide de 1994, Nkunda sert deux ans au sein de l’armée rwandaise de Kagame, qui a pris le pouvoir à Kigali. Lorsque Kabila père se retourne contre ses parrains rwandais, en 1998, Nkunda rallie les rebelles tutsis congolais du RCD-Goma (Rassemblement congolais pour la démocratie). Après la signature d’un accord de paix en RDC, il se voit offrir un poste de général de brigade au sein de la nouvelle armée, mais refuse de se rendre à Kinshasa, où il ne se sent pas en sécurité.

Son nom commence à s’imposer à l’été 2004, quand les hommes de son mouvement, le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple), s’emparent brièvement du chef-lieu du Sud-Kivu, Bukavu.

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Laurent Nkunda © Marcus Bleasdale

Renégat. Depuis, le rebelle n’a jamais déposé les armes, malgré les accords signés avec Kinshasa, restés lettre morte. En 2005, le pouvoir congolais émet un mandat d’arrêt contre lui. L’ONG Human Rights Watch accuse ses hommes de crimes de guerre à Kisangani en 2002 et à Bukavu en 2004.

Aujourd’hui, alors que le mécontentement de la population ne cesse de croître vis-à-vis d’un gouvernement en plein marasme, Nkunda, soutenu par Kigali, peut-il marcher sur Kinshasa ? En mettant en place une administration et une police dans les zones sous son contrôle, le renégat prend date pour l’avenir. « Il est persuadé que le temps joue pour lui, et que la Monuc finira par s’en aller du Congo, juge un observateur étranger. Comme la France est partie du Rwanda. »


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 4 novembre 2008

 

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