La crèche comme outil de prévention psychique précoce

Ce mémoire de psychologie clinique et psychopathologie est le fruit du travail clinique mené au sein d’une structure préventive en direction des familles en grande difficulté. Il a été élaboré sous la référence professionnelle de Anne Ferran Vermot, psychologue clinicienne, et présenté en octobre 2007 à l’université de Paris 8 à Saint-Denis (France).

Enfant Présent est une crèche associative qui envisage l’accueil jour et nuit des enfants de zéro à trois ans comme un support permettant une prévention psychique précoce auprès de nourrissons. En effet, les familles suivies par la psychologue sont gravement carencées ou présentent pour la plupart une psychopathologie parentale psychiatrique. Le pari de cette institution consiste à étayer la relation parent-enfant pour permettre aux parents de donner le meilleur d’eux-mêmes quand bien même leur parentalité est fortement empêchée par les troubles psychiques, et aux très jeunes enfants de recevoir du « suffisamment bon » pour pouvoir commencer à se développer. Cette intervention se fonde sur le constat que le placement et la séparation ne peuvent être les seules réponses à la parentalité en grande difficulté, car d’une part ils ne traitent pas la relation parent-enfant en elle-même et d’autre part, ils peuvent constituer un traumatisme pathogène supplémentaire.

C’est la question de la prévention précoce qui constitue le fil rouge de ce mémoire, puisqu’elle m’a accompagnée tout au long du stage, tant dans la pratique clinique auprès des parents et des enfants, que dans les discussions théoriques avec ma référente et au sein du séminaire de recherche. En effet, le dispositif préventif d’Enfant Présent organise une intervention qualifiée de précoce en raison de l’âge de l’enfant. Il est pluridisciplinaire en ce qu’il rassemble des professionnels de l’éducation, du social, de la santé et des psychologues, et se situe au niveau de la prévention secondaire, puisque ce sont les services sociaux qui orientent les familles vers Enfant Présent, compte tenu des difficultés d’ordre psychosocial qui ont été dépistées. La prévention secondaire étant définie comme consistant « à traiter rapidement et de manière adaptée un trouble ou un dysfonctionnement dès son apparition, ou plutôt dès qu’on a pu le dépister, assez souvent grâce à la mise en évidence de facteurs de risque et la définition d’une population cible » (Fablet, 1999). Il s’agissait dans ce mémoire de proposer des pistes de réponses à un certain nombre de questions qui émaillent la pratique quotidienne du psychologue à Enfant Présent.

Après une première partie consacrée à la présentation de l’institution (appelée « Qu’est-ce qu’une crèche préventive ? »), il m’est apparu indispensable d’interroger le concept de prévention appliqué à la psychologie clinique (Partie théorique en Annexe A intitulée « Prévenir quoi ? »). Dans un second temps, l’analyse clinique du dispositif de prévention dont s’est doté Enfant Présent met en évidence la logique de l’intervention (Partie intitulée « Quelle prévention à Enfant Présent ? »).

Dans le cadre de cette dernière année de formation et dans une perspective de professionnalisation, j’ai choisi de donner une place majeure au travail clinique mené par la psychologue au sein de la structure, tout en suivant le fil rouge des questionnements sur la prévention. En effet, dans la mesure où la place du psychologue est centrale dans l’institution, on peut considérer qu’il contribue également à une prévention tertiaire, en ce qu’elle « s’efforce de limiter ou d’enrayer la propagation d’un trouble ou d’un dysfonctionnement installé et touchant une population bien identifiée » (Fablet, 1999). Ainsi, les missions et les outils dont dispose la psychologue constituent un vecteur essentiel de cette prévention précoce, c’est pourquoi ils sont largement décrits et illustrés dans le mémoire :

• l’observation clinique des enfants y est pensée comme un soin (Pikler, Bick) ;
• les entretiens avec les parents permettent de traiter les perturbations de la relation ;
• le contre-transfert des professionnels (et du sien propre) est analysé ;
• et la fonction de représentation de l’enfant au sein des espaces institutionnels par la psychologue est explicitée. Par ailleurs, une annexe du mémoire est consacrée aux assistantes maternelles qui sont l’autre outil de prévention dont s’est dotée l’institution.

Ces dernières années, la préoccupation d’une prévention précoce auprès des jeunes enfants s’est fortement accrue, tant au niveau social que politique. C’est dans le cadre d’un plan de prévention de la délinquance qu’une expertise de l’INSERM rendue publique en 2006 a suscité une importante controverse scientifique et éthique, en préconisant le dépistage du « trouble des conduites » chez l’enfant dès le plus jeune âge. Cette controverse a relancé les questionnements sur la notion de prévention en psychopathologie, et a placé les crèches au centre des débats sur un éventuel dépistage dès 36 mois de signes comme (je cite) : « l’indocilité, l’hétéroagressivité, la faible contrôle émotionnel, l’impulsivité, l’indice de moralité bas ». Mon arrivée à Enfant Présent en mai 2006 s’est passée dans ce contexte particulier, qui a de fait constitué à la fois l’enracinement scientifique et socio-politique de ce mémoire. Comme je l’ai souligné, le présent travail s’inscrit donc dans une démarche de prévention secondaire (où des facteurs de risque sont repérés) et même tertiaire (où des troubles psychologiques se manifestent déjà) auprès des jeunes enfants, en refusant tout déterminisme fataliste. En effet, la particularité de la clinique du nourrisson réside dans le fait qu’elle est avant tout une psychologie de l’interaction. C’est ainsi que la focalisation des démarches thérapeutiques fondées sur les psychotropes ou sur l’élaboration intrapsychique trouve ses limites en pédopsychiatrie, où les manifestations symptomatiques du bébé peuvent difficilement se dissocier de leur dimension relationnelle.

De ce fait, il s’agissait pour moi d’une passionnante rencontre avec une psychologie très sensible aux effets de contexte et fortement ancrée dans le social, ce qui m’a paru constituer une approche particulièrement pertinente face à des familles originaires de Province ou de l’étranger, de parents vivant dans des conditions matérielles très défavorables et souffrant de troubles psychiatriques impliquant de nombreux professionnels. C’est donc d’une clinique de la relation dont il est question dans ce mémoire et dans la pratique du psychologue à Enfant Présent, et j’espère que le travail présenté montre les effets très positifs des interventions précoces.

Sandrine Dekens