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La France condamnée par deux fois pour l’indignité de la vie dans ses prisons

Par la Cour européenne des droits de l’homme


Avocat, j’ai fait condamner la France pour ses prisons

Rue 89 / Par Etienne Noël | Avocat | 20/01/2011

Ce jeudi, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France par deux fois pour l’indignité de la vie dans ses prisons. Un détenu protestait contre ses conditions de détention, l’autre pour des fouilles à nu « quatre à huit fois par jour », filmées au caméscope.

La CEDH a considéré qu’il s’agissait là de traitements inhumains et dégradants. Elle en a profité pour regretter que le placement d’un détenu en cellule disciplinaire ne pouvait faire l’objet, en France, d’un « recours effectif ».

Il y a un mois, Me Etienne Noël, avocat au barreau de Rouen, avait remporté une victoire importante sur ce terrain. Cette fois devant la justice administrative française : la cour administrative d’appel de Douai, le 9 décembre 2010, a considéré que 38 détenus enfermés à la maison d’arrêt de Rouen (Haute-Normandie) avaient été détenus dans des conditions portant atteinte à leur dignité, confirmant un jugement du tribunal administratif de Rouen.

Rue89 a proposé à Me Etienne Noël de revenir sur cette bataille qu’il mène de longue date devant la justice française. Voici sa tribune.

Chloé Leprince


Le juge administratif estime dorénavant, de façon constante, que le fait d’être incarcéré à deux ou trois dans une cellule de 10 m2 aux murs dégradés, humides, ruisselants de condensation le matin et munie de toilettes non séparées du reste de la pièce et non dotées d’une aération spécifique (contraignant les occupants à les utiliser sous les yeux des codétenus en leur infligeant bruits et odeurs), constitue une atteinte non sérieusement contestable à la dignité inhérente à la personne humaine.

Cette décision vient consolider un mouvement de fond qui a pris naissance, durant l’année 2004, lorsqu’il a été imaginé de faire rentrer un expert en prison afin de constater quelles étaient les conditions de détention des personnes détenues dans les maisons d’arrêt.

Par la suite, d’autres procédures du même type ont été initiées en France, en particulier à Rouen, à la fin de l’année 2005, à l’initiative d’une personne détenue dans la maison d’arrêt Bonne Nouvelle.

A cette époque, rares étaient les détenus, pourtant usagers du service public pénitentiaire (le seul, avec l’hôpital psychiatrique, que les usagers utilisent contre leur gré), qui acceptaient de se lancer dans une telle procédure ; en effet, ils craignaient de se heurter à la prison et de subir des représailles ou que leur dossier pénal en subisse les conséquences.

Malgré cela, un détenu rouennais, incarcéré depuis plus de deux années, a osé faire déposer par son avocat une requête aux fins de constat de ses conditions de détention au sein de la maison d’arrêt de Rouen.

Les toilettes dans les cellules, une « humiliation »

L’expertise, réalisée au mois de novembre 2005, a donné lieu à un rapport, rédigé par deux experts – un architecte et un médecin hygiéniste – faisant état de très importants risques sanitaires liés à l’utilisation commune des toilettes par les trois détenus enfermés dans les cellules, ainsi qu’une atteinte à la dignité inhérente à la personne humaine pour cette même raison.

En l’espèce, les W.-C. présents dans les cellules, qu’ils soient munis d’une porte à double battant ou séparés de la cellule par un muret, laissent néanmoins passer bruits et odeurs, contribuant ainsi à une humiliation de la personne qui les utilise et à une gêne importante des codétenus.

Le rapport a ainsi pointé un « risque de transmission interhumaine de germes pathogènes d’origine fécale (virus de l’hépatite C, B, salmonelles, virus des diarrhées épidémiques tels que la gastro-entérite, etc.), mais aussi, risque de transmission de pathogènes broncho-pulmonaires par transmission aérienne », d’autant plus important, en hiver, du fait de l’impossibilité d’ouvrir la fenêtre en raison du froid.

L’utilisation d’appareils chauffants non contrôlés, non munis d’évacuation des gaz, expose au risque d’intoxication au monoxyde de carbone et au risque d’incendie. Le règlement sanitaire départemental s’applique bel et bien non seulement aux habitations individuelles mais aussi à tous les lieux de vie de l’homme.

Le risque de contracter une infection digestive ou pulmonaire à partir d’un sujet malade est donc bien majoré dans les conditions actuelles de détention à la maison d’arrêt de Rouen, comparativement à la vie civile.

Suite à ce rapport, un premier jugement a été rendu par le tribunal administratif de Rouen, le 27 mars 2008, condamnant l’Etat. Cette décision fut suivie de quelques autres, rendues par les tribunaux administratifs de Nantes et de Rouen, cette dernière décision étant confirmée en appel par la cour administrative d’appel de Douai, le 12 novembre 2009. Cette dernière juridiction a en effet considéré que la situation était inchangée au sein de la maison d’arrêt de Rouen quant à l’indignité des conditions de détention.

Plusieurs maisons d’arrêt entament des procédures

Toutefois, ce n’est que depuis le début de l’année 2010 que, véritablement, la mise en cause de la responsabilité de l’Etat en raison des conditions de détention va exploser. En effet, outre Rouen où se met place une procédure massive regroupant, dans un premier temps, 38 détenus, anciens ou actuels, de la maison d’arrêt Bonne Nouvelle (qui seront par la suite beaucoup plus nombreux), d’autres procédures sont initiées à Caen, Grenoble, Clermont-Ferrand, Liancourt, etc. afin de dénoncer l’indignité des conditions de détention.

Les maisons d’arrêt parisiennes n’échappent pas à cette vague de recours. Ainsi, la maison d’arrêt de Fresnes a fait l’objet d’une expertise entre les mois d’octobre et novembre 2010, visant plus particulièrement les cellules destinées à recevoir des détenus handicapés.

Une procédure similaire concernant des détenus valides est en cours, visant la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis ; il s’agit ici de dénoncer les conditions de détention des personnes incarcérées dans cet établissement, pourtant récent mais qui se trouve d’ores et déjà dans un état de dégradation avancé.

Peu importe le nombre de places dans les prisons

Cet exemple est symptomatique : en effet, Fleury-Mérogis est l’illustration même de l’absurdité que représente la construction de grands ensembles pénitentiaires destinés à multiplier le nombre de places de prison, toujours plus, encore et encore…

Quel que soit le nombre de places de prison qui seront construites, il y a gros à parier qu’à terme, celles-ci seront remplies au-delà des capacités, tellement la logique de l’enfermement est dominante en France, depuis de très nombreuses années, jusqu’au paroxysme actuel.

Les maisons d’arrêt neuves, ouvertes vers 2005 (Liancourt, Meaux-Chauconin, etc.) sont déjà pleines au-delà de leurs capacités, alors que les cellules ont été conçues, à l’origine, pour un encellulement individuel !

Quoiqu’il en soit, plus d’une centaine d’autres personnes actuellement détenues au sein de la maison d’arrêt de Rouen ou l’ayant été récemment, ont également saisi le juge administratif afin d’être indemnisées du préjudice moral subi du fait de leur enfermement dans de telles conditions ; gageons que le mouvement amorcé ne s’arrêtera pas de sitôt !


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Publié sur OSI Bouaké le dimanche 23 janvier 2011

 

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