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Drum, titre phare de l’Afrique du Sud encore noire et blanche


Par Pierre Haski | Rue89 | 21/03/2010 | 11H33

Quelques clichés noir et blanc qui font revivre une époque… Les photos de Jürgen Schadeberg, exposées à la galerie parisienne Polka et dans le magazine du même nom, proviennent d’une époque de combats et d’espoirs en Afrique du Sud : les années 50, les années Drum, du nom du magazine sud-africain qui l’a le mieux incarnée.

Drum était un petit miracle : un magazine réalisé par une équipe multiraciale dans un pays qui était en train de bâtir les murs de séparation et de haine de l’apartheid, dans la foulée de la victoire du Parti national des Afrikaners en 1948. Un groupe animé par une énergie positive que seule la glaciation de l’apartheid saura faire taire une décennie plus tard.

Jürgen Schadeberg à la galerie Polka, à Paris (Pierre Haski/Rue89)De passage à Paris pour l’exposition, Jürgen Schedeberg, aujourd’hui âgé de 75 ans, toujours bon pied bon oeil (photo ci-contre), évoque cette période étonnante de bouillonnement culturel et d’effervescence politique.

Drum a été lancé en 1951 par un millionnaire blanc, Jim Bailey, qui prit comme premier rédacteur en chef un journaliste britannique par la suite réputé, Anthony Sampson.

Engagés contre la montée en puissance des lois d’apartheid, ils s’entourèrent des meilleurs journalistes noirs, et produisirent un mélange d’enquête et de reportage qui fit sensation.

Au même moment, Nelson Mandela, alors jeune avocat, et ses amis, radicalisaient le Congrès national africain (ANC) après avoir pris la tête de sa Ligue de la jeunesse. Ils lançaient des campagnes de désobéissance civile et trouvaient dans Drum le relais nécessaire à leurs idées.

La « zone grise » des années 50

Les lois d’apartheid n’ont pas été imposées du jour au lendemain, et, dans les années 50, il existait encore une grande « zone grise » dans laquelle Blancs et Noirs pouvaient encore se rencontrer, coopérer, ou même faire la fête ensemble. Le jazz sud-africain était en plein essor, avec des musiciens comme Todd Matshikiza, Dollar Brand (Abdullah Ibrahim), ou Hugh Masekela, qui durent ensuite s’exiler.

Des quartiers comme Sophiatown à Johannesbourg, ou District 6, au Cap, préfiguraient une « autre » Afrique du Sud multiraciale, et le pouvoir s’efforça de les raser, quel qu’en soit le prix.

Drum était le magazine de cette « autre » Afrique du Sud. En 1988, Jürgen Schadeberg, qui avait été le directeur artistique et photographe du magazine, réalisa un documentaire intitulé « Have You Seen Drum Recently », pour garder la mémoire de cette époque. (Voir la vidéo, en anglais, mais aussi à écouter pour la bande son)

Des journalistes de Drum comme Peter Abrahams, Can Themba, Ezekiel Mphahlele, figurent aujourd’hui dans les anthologies de la littérature sud-africaine. Des photographes comme Peter Magubane, l’un des grands noms de l’histoire du photojournalisme sud-africain y ont également débuté.

Jürgen Schadeberg est arrivé en Afrique du Sud en 1950 à l’age de 19 ans, en provenance de son Berlin natal. Il raconte dans Polka :

« Quand je suis arrivé, j’ai découvert un mur invisible entre deux mondes. Les Blancs vivaient comme dans un cocon, dans une ambiance coloniale, ignorant les gens de couleur. »

Les photos d’une décennie oubliée

Entré à Drum, il sera le témoin de cette époque, et ses photos racontent cette décennie oubliée, qui prendra fin au début des années 60 avec les lois d’exception, l’emprisonnement des dirigeants de l’ANC, Nelson Mandela en tête, et une longue période de glaciation.

Restent ces photos noir et blanc, cette histoire de Drum et d’une certaine Afrique du Sud qui s’entremêlent, et qu’on revoit avec délectation.

Et avec un personnage central, Nelson Mandela, dont Jürgen Schadeberg a pris l’un des rares clichés connus antérieurs à son emprisonnement à Robben Island, ci-dessous en 1958 alors qu’il quitte le tribunal de Johannesbourg où il comparaissait avec 155 autres prévenus dans le « procès de la trahison ».

Il sera finalement acquitté, pour mieux être condamné à la prison à vie en 1964, après une brève période dans la clandestinité.

Un quart de siècle plus tard, Jürgen Schadeberg reverra Mandela à sa sortie de prison. Il raconte dans le magazine Polka : « Quand il m’a revu, après toutes ces années, il m’a dit en souriant : “Alors, vous n’êtes pas encore à la retraite ? ‘ Et je lui ai répondu : Vous non plus, semble-t-il.

Jürgen Schadeberg, exposition à la galerie Polka, Cour de Venise, 12 rue Saint-Gilles, Paris III - jusqu’au 22 mai à- l’exposition accompagne la sortie du numéro 8 de Polka magazine, avec un dossier consacré à l’Afrique du sud.

Photos : toutes les photos sont de Jürgen Schadeberg, avec l’accord de la galerie Polka… sauf celle du photographe (Pierre Haski/Rue89).

A lire aussi sur Rue89 et sur Eco89Afrique du Sud : le jour où les Noirs ont appris à aimer le rugbyBreytenbach, l’Africain blanc, des prisons de l’apartheid à Gorée

Ailleurs sur le WebMyriam Makeba chante dans les années 50, extrait de "Hve you seen Drum recently", sur YouTubeLe site de la galerie Polka


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 24 mars 2010

 

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