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Sida au Mali : "J’ai essayé de le dire à mon mari..."


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LE MONDE | 08.06.07 | 13h48 • BAMAKO ENVOYÉ SPÉCIAL

Seule avec son secret, elle s’acharne à faire bonne figure. "Je ne suis pas malade, je n’ai rien", sourit nerveusement Mariam Sidibé, 25 ans. Dans son pagne bleu électrique, elle a fendu, anonyme, la foule du marché central de Bamako. Mais à l’approche du centre de soins, l’élégante a regardé furtivement autour d’elle : "Si quelqu’un me voyait ici, je serais en colère."

En dehors d’elle-même, deux personnes au monde connaissent sa séropositivité : le docteur Mamadou Cissé, qui lui délivre des médicaments antirétroviraux, et la sage-femme qui la suit depuis qu’elle est "tombée en grossesse". "J’ai essayé de le dire à mon mari, mais ce n’est pas possible, lâche Mme Sidibé, qui témoigne sous un nom d’emprunt. Il risque de me jeter dehors. Ce n’est pas un homme de communication."

Au Mali, comme ailleurs en Afrique, le sida   reste un tabou total. "80 % des personnes infectées ne parviennent à partager leur secret avec quiconque", estime le docteur Cissé, responsable de ce centre d’écoute, de soins, d’animation et de conseil (Cesac) dont l’intitulé résume la fonction : traiter les malades du sida   d’un point de vue médical mais aussi psychologique et social.

La stigmatisation est telle que le centre dispose d’une porte dérobée. Par là sortent les patients qui pensent avoir croisé un regard connu dans la cour servant de salle d’attente. Quelque 120 personnes fréquentent quotidiennement le Cesac pour subir des tests, retirer des médicaments, participer à des débats. Certains, ruinés par les conséquences de la maladie, peuvent bénéficier d’un microcrédit pour créer une "activité génératrice de revenus" (petit commerce) adaptée à leur état. Dans un pays sans aide sociale, le sida   signifie en premier la mort économique.

"La souffrance vient d’abord de la précarité", constate Modibo Kane, président du Réseau africain des personnes vivant avec le VIH  , contredisant le cliché de la formidable solidarité des familles africaines. "La maladie n’est qu’un prétexte pour exclure ceux qui ne peuvent plus nourrir leur famille. Quand vous perdez la force de travailler et demandez de l’aide, les gens s’écartent. C’est la nature humaine. Nous luttons d’abord contre la nature humaine", dit-il.

Professeur de français, militant actif, M. Kane personnifie la victoire contre la stigmatisation : "Dans mon quartier, tout le monde sait que je suis séropositif. Mes enfants n’en souffrent pas et cela ne m’empêche pas d’être un notable." Installé dans une grande villa mise à disposition par l’Etat au coeur de Bamako, le Réseau a été créé par des séropositifs désireux de briser l’isolement. Dans les centres de dépistage, ils cherchent à engager le dialogue dès que les gens apprennent que leur test est positif. Premier message : "Je suis aussi infecté que toi et je supporte la maladie." Ensuite, des propositions pour continuer de "causer" et un suivi par téléphone.

Petite révolution dans le sinistre univers du sida   africain, la gratuité de la distribution des médicaments antirétroviraux (ARV  ) instaurée en 2004 au Mali est l’un des éléments du bilan du quinquennat mis en avant par le président Amadou Toumani Touré pour sa réélection, le 29 avril.

NE PAS ATTIRER LES SOUPÇONS

"Avant 2001, les ARV   étaient si chers que nous avions deux groupes de malades, se rappelle le docteur Cissé. Ceux, rares, à qui nous n’hésitions pas à parler du traitement car nous savions qu’ils allaient pouvoir trouver les 352 000 francs CFA mensuels (537 euros) nécessaires. Et les autres - la plupart - qui n’avaient pas l’argent et à qui on suggérait de faire cotiser leur famille. Cela a aidé certains à parler de leur maladie. D’autres n’ont pas pu. Ils se sont résignés au silence, même s’il signifiait pour eux la mort."

Depuis, le prix des médicaments a chuté de 90 % et la gratuité a pu être instaurée grâce aux financements du Fonds mondial de l’ONU   et de la Banque mondiale et à un volontarisme politique.

La gratuité, Mariam Sidibé en bénéficie - "ça me rassure d’avaler des cachets matin et soir" - sans que cela ne l’aide nullement à sortir de l’isolement. Ses médicaments, elle les absorbe en cachette juste après le départ au travail de son mari. Jamais elle n’a osé lui demander pourquoi, lui aussi, absorbe des médicaments. A mi-voix, abandonnant soudain le français pour le bambara, Mme Sidibé envisage que son mari puisse être séropositif. "Je préfère ne pas lui poser la question. Il est violent."

L’arrivée du bébé ne fournira une occasion de parler que si celui-ci est séropositif. L’enfant aura subi un test qui pourra alors être proposé au père. Le recours au biberon, rare en Afrique mais conseillé en cas de séropositivité de la mère, pourra encore mettre la puce à l’oreille de l’époux. "Certains papas sont furieux de voir que leur femme n’allaite pas. Ils savent ce que cela signifie à propos du sida  , témoigne le docteur Cissé. Mais des jeunes mamans préfèrent allaiter, par crainte d’attirer les soupçons."

Dans cet océan de non-dits, Rokia Diallo, 20 ans, fait figure de rescapée. Son mari n’ignore rien de son état. "C’est lui qui m’a emmenée au centre médical alors que nous étions fiancés. Je ne pouvais plus marcher et j’avais des plaies dans la bouche Il m’a fait soigner et il a décidé de me garder alors qu’il est séronégatif. On s’est mariés. C’est une preuve d’amour", sourit-elle timidement.

Amaigrie, suivie depuis un an par trithérapie, Mme Diallo s’est faite militante de la parole. Elle témoigne auprès d’autres patients du Cesac, tente de les rassurer. Elle vient d’aborder "un homme que sa femme délaisse parce qu’il est séropositif". Il voulait rompre. Elle lui a conseillé "de lui demander un test et de prendre des précautions pour continuer à vivre avec elle".

Sous le hangar du Réseau des personnes vivant avec le VIH  , les concours d’élégance, "témoignages de dignité" où les femmes séropositives portent des colliers de préservatifs, succèdent aux prêches d’un imam destinés à apporter un "soutien spirituel". Les repas familiaux précèdent les séances de "sensibilisation". Les jeunes veuves dont le mari est mort du sida   en constituent l’une des "cibles".

Il s’agit de les inciter à pratiquer un test de dépistage et à exiger des préservatifs. La tradition du lévirat veut en effet que la veuve soit donnée à son beau-frère. L’héritage reste ainsi dans la famille. "Mais souvent, témoigne un responsable sanitaire, cet héritage se compose d’un unique élément qui va détruire la famille tout entière : le sida  ."

Philippe Bernard


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Publié sur OSI Bouaké le samedi 9 juin 2007

 

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