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Le Sidaction malade de ses tensions internes

Licenciements, mises à pied et démissions se multiplient au sein de l’association dont les frais de justice colossaux sont couverts par une partie de l’argent des donateurs.


Libération - 1er février 2012 - Willy Le Devin

Milko Paris est salarié de Sidaction depuis 2002 et secrétaire du Comité d’hygiène, de sécurité, et des conditions de travail. Il a fait l’objet de trois tentatives de licenciement. (Photo Edouard Caupeil)

Sur le site Internet de Sidaction, un onglet explique qu’avec 150 euros de don, on permet à une femme enceinte de recevoir dix-huit mois de traitement antirétroviral pour lutter contre la transmission du VIH   à son enfant. Ce que ne dit pas cette simulation, en revanche, c’est la part des donations servant à couvrir les frais de justice colossaux de l’association. C’est moins glorieux, effectivement, d’expliquer que Sidaction paye avec l’argent des donateurs des avocats pour tenter de contrer les multiples procédures que certains salariés intentent à la direction – se plaignant de leurs conditions de travail. Rien que pour 2010, près de 416 000 euros ont été provisionnés pour « les risques sociaux ». Et au regard du climat social qui règne ces jours-ci dans les murs de l’association, 2011 risque d’être un cru encore meilleur…

« Sidaction est une caricature de ce qui peut se faire dans le monde associatif en termes de droit du travail », assène Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC, seul syndicat présent à Sidaction. Surcharge de travail, mise en concurrence des salariés, absentéisme en hausse, dialogue houleux entre les membres de la direction et les délégués du personnel : le collectif, co-fondé par Pierre Bergé en 1994, vit des heures sombres.

Il y a un an et demi, la structure, en pleine expansion, franchit le cap des 50 salariés. Au-delà de cette barre symbolique, la loi impose la création d’une section syndicale. « Les premiers accrochages datent de l’organisation des élections », affirme Gilles Gathellier, président de la branche associative de la CFTC, le Spaif (Syndicat des personnels d’associations d’Ile-de-France), « la direction de Sidaction a notamment cherché à proroger de façon tout à fait illégale les mandats des délégués du personnel arrivés à expiration afin de garder la main et, ainsi, de contrôler l’émergence d’un syndicat fort ».

  • Dans la vidéo ci-dessous, des salariés de Sidaction témoignent (Vidéo Fanny Lesbros) :

Contre-pouvoir

Milko Paris, secrétaire du Comité d’hygiène, de sécurité, et des conditions de travail (CHSCT), et salarié du collectif depuis 2002, abonde : « Pour la première fois, un contre-pouvoir voyait le jour. Vu que chaque service de l’association est une république indépendante avec des barons à leurs têtes, c’est un euphémisme de dire qu’ils ont vu d’un mauvais œil l’arrivée de la CFTC. Désormais, la direction allait devoir s’expliquer sur le clientélisme qui régit par exemple les augmentations de salaires. Et, comme prévu, ce fut rapidement explosif… »

Milko Paris l’a d’ailleurs vérifié à ses dépens. Embauché à Sidaction en 2002, il est aujourd’hui un cas emblématique de la lutte qui oppose salariés et direction. En novembre 2009, il dépose plainte pour harcèlement moral. A son propos, l’inspection du travail écrit une lettre sans équivoque à la direction de Sidaction, le 4 décembre 2009 : « Il apparaît que les conditions de travail de M. Paris affectent sa santé, et que celui-ci se trouve dans une situation de souffrance et de stress qu’il convient de faire cesser. »

Loin de calmer le jeu, cette injonction achève d’embraser les choses. Milko Paris essuie trois tentatives de licenciement en mai et juillet 2010, puis novembre 2011, toutes refusées par l’inspection du travail. Autant de camouflets pour la direction de Sidaction qui est désormais poursuivie par Milko Paris pour dénonciations calomnieuses. « Ce dossier est une odieuse chasse à l’homme, s’insurge la CFTC, Milko Paris a reçu une pétition de soutien de plus de 40 salariés [sur 63 au total]. Ils font corps derrière lui car certains vivent la même chose en silence. »

Souffrance

Redoutant un suicide, les instances représentatives du personnel décident, fin 2010, de commander une expertise sur la souffrance des salariés. « Nous en avions marre de voir la direction se réfugier dans le déni », clame Gilles Gathellier. Après plusieurs mois d’enquête, les rapporteurs du CEDAET, organisme agréé par le ministère du Travail, rendent un document accablant (à consulter ci-dessous). Et somment la direction de Sidaction de faire des efforts immédiats.

Tous pensent une nouvelle fois que les choses vont évoluer. Mais, là encore, l’inverse se produit. Les pontes de l’association refusent de reconnaître les conclusions du CEDAET. Pierre Bergé dit même ceci : « Je peux commander et payer un rapport qui dira tout le contraire. » Le 12 octobre, lors du conseil d’administration (CA) de l’association, il va encore plus loin : « Les arrêts maladie sont des arrêts de complaisances, n’importe quel médecin peut en établir un ! » La phrase, rapportée devant plusieurs salariés qui avaient débrayé pour faire entendre leur colère, fait l’effet d’une bombe. Selon plusieurs personnes présentes, le CA, qui se tient au Bel-Ami, un hôtel luxueux de Saint-Germain-des-Prés, se termine de façon extrêmement houleuse.

Contacté par Libération, François Dupré, directeur général de Sidaction, affirme pourtant « qu’il est tout à fait d’accord pour mettre en place la structuration nécessaire à un meilleur fonctionnement de l’association. C’est à l’ordre du jour de la prochaine réunion du CHSCT ».

Deux licenciements et trois démissions

Toujours est-il que, sur les quatre derniers mois, il y a eu deux licenciements et trois démissions. Et « nombreux sont ceux qui démarchent ailleurs pour quitter le navire », affirme Michel Maietta, délégué syndical CFTC. Début décembre, le CE a voté – contre l’avis de son président François Dupré – la mise en place d’une aide juridictionnelle pour les salariés en souffrance souhaitant des conseils précis quant à leur situation. Furieux, Dupré a assigné en retour le CE pour obtenir la suspension de la décision.

Dernier épisode, fin décembre, le Spaif ainsi que Michel Maietta ont assigné à leur tour Sidaction pour « discrimination syndicale ». « Les pontes de Sidaction considèrent l’activité syndicale comme un chancre à éliminer. En s’acharnant sur Michel Maietta parce qu’il porte les revendications du personnel, ils ne portent pas atteinte uniquement à sa personne, mais à l’intérêt collectif de l’ensemble des salariés de l’association. Ceux-ci montrent pourtant, malgré la tempête, une vraie compétence dans leurs tâches quotidiennes », tempête Marie-Laure Olmeta, fondatrice du Spaif et conseillère prud’homale.

Une procédure qui pourrait bien faire des petits : actuellement, le Spaif inventorie toutes les entraves et les entorses au droit du travail afin de déclencher une nouvelle assignation. « Et ce sont de nombreux articles du code qui sont bafoués quotidiennement », décoche Joseph Thouvenel, de la CFTC.

Rapport d’Expertise CEDAET - CHSCT Sidaction datant du 21 mai 2011.


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Publié sur OSI Bouaké le jeudi 9 février 2012

 

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