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Rwanda : l’aveu qui accable Kagame

Un ex-bras droit du Président l’accuse d’avoir orchestré l’attentat déclencheur du génocide, en 1994.


Libération - 20 octobre 2011 - Par Thomas Hofnung

Ce n’est pas la première fois que Paul Kagame, l’actuel président du Rwanda, est accusé par d’anciens proches d’avoir orchestré l’attentat qui a déclenché le génocide dans son pays. Mais ce témoignage fait mal, car il émane de l’un de ses ex-bras droits, Théogène Rudasingwa, en exil aux Etats-Unis.

Le 6 avril 1994, l’avion piloté par un équipage français et transportant le président hutu Juvénal Habyarimana était abattu à l’approche de l’aéroport de Kigali. Dès la nouvelle de sa mort connue, des extrémistes hutus prenaient le pouvoir et ordonnaient le massacre de toute la population tutsie et des Hutus opposés à leur politique. En cent jours, entre 800 000 et 1 million de personnes étaient massacrées, sous les yeux de la communauté internationale, restée inerte.

Début octobre, Théogène Rudasingwa a décidé de faire ce qu’il a appelé lui-même sa « confession ». Sur sa page Facebook, il écrit : « La vérité doit être dite. Paul Kagame […] porte personnellement la responsabilité de l’attentat contre l’avion. En juillet 1994, Paul Kagame lui-même […] me l’a dit. » Et d’ajouter que c’était un secret de polichinelle dans le « premier cercle » autour du Président. Prudent, il assure n’avoir pas été, lui, mis dans la confidence du complot.

La parole de Rudasingwa a du poids. Médecin de formation, ce Tutsi anglophone a été secrétaire général du Front patriotique rwandais (FPR), le mouvement qui a pris le pouvoir à Kigali à la suite du génocide du printemps 1994. Il a aussi été ambassadeur de Kigali aux Etats-Unis juste après le génocide et chef de cabinet de Kagame, avant de rompre avec lui au milieu des années 2000.

Mensonge. Même après sa rupture avec Kagame, Rudasingwa a servi la version officielle : celle d’un acte imputable aux extrémistes hutus déterminés à en finir avec toute idée de partage du pouvoir avec la minorité tutsie, conformément aux accords de paix d’Arusha de décembre 1993. Il dit aujourd’hui regretter ce long mensonge… dix-sept ans après les faits.

Quel crédit peut-on accorder à son repentir ? Rudasingwa, précise la spécialiste du Rwanda Claudine Vidal, est un membre actif du Congrès national rwandais, un mouvement d’opposition qui regroupe des Hutus et des Tutsis. En mars, Rudasingwa a été condamné par contumace par la justice rwandaise à une lourde peine de prison pour menace contre la sécurité de l’Etat.« Il se confesse sur l’attentat contre Habyarimana, mais ne dit rien sur les crimes commis par le FPR au Congo », note un bon connaisseur du dossier à Paris, pour lequel ce témoignage vient « bien tard ». Joint par Libération, Théogène Rudasingwa explique avoir décidé de briser l’omerta à la suite du voyage de réconciliation en France de Kagame, à la mi-septembre. « Ce type doit rendre des comptes, ce n’est pas un chef d’Etat comme les autres, mais un criminel », dit-il. Il affirme être prêt à témoigner devant la justice internationale et devant le juge français Marc Trévidic, chargé de l’enquête sur l’attentat qui a coûté la vie à l’équipage français de l’avion. Mais le magistrat antiterroriste a bouclé son instruction. Conclura-t-il à un non-lieu en l’absence de preuves matérielles ou confirmera-t-il les mandats d’arrêt lancés en 2006 par son prédécesseur, Jean-Louis Bruguière, contre des proches de Kagame ?

« Pardon ». Dans sa confession sur Facebook, Rudasingwa demande pardon aux familles des victimes de l’attentat. « J’ai parlé avec plusieurs d’entre elles, et notamment avec la veuve de l’ancien président, Agathe Habyarimana, et ses enfants. Ils m’ont accordé leur pardon. » Il dit espérer pouvoir faire de même auprès des familles françaises. « Je traînais ce fardeau depuis des années, je me sens soulagé », poursuit-il.

En revanche, Rudasingwa sait qu’il se met ainsi un peu plus en danger. Au cours des derniers mois, plusieurs responsables rwandais, qui ont rompu avec le maître de Kigali, ont été sérieusement menacés. L’un d’entre eux, le général et ancien chef d’état-major Faustin Kayumba Nyamwasa, a même été grièvement blessé par balles, en juin 2010, à Johannesburg en Afrique du Sud. Transporté à l’hôpital, il a échappé de peu à une nouvelle tentative d’assassinat à l’intérieur de l’établissement. En mai, Londres a accusé le pouvoir de Kigali de vouloir attenter à la vie de deux dissidents rwandais.

Pour Théogène Rudasingwa, l’attentat contre l’avion du président Habyarimana n’est pas « la cause » du génocide, mais son « déclencheur ». « Kagame savait que cet événement allait déclencher un déchaînement de violence au Rwanda, mais peu lui importait, martèle son ancien ami. Ce qui comptait pour lui, c’était le pouvoir, rien que le pouvoir. »


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Publié sur OSI Bouaké le dimanche 23 octobre 2011

 

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