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L’anorexie (et autres souffrances adolescentes) vue de face


Rue89 - Louis Mesplé - 11/05/2009 - 13:15

Portrait de Judith, jardin de la cathédrale de Limoges

Morgane sur la couverture de "Toujours ou jamais", de Marc Pataut C’est l’expérience délicate d’un travail photographique collectif, mené par Marc Pataut [1] et réalisée entre 2003 et 2006 dans une unité de soins institutionnelle pour adolescents (Usipa). Elle est racontée dans un livre paru récemment aux éditions Lienart, « Toujours ou jamais ».Marc Pataut se définit comme artiste photographe. Depuis plus de vingt ans, il intervient sur des sur des territoires « de handicaps, de paroles empêchées, d’échecs ou d’exclusions, de souffrances ». Sa méthode s’approche de l’enquête documentaire de longue durée.

« Un témoignage n’existe pas : il se fabrique. »

Le portrait est le terrain muet sur lequel il emmène, après l’écoute et le dialogue, les participants à se déclarer, à affirmer leur existence. Cité dans le livre, le critique d’art et historien Jean-François Chevrier [2] précise :

« La position de l’artiste n’est ni celle du journaliste ni celle du sociologue. En soi, un témoignage n’existe pas : il se fabrique. La parole est pour moi de la matière et de la terre. Je m’autorise à l’utiliser comme la lumière ou l’image. Les images sont des paroles. »

Portrait de Mathilde par Marc Pataut

Portrait de Morgane par Marc Pataut

Autoportrait de Mathilde

Là, dans cet Usipa de l’hôpital Esquirol de Limoges (aujourd’hui restructurée), face à des adolescents hospitalisés (beaucoup pour troubles du comportement alimentaire et d’autres pour troubles psychologiques), la parole et la notion d’image sont relatives. On est au centre du corps et de son identité, de sa représentation.

Comment, dans un univers asilaire, emmener des jeunes patients (majoritairement des filles) à se représenter ? Comment le photographe va t-il s’y prendre ? Maurice Corcos, psychanalyste, psychiatre, spécialiste des troubles psychologiques des adolescents, commente ainsi les images de Pataut :

« Lui… Un corps masculin imposant, contre des corps féminins qui, pour des raisons compliquées, ont choisi de ne pas avoir de corps -d’imaginer, en tout cas, de ne pas en avoir. »

« L’artiste sait, comme les psychiatres, que la modestie est la condition de l’efficacité »

« Pataut privilégie la durée, avec tous les risques que cela implique . Il suspend l’obligation de résultat », explicite de son côté Jean-François Chevrier, tandis que Philippe Vigouroux, directeur du CHU de Limoges entre 2004 et 2008 compare sa démarche à celle des soignants :

« Trois années de résidence… L’artiste choisit une approche modeste. Il sait, comme les psychiatres eux-mêmes, que la modestie est la condition de l’efficacité. »

Le photographe commence ses ateliers par le conseil de « ne pas faire de belles images », mais de produire des photos (à la fin de l’expérience, il y en aura 9 000 environ).

Pour cela il confie aux adolescent(e)s des appareils reflex 24x36 argentique (le maniement de l’appareil et la prise de vue avec une pellicule demandent plus d’attention et incitent à limiter le nombre de clichés).

En contre-point, les portraits que réalisera le photographe. Ce sera en noir et blanc.

Le temps et le sujet des prises de vues sont libres. Les adolescent(e)s vont se photographier dans leur coin, leur chambre, et à l’extérieur, ils se tournent vers des paysages. L’autoportrait est privilégié. Ce sera tout en couleur.

Le lieu de l’échange, du dialogue, du choix, de la comparaison se fait sur des murs d’images dans une pièce polyvalente alternant la salle de consultation et le studio photo. On y crée des montages.

Le mur de l'hôpital où sont affichées les travaux des participantes

Jean-François Roche, pédopsychiatre, chef de service au centre hospitalier Esquirol de Limoges, commente ce travail au long cours :

« Un des aspects passionnants du travail de Marc Pataut est la réalisation des murs d’images. Il semble ne rien faire d’autres que de mettre des photographies les unes à côté des autres. Mais c’est justement la juxtaposition, la mise en liaison, qui permet de sortir de l’image et d’entrer dans la représentation.

Si je regarde le montage réalisé avec les photos de Virginie, ce qui m’intéresse c’est qu’elle se photographie non pas en train de se mutiler, mais en train de faire le geste de se mutiler. Ce qui n’est pas la même chose. »

Virginie par elle-même

 Dalila et Elodie

Faut-il parler d’art-thérapie ? « L’art-thérapie n’existe pas » Jean-François Roche. « L’art ne soigne rien, jamais-je parle de la maladie mentale sévère-. ».Maurice Corcos.

Simplement, « quelque chose s’est passé » . Selon le directeur du CHU, les hospitaliers ont découvert « une nouvelle forme de langage chez leurs patients, », et ces derniers une forme d’écriture -souvent poétique - pour une découverte de leurs corps et de sa représentation.

Photos : autoportrait de Judith, jardin de la cathédrale de Limoges ; sur la couverture : autoportrait de Morgane ; Mathilde par Marc Pataut ; Morgane par Marc Pataut ; autoportrait de Mathilde ; le mur de l’hôpital où sont affichées les travaux des participantes ; Virginie par elle-même ; Dalila et Elodie par elles-mêmes.

Toujours ou jamais de Marc Pataut - Lienart Editions, avec l’Arthotèque du Limousin - textes de Jean-François Chevrier, Maurice Corcos, Véronique Nahoum-Grappe, Jean Poussin et Jean-François Roche - 176 pages - 150 illustrations - 24X30 cm - 39€.

Links : [1] http://www.sfp.photographie.com/bul... [2] http://en.wikipedia.org/wiki/Jean-F... [3] http://www.rue89.com/oelpv/2009/10/... [4] http://www.rue89.com/oelpv/2009/09/... [5] http://www.rue89.com/oelpv/2009/09/... [6] http://www.rue89.com/oelpv


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Publié sur OSI Bouaké le dimanche 8 novembre 2009

 

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