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L’Etat peine à aider les populations migrantes atteintes du VIH

Sandrine Dekens, psychologue clinicienne et ethnopsychologue, a travaillé pendant 10 ans pour l’association sol en si, chargée d’aider les migrants atteints du VIH. Elle explique la particularité de cette maladie pour ces populations qui sont les premières victimes en France


Métro - 4 Avril 2013 - Sidaction 2013 - par David Perrotin - Sandrine Dekens, psychologue clinicienne et ethnopsychologue, a fait de la lutte contre le Sida   une cause fondamentale de sa vie. Elle a travaillé pendant 10 ans pour l’association Sol En Si (solidarité enfants sida  ) qui s’occupe de fournir une assistance "globale" aux migrants atteints du VIH   et a publié un mémoire sur ce sujet. Sandrine Dekens travaille aujourd’hui pour Orphelins Sida   International en tant que spécialiste de la prise en charge des enfants affectés et infectés par le VIH   en Afrique. Les patients originaires d’Afrique ont tendance à penser le Sida   comme une maladie provoquée par des éléments extérieurs. Une attaque sorcière par exemple. L’objectif de Sol En Si est de donner une réponse qui prenne en compte leur méthode traditionnelle tout en la combinant avec la médecine moderne.

Vous vous occupez spécifiquement de la population Africaine atteinte du VIH  . Pourquoi s’être spécialisée dans le traitement des migrants ?

Chaque culture a une grille différente pour percevoir le monde. Notre but premier, pour traiter des gens atteints du VIH  , est de mobiliser leurs ressources. Apprendre que l’on est atteint du VIH   est ressenti comme une effraction traumatique. Nous devons donc les aider à y faire face et surtout à donner du sens à une maladie aussi complexe que le VIH  . La spécificité des migrants, c’est qu’ils ont dans leur culture, des ressources qu’ils peuvent mobiliser pour affronter cette étape. On va donc s’en servir pour répondre à la question fondamentale : "Pourquoi moi ?".

En quoi cette question est-elle fondamentale ?

Cette question va de pair avec le traumatisme de la séropositivité. Notre rôle est de soigner ce traumatisme en lui donnant du sens. Pour y parvenir, on doit prendre en compte la culture des migrants. En Afrique par exemple, la maladie est un message qui doit être décodé. Le décoder c’est les aider. Mais leurs thérapies traditionnelles souffrent d’un discrédit général. Persuadée de l’utilité thérapeutique de cette démarche, combiné à la médecine "moderne", il s’agit de les aider à la penser, et leur permettre d’obtenir un récit cohérent pour qu’ils puissent vivre avec et accepter leur maladie.

Quel message le VIH   peut-il vouloir dire pour certains migrants ?

La plupart du temps, la maladie est pensée comme une attaque sorcière. Nos patients africains ont l’habitude de nous dire que chez eux, aucune mort n’est naturelle. La logique est claire. L’individu se dit que s’il lui arrive quelque chose de grave, cela s’explique parce que quelqu’un lui veut du mal. C’est leur réponse au "pourquoi moi ?". A l’inverse, les occidentaux auront tendance à réagir par culpabilité en se disant : "s’il m’arrive cela, c’est que j’ai fait une faute".

Quel rôle joue l’association Sol en Si pour laquelle vous avez travaillé pendant plus dix ans ?

Notre philosophie est le soutien global. Les migrants étant dans une position multi-problématique, nous leur apportons une aide psychologique, sociale et matérielle. Notre but est de proposer des réponses partout où l’Etat n’en donne pas. De l’organisation des vacances des enfants à la recherche d’un emploi pour les parents etc. Nous sommes là pour combler les lacunes de l’Etat et parce que le Sida   est révélateur de nos failles sociales. Il s’agit d’être le plus pragmatique possible, sans les mépriser.

En quoi le Sida   est-il révélateur des failles de notre société ?

C’est une maladie qui frappe les plus vulnérables, ceux qui sont à la marge de la société. Les homosexuels à l’époque où c’était pénalisé, les toxicomanes... Le point commun avec les personnes atteintes est que ce sont des populations fragiles, aujourd’hui majoritairement des femmes et des migrants. Et nous constatons très clairement que l’Etat peine à les aider. Je me demande même si il y a encore cette volonté.

Comment expliquez vous cela ?

En terme d’activité associative, il est beaucoup plus facile de faire de la prévention parce qu’on peut chiffrer certains résultats. Une association sait combien de préservatifs elle distribue, combien d’affiches publicitaires elle placarde, combien de personnes elle dépiste. C’est plus efficace pour obtenir des subventions. A l’inverse, une association comme la notre qui s’occupe du suivi des personnes atteintes, a une tâche plus complexe. Passer trois heures à écouter une femme infectée n’aide pas à obtenir des aides financières.

Des politiques de santé ciblent-elles ces populations aujourd’hui ?

A ce jour, aucune politique n’est mise en place pour traiter les migrants. Plus généralement, je dirai même qu’il y a une désertion de l’Etat face au suivi des patients. On sait qu’il faut cibler chaque groupe, mais en France, on refuse de penser la spécificité des migrants. Notre culture républicaine universel est une chance mais c’est aussi un frein pour ces questions.

Que faudrait-il faire, alors ?

Il faut mêler la prévention et le suivi en s’adaptant à la population que l’on traite. Il y a évidemment un certain mépris pour les immigrés en France qui empêche d’avancer sur ces problèmes. Mais l’Etat ne doit pas oublier que les agents de la contamination sont ceux qui vivent avec le VIH  . La prévention ne peut pas aller sans le suivi des personnes atteintes. Si on veut que les Africains se protègent, on doit tenter de comprendre leur culture pour les aider à agir. On ne peut pas éternellement, du haut de notre "grandeur occidentale", leur imposer les choses sans tenter de comprendre leur façon de les percevoir.

Êtes-vous optimiste pour l’avenir ?

D’un naturel plutôt optimiste, je suis aujourd’hui désespérée. J’ai l’impression que cela fait 20 ans que nous répétons les mêmes choses et rien n’avance. Nos conquêtes du passé, les séjours en France pour soigner les étrangers par exemple, ont été détricotées. Et il n’y a aujourd’hui rien qui puisse annoncer une amélioration.


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Publié sur OSI Bouaké le vendredi 5 avril 2013

 

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