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Au Bénin : Des cahiers de mémoire contre l’oubli

Pallier à la disparition progressive des dispositifs traditionnels de la culture orale par temps de sida


OSI Bouaké - Pascale Lemare - Janvier 2010

OSI Bouaké avait parlé d’un projet d’atelier de sensibilisation aux Boîtes de mémoire, réalisé en novembre 2009 auprès de l’ONG Action sociale au Bénin. Voici la suite de l’histoire... Vous pouvez télécharger le rapport complet sur cette action en bas de cette page.

« Au temps de nos grands parents tout ce qui se passait se racontait oralement. Chaque enfant, entendait et retenait ainsi les histoires des vieux parents. Mais cette pratique n’est plus à la mode depuis l’arrivée de la télévision et l’Afrique s’épuise à ne plus prendre le temps de s’occuper de ses enfants. Moi je vois dans ces écrits un acte important. L’enfant pourra dire d’où il vient et cela l’aidera à grandir. » Paulin

En novembre 2009, nous avons mené au Bénin une formation de trois jours pour les travailleurs sociaux de l’association locale O.N.G. Action Sociale intervenant auprès de familles touchées par le sida  . Psychologue auprès d’enfants séparés de leurs parents, pour lesquels des familles de substitution sont recherchées, les questions de séparation, d’abandon, de perte, de deuil à vivre, à parler, à élaborer, sont une des préoccupations essentielles de ma pratique. Agnès, conceptrice rédactrice, engagée comme marraine à OSI, m’a rejointe dans ce projet, concernée par la question de la transmission orale à la transmission écrite que soulève le cahier de souvenirs. Nous avons adapté le Memory Book, outil né et utilisé en Afrique anglophone suite au constat que les parents atteints du sida   disparaissaient sans laisser de traces de leur vie commune avec leur enfant, ni d’informations sur l’histoire de la famille. Le cahier de souvenirs vise donc à mettre en mots une partie de la vie du parent et de celle de l’enfant, créant ainsi une passerelle entre passé, présent et avenir. Les motivations d’un parent à s’engager dans le travail de mémoire sont à la fois de retracer sa généalogie (pour que ses enfants connaissent leurs racines) et d’entamer un dialogue entre les membres de sa famille et les enfants.

Notre atelier s’est adressé aux travailleurs sociaux œuvrant auprès de familles affectées par le sida  . Ils seront les intermédiaires entre les parents et les enfants en les invitant à transcrire leurs témoignages et constituer ainsi un recueil destiné à leur enfant.

Démarche adoptée Nous avons tout d’abord projeté le film de Christa Graf « Memory Book », qui a permis de comprendre, à travers une expérience déjà existante, la pratique du cahier.

Eugène : « L’Afrique est vraiment riche et sa richesse est mal exploitée car on manque de références. Nous avons le problème de la transmission juridique des biens des parents : c’est pourquoi il faut habituer la population à écrire cela fait partie de l’éducation. »

Paulin : « Le film était très émotionnel à mon niveau. Je ne veux pas nommer handicap   le manque d’écrit chez nous car pour moi c’est un problème anthropologique. L’écrit remplace l’oralité, je suis d’accord mais les parents ne seront-ils pas tentés de ne raconter que les bons souvenirs ? Il faudrait une méthode très variable selon les familles. »

Catherine : « j’ai bien aimé ce téléfilm c’est ce que nous vivons : des enfants sont laissés à eux-mêmes et ce cahier est là pour que l’enfant se repère, il nous faut sensibiliser nos cibles pour que nos enfants ne soient pas délaissés »

Puis la démarche s’est enrichie d’un atelier d’écriture.

Nous proposons que chacun s’initie à l’acte d’écrire pour soi-même avant de faire écrire ou transcrire la parole des autres. Nos propositions d’écriture sont inspirées de la pratique d’ateliers sur l’autobiographie. Des lectures d’extraits de textes d’écrivains européens et auteurs ou chanteurs africains nourrissent l’inspiration. Puis s’installent les temps d’écriture et de lecture à voix haute des textes produits. Les participants travaillent sur leur enfance, le choix de leur prénom, leurs ancêtres, leurs lieux de vie, les liens familiaux tissés de coutumes :

« Née le 23 août 1955 à Cotonou, j’ai commencé les classes dès mon jeune âge. A 5 ans, le Dahomey accéda à l’indépendance. Mon papa mourut en 1968 quand j’intégrais la classe de 6ème au lycée Houffon d’Abomey. J’ai mon premier enfant à 25 ans. J’effectuerai 30 ans de service et à 55 ans, je serai admise à la retraite. » (Sidonie)

« Je m’appelle Apollinaire, un prénom rare qui m’a été donné par mes deux parents en référence au saint Apollinaire, synonyme de sagesse et persévérance. Il n’est pas utilisé par mes parents, ils m’appellent plutôt « le chanceux » parce qu’ils ont eu cinq filles avant et j’ai eu la chance de venir après ». (Appolinaire)

« Je me souviens de mon baptême de l’air, j’avais eu sérieusement peur. Je me souviens de ma réussite au bac : après l’annonce de mon admissibilité j’étais guérie du paludisme dont je souffrais » (Lydia).

« Mon papa, c’était une personne de la famille que tout le monde adorait. Il était le chef de la famille et de toute la collectivité, et en son temps, il a été nommé chef canton de Houazoumé et au temps de la révolution, en 1972, chef de village. Les vrais révolutionnaires de l’époque, les autorités, l’ont constitué en tant que sage. C’était un grand commerçant d’huile rouge, de palmiste et de sacs de haricots, de maïs. C’est auprès de lui que les blancs venaient chercher leurs palmistes et l’huile rouge. Il sait lire et écrire mais il n’a jamais mis les pieds à l’école. aussi il voulait que ses enfants la fréquentent. Moi je lui ressemble, il m’aimait beaucoup et il aimait sortir avec moi. Et chaque fois, il me racontait un peu sa vie. Il était polygame. Il se prénommait Martin Azangou » (Clément).

A l’issue de l’atelier d’écriture, nous percevons que chacun a apprivoisé le cahier de souvenirs, sa réalisation devient envisageable.

Nous l’appréhendons désormais sous ses divers aspects :

Écrire « tout simplement » ce que l’on dit, ce que l’on a vécu, ce que l’on vit.

Écrire la mémoire de la famille pour renseigner les descendants. Cela participe de la constitution de repères et de fondements pour la société africaine, dans un processus de transmission intergénérationnelle.

Entreprendre la réalisation d’un cahier de souvenirs s’avère être un support efficace afin de rechercher ou de faire établir diverses pièces administratives primordiales : actes de naissance, de propriété foncière...

Écrire ou transcrire la parole est, par ailleurs, l’occasion de révéler la maladie, la cause d’un décès ou la raison de la prise d’un traitement médical.

Pallier à la disparition progressive des dispositifs traditionnels de la culture orale, tels les rassemblements sous l’arbre à palabres progressivement remplacés par l’omniprésence de la télévision. Le cahier de souvenirs serait donc aussi un outil de résistance face aux risques d’acculturation en cours.

Rédiger le cahier en quelle langue ? Tous s’accordent à considérer que ce sera le français, langue encore majoritairement enseignée à l’école.

Conserver le cahier : sujet délicat, d’une part pour des raisons climatiques et spatiales mais aussi sur le plan de la confidentialité.

Et après ? Les animateurs sont résolus à l’utiliser. Nous les quittons confiantes dans leur mise à profit de la démarche initiée, au delà des difficultés abordées. Nous convenons de nous revoir l’an prochain, tout en gardant le contact pour toute question pratique.


Cet article a été également publié par La faute à Rousseau, revue de l’association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographie, juin 2010, numéro 54

.: LES CAHIERS DE MÉMOIRE Un projet, un atelier, un engagement :.

rapport complet de l’atelier de sensibilisation aux boîtes de mémoire auprès de l’ONG Action sociale au Bénin


Publié sur OSI Bouaké le mardi 6 juillet 2010

 

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