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"La mémoire, c’est dans le cœur que ça se stocke"

Atelier de sensibilisation aux Boîtes de mémoire auprès de l’ONG Action sociale au Bénin


OSI Bouaké, le 21 novembre 2009

Sur la lancée da la rencontre organisée par OSI en mars 2008 à Lomé, pour la création du Réseau de Jeunes Affectés et Infectés par le VIH   (RJAIV), Pascale Lemare, psychologue clinicienne et marraine d’un enfant de Bouaké, et Agnès Muckensturm, conceptrice rédactrice, ont souhaité prolonger la réflexion autour d’un outil de résilience des enfants et des JAIV   : les boîtes de mémoire. Elles ont conçu et animé un atelier de sensibilisation à ces boites de mémoire qui s’est déroulé les 12 et 13 novembre au Centre social de l’ONG Action sociale à Porto Novo (Bénin). Pendant deux jours, cet atelier a rassemblé 15 animateurs sociaux et psychologues de l’ONG Action Sociale, partenaire de longue date d’OSI, qui y parraine une cinquantaine d’enfants.

OSI Bouaké attend leur retour avec impatience pour qu’elle nous racontent leur expérience… Nous donnons rendez-vous à nos lecteurs dans quelques semaines.

L’atelier Memory Box

La boîte de souvenirs (Memory box) ou cahier de souvenirs (Memory book) est un outil né et utilisé en Afrique anglophone depuis les années 90 – notamment en Tanzanie où s’est créée la première association d’Afrique prenant en charge des personnes affectées par le VIH  . On s’est alors rendu compte que les parents disparaissaient sans laisser beaucoup de traces de leur vie commune avec leur enfant, ni d’informations sur l’histoire de la famille. Parfois même, il n’y avait plus personne pour raconter l’histoire des parents, leur rencontre, leur mariage…

Nous avons la conviction que les enfants sont des êtres doués de compréhension, même des choses les plus difficiles, et qu’ils doivent être informés le plus possible de leur histoire familiale pour bien grandir. La démarche proposée peut aider les parents à anticiper les questions (qui se poseront plus tard). Il s’agit d’inviter les familles affectées par le sida   à transcrire leurs témoignages, en constituant un recueil destiné à leur enfant susceptible de devenir orphelin. Ce travail de collecte et de restitution peut prendre différentes formes, un cahier ou une boîte où l’on consigne avec les parents les éléments qui concernent l’histoire de l’enfant. On peut y coller des photos, remplir une boîte d’objets, écrire des souvenirs… De même, les parents peuvent être invités à désigner un tuteur pour l’enfant ou faire part de leurs vœux pour lui. L’élaboration du cahier/boîte de souvenirs peut se faire en groupe d’enfants et de parents ou plus individuellement avec chaque famille.

L’écriture permet de faire exister et durer les choses dites. Elle a ce pouvoir de garder trace de ce qui a disparu en assurant la transmission d’une histoire. Le cahier de souvenirs a pour but de mettre en mots une partie de la vie du parent et celle de l’enfant en créant une passerelle entre passé, présent et avenir. Cela permet aux parents de retracer leur généalogie pour que leurs enfants connaissent leurs racines, qu’ils sachent où chercher du soutien, vers qui se tourner. Parler autour du cahier de mémoire donne l’occasion aux enfants de poser des questions sur leur famille, leurs origines et leur culture, et la connaissance de ces aspects de leur identité renforce l’estime de soi. « J’ai écrit la façon dont j’aimerais que ma fille se comporte. Elle doit connaître la vérité sur le sida   et apprendre à respecter ses aînés quand je ne serai plus là. Je lui ai dit combien je l’aime et à quel point je souhaiterais qu’elle devienne indépendante. Je veux qu’elle fasse des études. Toutes ces choses sont très importantes pour moi » dit un père fréquentant le Centre Sinomlando (Afrique du Sud) cité par Philippe Denis dans Les enfants aussi ont une histoire – Travail de mémoire et résilience au temps du sida  .

Au cours des premières années de l’épidémie, les associations d’aide ont concentré leurs efforts sur les besoins matériels des enfants, mais leurs besoins psychologiques et émotionnels paraissent aujourd’hui tout aussi importants. Ainsi, la confection progressive du cahier de souvenirs s’appuie sur un dialogue entre parents et enfants qui permet aux parents de se confronter à la maladie et d’aider l’enfant à amorcer le processus du deuil, tout en constituant ensemble ce qui deviendra un bien précieux pour lui.

Ce cahier est la mémoire de l’enfant et le suivra tout au long de sa vie. Il sera précieux pour l’adolescent, le futur adulte ainsi que pour sa famille.

« La mémoire, elle passe dans la tête mais il y a un lien entre le cœur et la mémoire. C’est dans le cœur que ça se stocke », comme l’a dit un participant d’un atelier d’écriture de François Bon.

Programme

Première phase : Qu’est-ce qu’un cahier de souvenirs ?

Projection du film documentaire Memory Books réalisé en 2007 par Christa Graf en Ouganda.

Présentation du cahier de souvenirs de Sadiya, réalisé au Nigeria, traduit de l’anglais

Il semble que les personnes en situation de deuil, de traumatisme ou de vulnérabilité peuvent, si elles reçoivent le soutien et les encouragements nécessaires, s’adapter plus harmonieusement à leur environnement, développer la résilience. Le dialogue entre parents et enfants aide au développement de la résilience chez l’enfant. Toutes les définitions du mot résilience incluent la capacité à s’adapter malgré des circonstances hostiles, ou même extrêmement menaçantes. Pour citer Boris Cyrulnik, la résilience est « l’aptitude à tenir le coup et à reprendre un développement dans des circonstances adverses. » Le Projet International de Résilience la définit ainsi : « capacité universelle qui permet à une personne, un groupe ou une communauté, de prévenir, réduire ou surmonter les effets négatifs de l’adversité. » En créant un espace où les adultes peuvent raconter l’histoire aux enfants et en en constituant la trace écrite, le projet des cahiers de souvenirs tend à rendre les enfants plus résilients et ainsi plus à même de surmonter le traumatisme. Ce travail réalisé ensemble repose sur ce postulat fondamental : il est nécessaire pour l’enfant d’accéder à la connaissance de l’histoire familiale, même au prix de souffrances, si son récit est délivré dans des bonnes conditions.

Deuxième phase : Accompagner la réalisation d’une boîte de souvenirs

S’exercer à écrire, et, pourquoi pas, réaliser son propre cahier de souvenirs, la pratique procurant une expérience qui permet une bonne transmission.

Dans un climat de confiance, d’écoute et de bienveillance, en fonctionnant selon le principe des ateliers d’écriture, les moments d’écriture sont suivis de la lecture à l’oral. Travailler à deux peut encourager l’autre à partager, à s’ouvrir de façon à pouvoir recevoir et donner du soutien : pendant que la personne écoute, elle note le récit. Présenter son histoire, sa famille, son portrait, les éléments relatifs à son prénom (qui l’a choisi ?) Faire un arbre généalogique. Lister les objets et images à collecter : calendriers, affiches, photos, cartes postales, journaux. Dater les moments de la vie en fonction des évènements contemporains (coupe du monde de foot, sécheresse ou pluies exceptionnelle, arrivée d’un nouveau maître d’école, installation de l’éclairage public, d’un cybercafé, événement politique…) Penser à quelques amorces utiles pour commencer à raconter une histoire : « Notre famille est originaire de… Mes grands-parents s’appelaient… Dans nos valeurs traditionnelles il y avait… Quand j’ai découvert que… Quand j’étais écolier… »

À titre d’illustration, nous lirons des textes de différents auteurs selon les thèmes que nous aborderons.

Troisième phase : Comment envisager l’usage d’un cahier de souvenirs ?

L’outil et la méthode étant connus, comment envisager que les personnes que vous accompagnez puissent transmettre ce qui est important pour l’enfant ? Ces expériences sont-elles transposables dans le contexte du Bénin ? Quels seraient les différences/les difficultés, en fonction de la culture et des habitudes locales ? Comment ce travail converge-t-il avec les différentes missions et le rôle de chacun au sein de l’ONG Action Sociale ? Comment pensez-vous présenter le projet aux familles ? Comment faciliter le déroulement du récit quand il peine à démarrer ? Les rubriques des exemplaires de cahiers de souvenirs vierges que nous avons conçus conviennent-elles ici ? Quels problèmes imaginez-vous dans le collectage des objets, des pièces administratives à inclure dans les cahiers ? Si les parents sont décédés, est-il possible de recueillir des informations auprès d’autres personnes ayant des souvenirs des parents ? Au-delà de l’écoute et la lecture du récit de son parent, l’enfant peut-t-il participer à la réalisation de son cahier ? A quel âge donner le cahier à l’enfant ? Comment accompagner sa lecture ? L’échange portera sur les diverses questions et problèmes apparus à partir de tout ce que nous aurons travaillé.

Pascale Lemare est psychologue clinicienne, chargée de l’adoption à Rouen, dans la région Haute Normandie. Son travail l’a confrontée au problème de l’identité des enfants adoptés et de leurs parents, biologiques et adoptifs. Les rencontres qu’elle a pu faire, tant avec des professionnels qu’avec des familles, l’ont amenée à voir et à éprouver que pour vivre le présent, il faut assumer son passé, et, pour cela bien sûr, le connaître.

Agnès Muckensturm est rédactrice indépendante et auteur. Elle a écrit des chansons, des scénarios de bandes dessinées et des spectacles vivants. Au fil du temps, ses travaux l’ont amenée à vérifier qu’un texte, quelle que soit son importance et sa destination, cristallise des idées et des impressions diffuses. En précisant une pensée et un discours, il devient alors une base à laquelle tout un chacun peut se référer, pour l’adopter ou le contredire.


Publié sur OSI Bouaké le dimanche 22 novembre 2009

 

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