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Afrique : De nouveaux médicaments contre le sida, vite !

De plus en plus de patients sous antirétroviraux ne réagissent plus aux médicaments de première génération en Afrique


ABUJA, 8 décembre (PLUSNEWS) - Les difficultés d’accès et de suivi des traitements contre le sida   pour les personnes vivant avec le virus en Afrique compromettent leur chance de survie, les programmes actuels de prise en charge ne pouvant répondre aux nouveaux besoins des patients, ont estimé les acteurs de la lutte contre l’épidémie.

Ainsi, alors qu’au mieux une personne sur dix bénéficient des traitements antirétroviraux en Afrique, soit dix pour cent de ceux qui en auraient besoin, la question de l’accès aux nouvelles molécules se pose déjà avec acuité.

“Si nous n’avons pas rapidement accès aux nouveaux médicaments à des prix raisonnables, le résultat pourrait être catastrophique pour l’Afrique”, a expliqué jeudi à PlusNews le docteur Eric Goemaere, responsable du programme de l’organisation humanitaire Médecins sans frontières, MSF  , en Afrique du sud.

Selon le docteur Goemaere et des responsables de nombreux programmes de prise en charge médicale en Afrique, de plus en plus de personnes sous traitement antirétroviral (ARV  ) ne réagissent plus aux médicaments de première génération, prescrits depuis la fin des années 90.

“C’est un phénomène normal, lié aux mutations du rétrovirus : après plus de quatre années de traitement, les patients développent des résistances. Mais ce qui concerne actuellement 17 pour cent des personnes sous traitement en Afrique du sud va devenir la règle dans le futur”, a prévenu le docteur Goemaere.

Au Sénégal, où des personnes ayant développé la maladie ont eu accès aux ARV   dès 1998 - soit l’une des plus anciennes cohortes en Afrique - 10 pour cent de patients ont besoin de nouvelles molécules, selon le professeur Papa Salif Sow, chef du service des maladies infectieuses du Centre hospitalier universitaire de Dakar-Fann.

“C’est la hantise de tout programme, plus il vieillit plus il faut se tenir prêt pour les deuxièmes lignes, ça va devenir essentiel un peu partout désormais. Il faut convaincre nos gouvernements, alors qu’ils commencent à peine les programmes ARV  ”, a-t-il commenté.

De plus en plus d’organisations de prise en charge médicale s’alarment de cette situation, appelant à la mise à disposition rapide de traitement bon marché de deuxième génération au profit des personnes vivant avec le virus en Afrique, dont la vie est aujourd’hui menacée.

Mal adaptées au climat tropical, chaud et humide, qui prévaut dans de nombreux pays africains, les molécules actuellement disponibles en Occident sont en effet excessivement chères et leur accès est du coup limité - certaines molécules utilisées en Afrique contre les virus résistants fondent au-dessus de 25 degrés.

Ainsi, quand il s’agit de se procurer ces traitements renforcés auprès des laboratoires pharmaceutiques - qui ne les commercialisent pas en Afrique —, ils reviennent 3,4 fois plus chers que les ARV   de première génération en l’absence de concurrence et d’un marché identifié sur le continent, selon les associations de prise en charge.

Des traitements trois fois plus chers que les précédents

Au Burkina Faso, selon les résultats provisoires d’une étude sur les résistances aux traitements, menée en 2005 par l’Association Action Santé (AAS), le coût annuel d’un traitement de deuxième ligne revient à 919 dollars par patient, contre près de 270 dollars pour un patient sous ARV   de première génération.

De même à Kayelitsha, dans la province sud-africaine du Western Cape où MSF   mène des activités intégrées de prise en charge d’environ 2 300 personnes, 2,5 pour cent des patients soignés avec ces nouvelles molécules pèsent 26 pour cent dans le budget du programme.

Quant aux nouvelles prothéases utilisées par MSF   en Afrique du sud, elles coûtent huit fois plus cher que les précédentes molécules, soit 1 661 dollars par an et par patient, contre 194 dollars pour les antirétroviraux de première génération, selon l’organisation humanitaire.

Outre le phénomène purement biologique lié à la nature du virus, les interruptions momentanées ou définitives des traitements concourrent au développement de résistances - qui ensuite se transmettent d’individu à individu au gré des nouvelles contaminations.

Ces ruptures dans la prise quotidienne des pilules, qui doivent être absorbées à vie, peuvent être volontaires ou non, mais elles sont souvent liées au coût du traitement et à sa disponibilité dans le pays concerné, selon les activistes.

Ainsi, une enquête menée entre août et novembre 2005 sur 122 patients qui venaient de rejoindre le programme de distribution gratuite d’ARV   et de diagnostic de MSF  , à l’hôpital général de Lagos, a révélé que 44 pour cent d’entre eux avaient interrompu leur traitement à maintes reprises, ou avaient pris des doses insuffisantes de médicaments faute d’argent pour les payer.

“Ce sont des gens qui vont être très difficiles à soigner”, a prévenu Abimbola Olomo, du programme MSF   au Nigeria. “Or, si nous avons trop de résistances dans un pays, même les traitements de première ligne vont échouer (en raison des nouvelles infections par des virus résistants).”

Au Nigeria, ceux qui ont la chance d’être inscrits sur le programme national de prise en charge doivent payer 1 000 Nairas (sept dollars) par mois pour obtenir les ARV  , à quoi il faut ajouter le prix des analyses et le traitement des infections opportunistes, soit un coût moyen de 1 000 Nairas par jour, selon MSF   — ce qui condamne une majorité de malades à ne pas avoir accès au traitement, près de 50 pour cent des personnes interrogées vivant avec moins de 36 dollars par mois.

Ainsi, selon les résultats de l’enquête, 39 pour cent des personnes interrogées avaient été forcées à mendier afin de pouvoir payer leur traitement, et 18 pour cent d’entre elles avaient dû vendre leurs biens immobiliers, bien que les médicaments ARV   soient subventionnés par le gouvernement.

Cela a été le cas de Mary Ashie, sous ARV   depuis 2001, qui a dû interrompre son traitement à plusieurs reprises faute de pouvoir s’acquitter des prix demandés par le système de santé public.

“Quand j’ai dû commencer à prendre des médicaments, les ARV   n’étaient pas disponibles au Nigeria”, a raconté cette jeune femme de 30 ans. “Je devais les acheter moi-même où je pouvais, mais c’était tellement cher que ce n’était pas possible d’en avoir tout le temps.”

Au Nigeria, les tests sont en vente libre dans les supermarchés et n’importe qui peut acheter des ARV   en pharmacie. Et, faute d’information, nombreux sont les médecins qui les prescrivent systématiquement en cas de sérologie positive, alors qu’ils ne sont pas toujours nécessaires, selon des activistes.

Mary a expliqué qu’elle avait dû emprunter de l’argent à sa famille et vendre des biens personnels à plusieurs reprises pour pouvoir acheter ses traitements, jusqu’à ce qu’elle rejoigne, en 2004, le programme de prise en charge gratuite de MSF  , à Lagos Island.

“Ma charge virale est toujours détectable, je sais maintenant que dans un futur proche je vais devoir passer à des traitements de seconde ligne et ça me fait peur”, a-t-elle dit.

La gratuité, un facteur essentiel de prévention des résistances

Selon Bastien Lamontagne, un anthropologue canadien qui travaille avec l’AAS au Burkina Faso sur les questions d’observance, la non-gratuité des ARV   et leur accès limité entraînent aussi des phénomènes de compétition et de spéculation entre patients, davantage préoccupés par le fait d’obtenir des médicaments que de bien les prendre.

“Le doute sur l’accès des traitements, quand ils ne sont pas gratuits et accessibles à tous, nuit considérablement à l’observance des traitements : on assiste à une véritable bataille pour l’accès aux médicaments, parce que l’offre est insuffisante”, a expliqué M. Lamontagne.

Selon le professeur Salif Sow, du programme national de prise en charge au Sénégal, la gratuité des ARV   et des soins est en effet indispensable pour assurer la continuité des traitements contre le sida  .

“Cela nous a énormément aidé à élargir l’accès des médicaments aux personnes qui en avaient besoin, ça a permis de lever tous leurs doutes sur les risques d’interruption des traitements”, a-t-il dit.

Contrairement au Sénégal, les combinaisons de molécules utilisées dans les traitements de première et de deuxième ligne sont payantes au Burkina, mais cela n’empêche pas les associations de les proposer gratuitement aux patients qu’elles prennent en charge.

Ainsi, en novembre 2005, l’AAS offrait une prise en charge complète à 350 patients ; après avoir présentées des résistances au traitement de première ligne, 20 pour cent d’entre elles suivent désormais un traitement de deuxième génération, que se procure AAS au prix fort auprès de la centrale d’achat de Ouagadougou.

Alors, en attendant que ces médicaments puissent être disponibles pour le plus grand nombre, et dans l’espoir de repousser le plus tard possible le passage aux nouvelles molécules, les associations tentent de prévenir les interruptions de traitement, multipliant les initiatives et les formations sur le suivi des patients.

Mieux vaut prévenir que de tenter de guérir

“Le démarrage est déterminant : s’il part mal, le patient va rencontrer des difficultés durant toute la durée du traitement. Ca ne fonctionnera qu’une ou deux années avant qu’il ait de nouveaux problèmes”, a expliqué Bastien Lamontagne, qui dirige La maison de l’observance, un projet canadien d’appui au suivi des traitements, intégré depuis mars 2004 au programme de prise en charge d’AAS.

Le professeur Salif Sow, à Dakar, a lui aussi affirmé l’intérêt de telles initiatives, appelée “programme d’éducation thérapeutique” au Sénégal. Il a notamment insisté sur l’importance que revêtait une bonne compréhension du traitement par le patient.

“Nous préférons attendre deux ou trois mois que la personne ait bien compris pourquoi elle prend ses traitements avant de le lui donner. Les vacances thérapeutiques accélèrent considérablement les résistances, mieux vaut alors ne pas commencer”, a-t-il expliqué.

Selon M. Lamontagne en effet, un traitement bien pris dès le départ, qui entre dans “le projet de vie” du patient et que celui-ci suit correctement lui permet de vivre sept ans avec des ARV   de première ligne.

“Grâce à la maison de l’observance, nous avons réduit de 50 pour cent le nombre de patients qui développaient des résistances, permettant à l’association d’économiser près de 23 000 dollars” - et de prendre en charge davantage de patients.

“C’est ce que nous expliquons aux personnes sous traitement : leur médicament n’est plus une dépense, mais un investissement”, a conclu M. Lamontagne, rejoint par Tobias Luppe, responsable de la campagne de MSF   pour l’accès universel aux médicaments essentiels au Nigeria.

“Il faut impérativement que les gouvernements comprennent ce que nous tous savons déjà : cela coûte plus cher de ne pas soigner les gens que de le faire.”


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 14 décembre 2005

 

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