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Adapter la façon d’adopter

L’adoption devient quasi impossible pour les Français. Le gouvernement planche sur une réforme.


Libération - 24 novembre 2013 - Marie-Joelle Gros -

Désirs de maternité trop tardifs. Problèmes de stérilité en hausse. Près de 23 000 Français veulent adopter un enfant. Pas si simple. La filière étrangère se ferme de plus en plus, et, en France, l’adoption est dans une impasse. D’où l’urgence à trouver des solutions. Voilà des années qu’une réforme du système revient régulièrement sur le tapis. Les rapports s’entassent, rien ne change. Mais cette fois, la ministre déléguée de la Famille, Dominique Bertinotti, semble vouloir s’y atteler. Elle a choisi d’inclure un volet adoption dans son projet de loi sur la famille qu’elle présentera en Conseil des ministres avant les municipales de mars. Un groupe de travail doit lui rendre ses conclusions en décembre. Sa présidente, la juriste Adeline Gouttenoire, a entre les mains un document extrêmement musclé : un « plaidoyer pour l’adoption nationale ». Rédigé par six femmes qui toutes travaillent sur cette question à différents postes d’observation (psychologue, éducatrice…), il appelle à un changement radical. Parmi les pistes : encourager l’adoption simple, qui contrairement à l’adoption plénière n’efface pas les liens avec la famille biologique. Ça tombe bien : au ministère, on se dit prêt à promouvoir cette forme d’adoption.

A la clé, un bouleversement des pratiques des professionnels de cette question. Mais aussi de la manière dont les familles candidates envisagent cette façon de fonder une famille. Les résistances sont nombreuses. Comment mieux accompagner et préparer les futurs parents ? Un colloque, organisé aujourd’hui à Paris par la revue Enfances & Psy, mettra l’accent sur des consultations dédiées à l’adoption, encore trop rares en France. Etat des lieux.

Qu’est-ce qui bloque ?

Sur 150 000 enfants placés à l’aide sociale à l’enfance (ASE  ), seuls 2 345 bénéficient du statut du pupille de l’Etat et peuvent donc être - en théorie - adoptés. Ainsi va la loi. Pour que ce statut soit donné à un enfant, il faut qu’il ait été abandonné à la naissance, que ses parents soient décédés ou que la justice constate qu’ils ne sont pas en capacité d’assumer leur rôle. Mais très souvent, les juges peinent à prendre une telle initiative ou y consentent trop tard, laissant des enfants en situation de « délaissement institutionnel », comme le soulignent les auteures du plaidoyer pour l’adoption. Ils errent entre familles et structures d’accueil parfois jusqu’à leur majorité, sans « projet de vie ». Sans adoption possible. Ces blocages ont été maintes fois identifiés dans de nombreux rapports (Mattei 1995 ; mission Colombani 2009 ; défenseure des droits 2011…). C’est pourquoi l’une des solutions pratiques serait de ne pas tout suspendre au statut de pupille, mais de développer des « adoptions simples » : des familles pourraient alors adopter des enfants sans que la filiation avec le foyer d’origine ne soit rompue. Mais les familles adoptantes y sont-elles prêtes ?

Une sacro-sainte adoption plénière

En France, c’est culturel, on envisage la plupart du temps l’adoption uniquement sous sa forme plénière : une filiation remplace une autre. Toute trace de la famille d’origine disparaît : la famille adoptive s’y substitue. Pour Adeline Gouttenoire, décider d’une adoption simple « implique de ne pas se considérer comme une parenté de substitution », mais comme une « parenté d’addition ».Autrement dit, des adultes bienveillants et affectivement investis, des parents adoptifs, éduquent un enfant, mais la filiation d’origine n’est pas gommée, elle coexiste. L’acte de naissance de l’enfant mentionne toujours le nom de ses parents biologiques. Pour le reste, les liens entre les adoptants et l’enfant sont garantis par la loi, l’adopté est « en sécurité juridique » et bénéficie de tous les droits de la filiation (héritage…).

Pourquoi a-t-on tant de mal à s’imaginer coparents ?

L’adoption simple n’emballe pas les familles adoptantes. Dans la pluri-parentalité, il faut faire avec l’ombre des parents biologiques. Et parfois même leur présence. L’adoption simple existe depuis longtemps (1804), mais elle est surtout utilisée à l’intérieur des familles (un oncle adopte son neveu), ou par des couples homosexuels non-mariés : ils composent avec un parent biologique bel et bien en vie. Les parents désireux d’adopter pourraient-ils accepter cette donne ? « Ça ne marche pas en toute situation, prévient Nathalie Parent, présidente d’Enfance & familles d’adoption (EFA), la principale fédération de parents. Il faudrait faire du sur-mesure, en fonction de l’histoire de l’enfant. Porter une double filiation, ça peut être très lourd. »

Et si on en parlait ?

Se préparer à adopter différemment, évoquer ses peurs, réfléchir à ce que l’on va raconter à l’enfant, cheminer vers une situation familiale peut-être autre que celle qu’on avait imaginée au départ, c’est le travail proposé dans les rares consultations psy pour parents adoptants et enfants adoptés. Jean-Louis Le Run, pédopsychiatre, dirige le CMP (centre médico-psychologique) du Figuier à Paris et constate qu’il faudrait au moins une consultation de ce type par département. On en est très loin. Trois structures seulement à Paris, et pour le reste du territoire, c’est très aléatoire. Des consultations d’orientation et de conseil en adoption existent ici et là, mais sont plus dans une dimension pédiatrique que psy. « Or, l’adoption suscite des choses très fortes émotionnellement, souligne Jean-Louis Le Run. Il y a un besoin d’écoute spécifique. »

Repères. Adoption d’enfant

1 569

C’est le nombre d’adoptions d’étrangers en France en 2012, contre 3 508 en 2010. Au Brésil, au Vietnam ou en Chine, l’adoption se ferme du fait de l’émergence d’une classe moyenne.

89 000

C’est, en euros, le montant alloué chaque année par l’Etat à l’adoption nationale, très peu organisée. L’adoption internationale bénéficie, elle, de 6 millions d’euros.

LE PLAIDOYER

Six professionnelles de l’aide sociale à l’enfance et du milieu associatif ont rédigé en septembre un « plaidoyer pour l’adoption nationale ». Cette synthèse très lucide sur la situation des enfants délaissés liste dix propositions « techniques, pas idéologiques » pour améliorer leur sort.


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Publié sur OSI Bouaké le dimanche 1er décembre 2013

 

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